Chronique 1 (5/9/99)

«  Dis Donc, O’Maley ! On est à Treignac là, maintenant ! J’invente pas : je me suis arrêté volontairement devant la pancarte. Et ça me parait quand même bizarre : je ne me souviens absolument pas que nous devions passer par là.

- D’après lacarte, on devrait être tout près de Salers, depuis le temps qu’on roule. C’est sûrement à Tulle, au milieu du marché, que tu t’es trompé de direction.

- Ah ben c’est le comble ça ! J’ai pris la route que tu m’as dit de prendre. Je te rappelle que MOI, j’aurais mieux aimé prendre plutôt sur la droite. Et c’est toi qui as insisté pour qu’on parte sur cette route à gauche.

- C’était à cause des travaux. Ils en ont parlé à la radio. Enfin, écoute, c’est pas grave. On va bien trouver quelqu’un à qui demander quelques précisions. »

De retour du Périgord, nous devions aller à Sallers, en pays d’Auvergne. Rendez-vous pris pour goûter quelque bonne viande, et rapporter quelques fromages. Mais nous voilà légèrement égarés, face à cette pancarte indiquant une bourgade dont nous ne trouvons pas trace sur notre carte.

Avancés jusqu’au centre-ville (suivant les indications routières), nous fîmes quelques pas dans une atmosphère surprenante : pas âme qui vive. Pas une boutique ouverte, pas un passant, pas un quidam, à qui demander notre route. Et pourtant visiblement nous n’avons pas affaire à un village abandonné. Tout est propret, aucun signe d’abandon, et même que les fleurs des parterres sont resplendissantes, malgré cette chaleur torride d’août.

Et toutes ces voitures sur ce grand parking !

Nous contournons un grand bâtiment moderne et triste, et apercevons un calicot fièrement accroché au-dessus de ses portes d’entrée : « Bienvenue ! Grand concours international de pêche à la mouche ».

Un brouhahas nous signalant quelque vie intérieure à ce bâtiment, nous poussons une porte vitrée et faisons quelques pas à l’intérieur d’une espèce de salle des fêtes. Effectivement, l’ensemble de la population semble être réuni là, autour de tables à tréteaux et sur des bancs d’école. En train de banqueter dans une atmosphère joyeuse.

Nous faisons encore quelques pas, essayant d’attirer l’attention d’une des quelques personnes s’agitant entre les tables, portant bouteilles de vin ou plats de victuailles. Mais ils sont visiblement trop occupés, et nous hésitons encore à déranger l’un ou l’autre de ces convives : c’est comme si nous arrivions sur un autre monde et que nous regardions sans être vus....

« Oh Jean ! ! ! Qu’est-ce que tu fais là ? ? ? »

Un cri, un mouvement là-bas, un bras qui s’agite et nous hèle. Je reconnais, ébahi, Salim, un vague collègue de travail. Pour tout dire, plutôt une huile dans le travail. Nous arrivons vers lui, planche de salut à la mine épanouie, sourire jusqu’aux oreilles. Nous balbutions notre malencontreuse aventure : « égarés, mauvaise route, le marché à Tulle, rendez-vous à Sallers,... »

Il en rit de plus belle, pousse ses voisins et nous fait asseoir. Des assiettes font irruption, des verres pleins, des couverts, et une tape anonyme dans le dos pleine d’amical encouragement.

Après quelques bouchées de merveilleuses charcuteries, nous parvenons à entendre une explication.

Comme après chaque concours de pêche à la mouche, et particulièrement lorsqu’elle est de niveau international, un repas est organisé, à la bonne franquette. Chaque concurrent ayant pris soin d’ailleurs d’apporter quelques spécialités de sa région. Salim étant maintenant entraîneur de l’équipe de France, après avoir été l’un de ses plus beaux fleurons (champion du monde même !), ne manque aucune de ces réunions. « C’est un moment fort pour forger un esprit d’équipe. Et cela rappelle en plus à chacun des membres de l’équipe, qu’il y a un temps pour la compétition, et un temps pour la convivialité. Adversaires un temps, mais humains tout le temps ! »

Au bout d’un moment de cette discussion, il se fit peu à peu un grand silence. Les serveurs s’affairaient et apportaient un plat qui éteignait peu à peu dans les travées un silence quasi religieux. Nous le vîmes apparaître : tête de veau, fumante encore, visiblement moelleuse et souple.

