Chronique 8 (25/10/99)

Devant le porche de l’imposante maison aux fenêtres richement ornées, je me présentais aux gardes. J’avais en effet obtenu une audience, en fin de journée, auprès du Calife Maâmun, afin de résoudre une difficulté commerciale imprévue.
A travers un dédale de couloirs on me guida vers une pièce toute de fraîcheur et de limpidité, simplement ornée de quelques tentures légères aux couleurs diaphanes. Par une large baie ouverte sur un jardin luxuriant, j’entendais chanter quelques oiseaux et ruisseler une fontaine. Je pris le parti de m’asseoir sur de somptueux coussins et d’attendre le bon vouloir du Calife. J’entendais parfois quelques clairs éclats de rires féminins difficilement étouffés.
Au bout d’une très longue attente je vis apparaître devant moi, d’une démarche pleine de douceur et de féminine sérénité, délicatement habillée de soies ondoyantes, une femme pleine de grâces, brune aux yeux noisettes. D’un sourire accompagnant son geste de la main, elle me fit signe de la suivre.

Ce que je fis bien entendu, les narines charmées de ses parfums évanescents.

Elle me fit asseoir dans un autre salon, auprès d’une table basse gravée de milles fleurs enchevêtrées.

Après une courte absence elle revint chargée d’un plateau qu’elle déposa devant moi : petites coupelles, bols et assiettes étaient emplis de mets aux couleurs vives et variées, parmi lesquelles dominaient l’ambre et le blanc. Comme elle restait debout en me faisant quelques signes d’encouragements, je me mis à goûter ces divers petits plats, cherchant à reconnaître là des aubergines et des poivrons confits, ici des carottes parfumées à l’orange, ici encore des rissoles de fromage de chèvre, et cette espèce de crème de foie de volailles sur des canapés ! Avec une cuillère je testais aussi cette soupe veloutée, dans laquelle je reconnus des billes de melon, de la menthe et un léger arôme d’oignons.

Visiblement satisfaite, la belle jeune femme était repartie.

Pour revenir bientôt avec un autre plateau.

Et je pus goûter des brochettes fondantes, faites de viande d’agneau hachée et agrémentées de mangues ; des morceaux de poulet au citron, et un ragoût d’agneau, comme confit parmi des arômes d’amandes, de raisins de corinthe, de miel. Force et douceur !

Un nouveau plateau avait fait son apparition, chargé celui-ci de sucreries, de gâteaux, de sorbets. Toutes ces couleurs, tous ces charmes, toutes ces douceurs  ! Miel, arachides, eau de rose, amandes, figues….

Et ce merveilleux sourire sur le visage angélique de mon hôtesse.

Lorsqu’elle comprit que je ne pouvais plus avaler quoique ce soit de plus, elle me fit à nouveau signe de la suivre.

La pièce où elle me fit pénétrer, sans me suivre, était le hammam. Je me résolvais donc, sans plus me poser de questions, à pratiquer mes ablutions dans cette atmosphère si propice à la digestion. Mais je ne m’attardais pas toutefois.

Effectivement, elle m’attendait et m’emmena dans un autre salon. Les coloris des tentures étaient plus chauds, quelques plantes vertes apportant un contraste. De la musique s’égrenait parmi les volutes légers de quelques parfums capiteux. Comme elle me laissait seul, d’un geste léger comme pour s’excuser, je m’allongeais sur les moelleux coussins chamarrés et attendit son retour.

Et bien sûr je finis par m’endormir d’un sommeil plein de parfums et de douceurs.

C’est le Calife lui-même qui me réveilla, d’un grand sourire amusé.

« Je crois que vous avez fait la connaissance de ma jeune sœur, Ghilsérazade. Et de sa cuisine. J’espère que cela vous a permis de patienter jusqu’à mon arrivée. Très tardive, malheureusement, ce dont je vous prie de bien vouloir m’excuser. Avez-vous au moins profité de ce repos pour faire quelque rêve agréable ? »

Jean

Ah oui, la recette ! J’allais oublier.

RAGOUT D'AGNEAU AU MIEL

Pour 4 personnes :

800 g d'épaule d'agneau, 3 cuillerées à soupe d'huile d’olive, 1 oignon, 2 gousses d'ail, 4 cuillerées à soupe de miel, 250 g de raisins secs, 125 g d'abricots secs, 125 g d'amandes.

Mélange d'épices : 3 clous de girofle, 6 graines de cardamome, 10 grains de poivre de la Jamaïque, 1/4 de cuillerée à café de noix muscade, 1 pointe de cannelle, 5 ou 6 filaments de safran.