« La spécialité du coin, me dit Salim tout doucement. Et ils ont un charcutier, ici, qui la fait divinement ! »

A voir les éclats dans ses yeux, je crois bien qu’il était là plus pour le repas que la compétition.

Effectivement, elle était divine, accompagnée d’une sauce gribiche onctueuse et relevée à souhait.

Autant vous dire que nous n’arrivâmes à Sallers que tard dans la soirée. Mais avec de tels souvenirs encore sur les papilles, de tels arômes en tête, que nous n’attachions plus d’importance à rien.

Pour faire la tête de veau :

Parer et nettoyer la tête de veau. La mettre à dégorger 24 heures à l'eau très fraîche. L'égoutter et citronner toutes les parties : museau, joues, oreilles, etc.

Dans une grande marmite, mettre dix litres d'eau; délayer 50 g. de farine et l'ajouter ainsi que tous les ingrédients : 1 verre de vinaigre, 2 carottes, 2 oignons cloutés de girofle, 1 tête d'ail, bouquet garni, sel et poivre.

Plonger la tête de veau dans cette cuisson richement aromatisée.

Faire prendre l'ébullition. La durée de cuisson est de 2 heures environ à petit feu. Écumer régulièrement durant cette opération.

La tête de veau est présentée entière et découpée devant les convives.

Pour la sauce Gribiche :

5 œufs cuits durs, mais faiblement; sel; poivre; 4 décilitres d'huile; 2 cuillerées à potage de vinaigre; une cuillerée à café de moutarde; une de cerfeuil; une d'estragon haché; une de câpres; 3 cornichons moyens hachés; fines herbes.

Mettre les jaunes d'œufs dans une terrine avec le sel, le poivre; les broyer finement; ajouter à cette pâte le vinaigre puis l'huile, goutte à goutte, exactement comme s'il s'agissait d'une sauce mayonnaise. Maintenir cette sauce constamment crémeuse par l'addition de vinaigre et d'eau tiède si besoin est. Terminer en ajoutant les fines herbes, câpres, cornichons et les blancs d'œufs coupés en dés très menus. Vérifier l'assaisonnement.

Chronique 2 (13/9/99)

Il avait bien fallu en redescendre de cette Acropole, où j’avais passé autant de temps subjugué par cette statue de dieu antique auquel je ressemblais tant : même tête  hirsute et barbue, même petit ventre rond, mêmes muscles discrets. Il y avait une telle évidence de filiation que j’en étais resté ébahi.

Et que je me retrouvai vaguement perdu dans un quartier bruyant et populeux. Je m’enfonçais machinalement dans des petites rues pleines d’échoppes rutilantes et de véhicules pétaradants. Entré dans une espèce de bistro, j’étais assis, hébété, lorsque je fus sorti de mes pensées par un serveur mal rasé. Ayant perdu toute envie de chercher à me faire comprendre par quelques mots d’anglais, je désignai d’un geste le plat que mangeait l’unique autre client, visiblement autochtone lui, à la manière dont il ne regardait rien, les yeux dans le vide de ses soucis quotidiens.

Tout en chassant quelques mouches vindicatives d’un machinal moulinet de torchon, le serveur posa devant moi une assiettée de petites galettes accompagnées de quelques boulettes de viande. Lorsqu’il revint quelques instants plus tard poser d’un geste machinal une carafe de vin rosé, je m’en saisis précipitamment pour me remplir un verre que je bus d’un trait pour parvenir à avaler la première boulette que j’essayais de mastiquer.

Mais dès que je goûtais les galettes, mes esprits refirent surface : un délice moelleux, une surprise gustative comme je les apprécie, une fête pour les papilles.