Broyez les épices juste avant d'en faire usage afin de leur conserver tout leur arôme. Une fois broyées et mélangées, elles sont mises à revenir quelques instants dans une cocotte avec l'huile et quelques gouttes d'eau. Ajoutez alors l'oignon coupé en rondelles et l'ail écrasé, puis, lorsque l'oignon commence à blondir, la viande coupée en morceaux. Il convient de la faire sauter pour qu'elle dore sur tous les côtés. À ce moment, un feu vif est nécessaire.

La cuisson de l'agneau se fait ensuite à tout petit feu, cocotte couverte, en ajoutant de l'eau en quantité suffisante pour que la viande soit en partie immergée. N'oubliez pas de mettre à ce moment-là un petit peu de sel.

Au bout d'une quinzaine de minutes, retirez du feu et versez sur la viande le miel, les abricots concassés, les raisins secs, les amandes préalablement dorées à la poêle et concassées. Puis, disposez l'ensemble de la préparation dans une terrine avec le couvercle et mettez à four chaud. Le ragoût va mijoter doucement pendant au moins 1 heure. Pendant la cuisson, la chaleur ne doit jamais être trop forte et on peut rajouter, au besoin, un peu d'eau. La viande doit être confite et non pas sèche. Plus la cuisson est lente et prolongée, meilleure est la consistance confite de la viande.

Au moment de servir, disposez l'agneau nappé de sa sauce dans un plat un peu creux et servez avec un accompagnement de boulghour au beurre ou de riz.

Et un sourire plein de charmes et de douceurs.

Chronique 9 (1/11/99)

Je vous entends bien, vous savez, dire et médire sur mes petites histoires. Que c’est tout mensonges et compagnie. Que ça se trouve, je ne fais même pas la cuisine, et que je me contente de manger des pâtes et des boîtes de conserves. Vous n’êtes que des jalouses médisantes !

Alors aujourd’hui, une histoire vraiment véridique, pure de réalité, sans même un soupçon d’arrangement littéraire, telle que vécue ce dimanche. Et d’abord, c’est même pas une histoire. Pas de princesse ni de voyage, pas de découverte superbe de plat succulent. Rien d’intéressant en fait.

Tout commence un dimanche matin comme les autres : qu’est-ce qu’on fait ? On dirait qu’il va faire beau ; on pourrait faire une petite promenade ? Et de plonger dans les pages festives du journal local.

Tiens, il y a une fête traditionnelle à Saint-Marcel-sur-Coise. Au moins ce ne sera pas un attrape-touriste. Et on trouvera peut-être des produits intéressants, comme du saucisson ou des Côteaux-du-Lyonnais ?

Sitôt dit, sitôt partis. La campagne est bien belle en cette période de l’année. Les arbres ont pris des couleurs ocres magnifiques aux rayons du soleil.

Le petit village est accueillant sous les flonflons assourdissants de tubes techno déversés par une chaîne Hi-Fi hyper-puissante. Même les chiens se terrent sous les voitures. Quant aux vaches, elles ont refusé de quitter leurs prairies.

En consultant le programme détaillé des festivités, nous apprîmes que nous arrivions juste à temps pour assister à la fin de la première animation : le concours des vins des agriculteurs locaux. Chacun des 15 concurrents avait dû tester les vins de ses adversaires. Les spectateurs avaient le droit, s’ils le souhaitaient, de faire de même. Nous bûmes donc un verre du dernier vin présenté. Du caractère, le bougre ! Et un fameux arrière-goût de terroir : terre, vaches, cochons…

Nous avions le temps, avant la dégustation des andouillettes maison, de faire le tour de l’exposition des gâteaux des enfants de l’école.

Le règlement du concours des andouillettes était précis : il s’agissait de juger les recettes de ces dames, et non point la qualité des produits. Les andouillettes provenaient donc toutes de chez Bobosse, à St-Jean d’Ardières. Ce fut un peu long, car il n’y avait que deux fourneaux installés sur la place. Enfin nos 15 concurrents purent déguster et délibérer. La recette de Madame Henri fut déclarée gagnante, et son mari s’empressa de fêter cela dignement, en offrant une tournée générale de vin champagnisé.

Nous assistâmes ensuite au concours de gnôle de pays. Les participants commençaient à donner de visibles signes de fatigue : les andouillettes avaient été largement arrosées, elles aussi. J’eus le plaisir de goutter une des bouteilles. Crédieu ! heureusement que je n’en avais pris qu’un fond de dé à coudre : c’était une boisson qui vous arrache les larmes des yeux avant même que vos boyaux ne se tordent de désespoir.