GALETTES DE POMMES DE TERRE A LA GRECQUE (Pour 5 à 6 personnes)

1 Kg de pommes de terre (BF 15), 150 g de raisins de Corinthe, 1 branche de fenouil, 1 œuf

2 c. à soupe de curry, quelques graines de cumin, 250g de beurre, gros sel, 200 g de farine, sel de mer, poivre.

Épluchez et lavez les pommes de terre. Lavez la branche de fenouil et mettez-la dans la casserole d'eau de cuisson des pommes de terre, ainsi qu'une cuillerée de curry et du sel. Faites cuire vivement les pommes de terre, pendant 25 minutes.

Préchauffez le four à 180°C (thermostat 6). Lavez les raisins de Corinthe et égouttez-les. Au terme de leur cuisson, égouttez les pommes de terre. Pilez-les en casserole au pilon. Ajoutez 150 g de beurre et incorporez, graduellement, la farine en terminant le mélange sur une table farinée.

Reprenez encore un peu de curry dans le pétrissage et ajoutez les petits raisins de Corinthe. Vérifiez l'assaisonnement en sel et poivre. Etalez l'appareil au rouleau comme une pâte sablée et découpez des disques du diamètre d'un verre.

Beurrez et farinez la plaque du four et déposez-y les galettes de pommes de terre. Faites fondre le reste du beurre dans une petite casserole en prenant garde qu'il ne colore pas. Beurrez-en alors les galettes à l'aide d'un pinceau et, après l'absorption, dorez-les à l'œuf battu. Parsemez sur chacune d'elles quelques graines de cumin et quelques grains de gros sel.

Enfournez et faites cuire à bon four (180°C, thermostat 6), pendant 8 minutes. Retournez les galettes pour colorer l'autre face si nécessaire. Dressez sur plat et servez bien chaud.

(Recette issue du livre de Joel Robuchon, Le meilleur et le plus simple de la Pomme de Terre)

Chronique 3 (19/9/99)

L’autre jour, je vaquais dans ma cuisine, aux alentours des 13 h 15, essayant d’empiler de manière ordonnée les divers ustensiles culinaires attendant d’être lavés, lorsque le timbre mélodieux, quoique strident et comminatoire, de l’interphone retentit. Je me précipitais pour appuyer sur le bouton libératoire, tout en faisant valdinguer le combiné : ma chère adorée venait prendre le café, et c’était certainement elle !

La porte grande ouverte je lui fis les arabesques de politesse d’usage, genou demi-plié, tête ployée et bras arrondi dans un 8 virtuel, lorsque je la vis s’arrêter, le nez en l’air frétillant et les yeux égayés. Elle ne me dit même pas bonjour, pas le moindre bisou ou sourire courtois. Elle restait le nez au vent, tout en se débarrassant de son sac à main et de sa veste, puis elle se dirigea vers la cuisine.

« Comme ça sent bon ! C’est toujours aussi merveilleux d’entrer dans ta caverne. »

Un petit air de déception froissa son joli minois lorsqu’elle s’aperçut qu’aucun plat ne mijotait sur le gaz, que le four était froid et qu’aucune assiette tentatrice n’attendait sur la table.

« C’est quoi cette odeur ? Ce que ça sent bon ....... »

Comprenant que ce n’était pas du café dont elle parlait, j’ai bien dû lui avouer que je m’étais fait de la cuisine midi-là. Simplement, à la va-vite, quelques côtelettes d’agneau. Et comme il était indéniable que leur sauce de cuisson embaumait l’appartement , je ne pouvais prétendre ne m’être que réchauffé que quelques pâtes au beurre.

J’avais pris chez mon boucher quelques côtelettes d’agneau.

Dans la poêle, j’ai fais fondre 50 g. de beurre. J’y fis revenir à feu vif les côtelettes 2 mn. de chaque côté, puis encore 3 mn à feu moyen.

Réservées au chaud, j’ai déglacé la poêle avec 20 cl. d’hydromel. Après avoir baissé le feu, j’ai laissé réduire, puis j’ai ajouté de la cannelle en poudre. Ce n’était absolument pas prémédité : je voulais mettre du curry, et je me suis trompé de flacon. A l’odeur, je me suis tout de suite rendu compte, mais que faire ? sinon poursuivre et testé. Et donc, j’ai bien mélanger à la cuillère de bois, salé, poivré légèrement.

J’ai rajouté une noisette de beurre pour assouplir la sauce en cours de confection.

Puis j’ai éteint le feu, remis les côtelettes et laissé à couvert un moment.

Le temps de sortir une assiette et un couvert, un verre, une serviette. De trancher du pain. D’ouvrir une bouteille de vin. Il était temps de s’asseoir et de déguster, du nez et des papilles, un plat fort sympathique et inhabituel.

La prochaine fois, j’ajouterai du romarin et une touche de miel. Et j’inviterai ma belle à venir avant le café, pour déguster avec moi ce petit plat fin et succulent

Chronique 4 (26/9/99)

Rien de tel qu’un grand bol  de chlorophylle pour vous requinquer son bonhomme. Et sa douce et belle itou.

Et lorsqu’en plus vous avalâtes quelques hectolitres d’air pur, vous enregistrâtes quelques douces mélopées de vent chuintant dans les arbres, quelques roucoulis d’oiseaux, vous vous retrouvez au cœur d’un petit village mignon avec la faim au ventre et vous entrez gaillardement dans l’unique bistro affichant gastronomiquement un menu du jour : entrée, viande garnie, fromage et dessert.

Une odeur de gratin dauphinois correctement composé vous monte au nez et rassure au premier abord ; c’est donc l’esprit serein que nous dégustons une entrée agréable par sa simplicité : salade de museau et tomates du jardin. Vous savez, de ces tomates qui ont du goût ! De celles que l’on trouve difficilement sur les marchés.

En desservant les assiettes énergiquement nettoyées par une faim poignante, le serveur-cuisinier-patron nous interroge :

« Les steacks, je vous les fait comment ? A point ou saignant ? »

« Vous n’auriez pas autre chose ? m’enquérais-je. Même avec un supplément. »

« Ben non. J’ai des magrets de canard, mais j’ai plus de sauce au poivre vert pour vous les servir. »

« Encore heureux, mais on va bien trouver autre chose dans votre cuisine pour les préparer. »

J’étais non seulement debout, mais j’entrais déjà dans la cuisine, alors que notre bonhomme interloqué était encore devant notre table avec ses assiettes.

La noisette de beurre frissonnait dans la poêle, accompagnée d’une larme d’huile.

« Ils sont où ces magrets ? »

D’un coup de couteau adroit je dessinais des croisillons dans la peau grasse des magrets, et je les jetais dans la poêle où ils se mirent à chanter. Quelques grains de sel, une pincée de poivre, une petite poignée de thym lancée du geste auguste du semeur, et je couvrais.

Puis je partis à la découverte des ingrédients divers contenus dans les placards. Enfin je mis la main sur un pot de confiture qui paraissait être de la confiture de figues.

« Ah ben non, pas la confiture de maman ! C’est pour mon petit déjeuner ! »

« Justement ! Elle doit être excellente ! »

J’enlevais prestement les magrets, que je réservais au chaud dans le four tiède ; je dégraissais la poêle et y déposais un bon morceau de beurre pour déglacer. Puis y mettais vivement trois grosses cuillères de confiture de figues. En laissant sur feu modéré, je touillais tranquillement pour faire une sauce onctueuse. Avec une giclée de crème fraîche liquide pour le moelleux.

Lorsque la sauce fut à point, j’embarquais ma poêle et mon plat de magrets en direction de la salle de restaurant.

Le silence se fit ; du genre interloqué, curieusement dubitatif. Le cuisinier était derrière moi, à la fois gêné et interrogatif. On sentait qu’il aurait bien aimé quand même goûter à cette préparation qui sortait de son antre.

Je fis le service à ma dulcinée, et je m’assis, tranquille comme Baptiste.

Nous dégustâmes une petite merveille. Les magrets étaient cuits à peine, juste ce qu’il faut ; rosés au cœur et grillés sur le pourtour. Ils avaient un goût fortement marqué, et délicatement souligné par la douceur des figues sucrées.

Heureusement qu’il y a encore des petits bistros où l’on mange bien à la campagne.

Je crois bien avoir aperçu le cuisinier tremper le doigt dans la poêle en la remportant en cuisine. Mais je n’en suis pas certain. Et finalement ? S’il mettait un jour ce plat sur sa carte, cela ferait d’autres heureux.

Chronique 5 (3/10/99)

« Enfin dimanche !

Aujourd’hui, plus de bistanclaque permanent, pas de lever avant l’aube, pas de ces énormes baluchons à trimballer par les traboules jusqu’à la Fabrique de la rue Romarin.

C’est dimanche, et je vais aller passer la journée au château, à La Rochette.

C’est une bonne idée, qu’ils ont eu, ceux de la rue Pouteau.  Maintenant, nous sommes plusieurs à faire pareil : on s’est regroupé nous aussi, les familles de la rue du Bon Pasteur, et on a loué une petite maison à La Rochette, au bout du plateau. Comme cela, on s’y retrouve le dimanche.

Pendant que les bourgeoises préparent la cuisine, nous on bauchera les boules dans la cour, en goûtant le vin de Millery que le Grand Paul est allé chercher avec sa carriole.Ca leur apprendra aux cafetiers à servir des pots qu’y font plus que la moitié d’avant.

Maintenant, on a notre cenpote, et on peut boire sans soif.

Après on passera à table. C’est toujours du bon, qu’elles nous préparent : des pigeons ficelés, de la panserotte, des clapotons en salade, un barboton de truffes et le claqueret.

Moi j’aime bien le claqueret, c’est fort et frais, et ça requinque le corgnolon. Avec quelques verres de vin, moi je suis heureux.

Et puis après, on ira descendre les boules.

A moins que la Marie, la fille du Grand Paul, accepte d’aller promener avec moi. Elle est bien jolie, la Marie, mais pour l’instant elle a jamais voulu. Mais je crois bien qu’elle en a bien envie aussi. Rien qu’à voir comment elle me guigne.

C’est aussi pour ça que ce matin j’ai mis ma belle blouse blanche. Y va faire beau aujourd’hui, on pourrait aller descendre jusqu’à la Saône. Je lui dirai que la patron m’a promis que bientôt je ferai plus le boriau, et que je deviendrai vrai canut. Au long des prés, je trouverai peut-être l’occasion de lui péter la miaille.

Bon, allez, faut que je me dépêche, parce que y a quand même un bout de chemin à faire, et je voudrai pas manquer le début de la partie. »

C’était le soliloque de Jacques, apprenti canut en ce printemps de l’année 1866. Et comme il le dit, le claqueret, c’est excellent. On l’appelle aujourd’hui la cervelle de canut.

400 g de fromage blanc en faisselle, 60 g d'échalotes, 1/2 gousse d’ai1 en purée, 150 g de crème fraîche épaisse, 1 cuillerée à soupe de vinaigre rouge, 1/2 verre de vin blanc, 1 bouquet de ciboulette, persil, cerfeuil, 4 pincées de grains de poivre rouge, 1 cuillerée à soupe d'huile, sel, poivre.

Dans un saladier, mélangez, sans battre, le fromage blanc bien égoutté et séché avec les échalotes pelées et hachées, la purée d'ail, la ciboulette finement hachée, la crème fraîche, le vin blanc, le vinaigre, l'huile. Salez, poivrez. Battez le tout énergiquement. Réservez au froid.

On peut aussi, selon les goûts, ajouter 100 g de fromage de chèvre frais. A ce moment-là, je vous conseille de remplacer la crème épaisse par de la crème liquide.

N’oubliez pas d’accompagner de vin rouge léger et gouleyant, comme un Coteau du Lyonnais, ou un Beaujolais qui a fait ses Pâques.

Bistanclaque : Métier à tisser. Cenpote : tonneau de 104 litres, permettant de remplir cent pots de 1.04 l. Panserote : gras double sauté aux oignons et vinaigre, Clapotons : pieds de mouton, Barboton de truffes : ragoût de pommes de terre. Corgnolon : gosier. Boriau : apprenti. Péter la miaille : embrasser.

Chronique 6 (10/10/99)

« Mais qu’est-ce qui lui arrive à Jean ? »

« C’est vrai ça, regardez ses yeux ! Ils frétillent ! Et ses narines ? Elles papillonnent ! »

La bande de nouveaux amis (gastronautes avertis), enfin réunis depuis 24 heures autour de mets succulents et variés, apportés par les uns et les autres, ou confectionnés sur place avec les ingrédients et autres farces ou pâtes sorties des divers paniers et sacs encombrant encore la cuisine, en restaient bouche bée.

Il paraît même que j’étais en état de lévitation, un verre dans une main et un récipient plastique dans l’autre. Il faut dire que ce récipient contenait une première expérience d’aubergines marinées, essayée par Céline, qui souhaitait obtenir l’avis de ses nouveaux  complices.

L’atmosphère était, il faut le préciser, un brin magique depuis 24 heures.

Des individus ne s’étant jamais rencontrés, tout juste échangé quelques messages, se retrouvant ensemble, après de brefs échanges, pour passer un week-end entier à table. Les plaisanteries fines succédant aux plats délicats, les sourires de satisfaction emplissaient l’air de Provence, les mines unanimement épanouies reflétaient ce moment de bonheur intégral, tous ensembles. Même les absents paraissaient être là.

Et les saveurs inaccomplies de ces aubergines au vinaigre et feuilles de sauge, entremêlées de ces arômes de plein sérénité, avaient éveillé en moi je ne sais quel volutes imaginatifs.

Je me retrouvais en cuisine, ouvrant les placards inconnus, et prenant ici une boîte de sucre en poudre (après avoir trempé le doigt dans d’autres boîtes aux contenus blancs et divers), là une plaquette de beurre, ici une casserole. Je versais d’un coup la marinade des aubergines dans la casserole, et y rajoutais un bon paquet de sucre. Anne m’ayant suivi, intriguée et légèrement inquiète, m’indiquait le fonctionnement des diverses plaques électriques à induction. J’avais déjà la tête ailleurs, cherchant une pomme. Il y a forcément une pomme quelque part, dans la maison de la Maman de Céline ! Une maison aussi bien organisée, aussi bien achalandée, aux placards si pleins, aux rayons de réserve si débordants, recèle forcément une cagette de pommes quelque part.

Une décision s’imposait, car le sucre était fondu !

Je prélevais donc des morceaux de pommes sur la tarte Tatin confectionnée par Marie. Non seulement j’aurai mes pectines, mais aussi le moelleux des pommes quasi-confites.

Je les jette dans la casserole, règle le feu et commence à tourner délicatement avec une belle cuillère en bois à bout plat. Le plat des magrets de canard à l’ananas traînant par là, avec une bonne cuillère de jus, je versais aussi cette sauce dans ma casserole.

Bruno était venu là, discret, en observation. Au bout d’un moment je lui tends la casserole à hauteur du visage.

« Qu’est-ce que tu en penses ? »

« Hmmm…. ». Aucune phrase, aucun mot. Ses yeux seuls reflétaient son état de surprise ébahie.

« Encore 5-10 minutes à petit feu. » assurai-je péremptoirement.

C’est totalement épuisé, par je ne sais quel sortilège, que je m’étais rassis.

La casserole passait de mains en mains, autour de la table. Personne ne faisait attention qu’il utilisait la même cuillère en bois que ses voisins. Et le silence prenait les uns après les autres les convives émus.

Céline la première reprit ses esprits.

« C’est une création en direct. On l’appellera l’ADABES d’aubergines ! Aigre-Doux de l’ABS. Et Jean bien sûr essaiera de se souvenir de la recette, pour la coucher par écrit. »

J’essayais quant à moi de me remettre de telles émotions. En entamant une très sérieuse conversation avec un Saint-Félicien et un Côtes du Rhône de Mazurd.

Chronique 7 (18/10/99)

Devant la grille de son château briard, M. Cadinet des Saules nous attendait. En termes dont nous appréciâmes la toute charmante simplicité, notre hôte nous souhaita dès l'abord une bienvenue cordiale; puis il nous précéda, marchant d'un pas mesuré, le long de son allée de châtaigniers plus que centenaires, escortée de deux contre-allées de bouleaux pleureurs qui semblaient enrubannés d'argent comme des bâtons de confréries... Le tapis vert qui feutrait notre marche processionnelle ajoutait au caractère de notre déplacement.

Puis nous suivîmes une allée plantée d’ormeaux au feuillage d’ambre clair, puis de hêtres aux teintes de cuivre rouge… De cette allée nous pouvions de temps à autre, entrevoir le château sous divers aspects. Lentement nous retournâmes vers la demeure dont, à mesure que nous nous approchions, se révélaient agréablement les balcons aux ferronneries élégantes fleuries de géranium.

Nous passâmes, pour pénétrer dans la cour d'honneur, sur un pont-levis aux chaînes immobilisées par la rouille des siècles, et chargées d'aimables guirlandes de vigne-vierge. Le soleil adressait un dernier adieu aux fleurs qu'il allait voir bientôt se disperser sous le heurt impitoyable des sautes de vent... Quelques-uns d'entre nous flânèrent le long d'une rivière aux eaux calmes. Ils virent s'éloigner, leur journée finie, les lavandières, un lourd fardeau sous le bras : elles chantaient pour oublier leur fatigue. Sur les eaux lentes, glissait une nacelle de bois verni portant un jeune couple rêveur dont le cantique d'amour s'égrenait, le long des berges fleuries.

Dans la salle à manger du château, les antiques faïences ventrues débordaient de superbes dahlias aux toquets échevelés, aux vifs et variés coloris. Une traînée de senteur de thym et de basilic s’attardait dans l’air.

MENU

POTAGES

Crème Beaufort

Consommé Lord Byron

POISSONS

Truite Saumonée Gentilhomme

Suprêmes de Soles Jacqueline

Gratin de Queues de Homards Braiville

ENTRÉES

Selle d'Agneau de Bordeaux Chancelière

Mousse de Bécasses Nemours

Faisan de Solliès

Noix de jambon Régence

Médaillons de Ris de Veau Carmen Sylva

ROT

Perdreau rouge aux Ortolans

FROID

Vasque de Foie Gras à la Gelée d'or

Salade

LÉGUMES

Gratin d'Endives à la moelle

Cèpes frais Moscovites

ENTREMETS

Soufflé Glacé

Duchesse aux fruits

VINS

Château-Grillet 1861, Romanée-Saint-Vivant 1864, Ribeauvillé 1868, Champagne.

A l’issue de ce mémorable repas, plein de charmes délicats et d’exquis délices, je ne parvins à soutirer qu’une seule recette (et encore : de simples indications…), mais laquelle ! Celle du Faisan de Solliès, dont la finesse incomparable d’une chair aux arômes suaves était rehaussée des parfums sucrées des figues rôties.

La veille, déposer en un plat creux quelques figues noires d’Italie séchées, encore amollies de soleil et ayant conservé leurs sucres, après les avoir percées de quelques coups d’aiguilles. Délayez 2 cuillères à soupe de miel liquide dans 20 cl. de vin de Banuyls et portez à léger frémissement. Versez ce sirop sur les figues ; ajoutez thym, laurier, quatre-épices. Laissez mariner.

Préchauffez votre four à Th.7.

Egouttez les figues marinées. Salez et poivrez l’intérieur du faisan ; glissez à l’intérieur les figues ; bridez.

Faites cuire au four en retournant régulièrement.

Après 10 minutes, arrosez avec la marinade à laquelle vous aurez ajouté 2 cuillères à soupe de miel.

Baissez le four à Th.6 et poursuivez la cuisson en arrosant régulièrement.

Après 10 minutes, déposez des figues fraîches de Solliès, entaillées en croix, autour du faisan et arrosez-les de jus.

Encore 10 minutes de cuisson.

Débridez et réservez au chaud sur un plat de service, avec les figues.

Déglacez avec un peu de Banuyls et faites réduire. Rendez cette sauce onctueuse par immixtion d’une noisette de beurre.

Un mets de prince !!!

Le prince Jean (avec la collaboration d’Edouard Nignon)