Il y eut des ex-aequo, et une tournée de départage s’est alors avérée nécessaire. Je ne vous détaille pas les dégâts parmi les concurrents, pourtant solides gaillards habitués à ce genre de compétition!

Nous eûmes alors droit à la dernière animation : la course des brouettes.

Chacune des épouses des concurrents précédents devait ramasser son bonhomme, le charger dans une brouette et effectuer un parcours de 500 mètres autour de la place du village. A chaque versement et perte de bonhomme, il fallait revenir à la ligne de départ.

Nous avons bien rit, finalement, à cette fête de village, pleine du charme rustique et authentique de nos anciennes traditions paysannes.

Avant de partir, à la nuit tombante, j’ai réussi à me procurer la recette utilisée par Madame Henri :

pour 4 personnes

4 andouillettes de chez "Bobosse", 1/2 l de vin blanc, 100 g d'échalotes hachées,75 g de beurre

Piquer les andouillettes, les cuire dans un plat à gratin avec beurre et huile pendant 10 minutes, en les tournant de temps en temps.

Les retirer du plat en les gardant au chaud. Dans le plat de cuisson, jeter les échalotes hachées. Les faire cuire légèrement sans coloration, mouiller avec le vin blanc. Porter à ébullition.

Remettre les andouillettes dans le plat puis passer au four (th.7) 5 à 7 minutes. Avant de servir, monter la sauce avec le beurre.

Servir très chaud.

Chronique 10 (7/11/99)

« En entrée, c’est carottes râpées ! Si certains n’en veulent pas, il reste peut-être de la salade de choux d’hier…. ». Et le regard s’appuyait lourdement sur moi.

Non, je ne suis pas dans un bouchon lyonnais, aux traditions d’amitiés rugueuses solidement conservées, mais chez maman, qui conserve elle aussi ses propres traditions. Après l’accueil « Et bien te voilà ! C’est pas facile de t’avoir à table, maintenant que tu vas manger sans arrêt avec des gens de l’Internet. Mais tu as maigri, non ? », auquel il faut s’abstenir de répondre, sous peine de partir dans une discussion sans fin, c’est sa façon de présenter ses plats.

Avec les carottes râpées, légèrement relevées d’un filet de citron et de quelques herbes du jardin (dont la fameuse Okrope, ressemblant à l’aneth et aux feuilles de fenouil), il y avait effectivement un peu de salade de choux, à peine cuits, mais légers comme elle sait les préparer, ainsi que quelques tranches de saumon fumé accompagnées de crème fraîche, comme il est d’usage dans la maison familiale. Et quelques tranches de pâtés en croûtes. Pain de seigle noir aux noix, baguette farineuse croustillante, beurre salé…

« Je voulais faire du carré de veau, mais le boucher, il m’a donné des morceaux si épais, que je ne pouvais rien faire avec. Alors j’ai tout haché, et je vais aller vous faire des boulettes. Ca ira bien, pour accompagner les cardons. De toute façon, eux non plus, ils sont pas bons. Ils ont pas assez blanchi ! Quand j’ai enlevé le papier, ils ont continué de monter. J’ai vite été obligé de remettre le papier autour. C’est la faute de la saison….. »

Je coupais vite court à la discussion sur les changements de climat, qui risquait de nous entraîner fort loin, pour embrayer sur les boulettes de veau.

Et nous partîmes en cuisine pour voir comment elle faisait.

« Bien sûr que j’ai mis des oignons ! Et de l’ail aussi, mais un peu. Avec du persil, et un peu de sel. Mais maintenant je sais pas trop comment les faire cuire. J’ai déjà fait des croquettes l’autre jour, et de la viande panée aussi. »

Alors je lui racontai en quelques mots, ce que j’avais lu l’autre jour, une recette d’origine libanaise, mais reprise du moyen-âge.

Après avoir formé de grosses boulettes, avec sa viande hachée, et les avoir mises au four, je cassais donc des oeufs en séparant le blanc du jaune ; je mélangeais les jaunes avec de la farine, et une touche de safran pour colorer.

Nous enrobâmes les boulettes de cette pâte, après 20 minutes de four, et ce fut reparti pour 15 minutes.

Mon père et mon frère, pendant ce temps, prenaient leur mal en patience en lisant les journaux.

Les boulettes sorties du four, enrobées de leur pâte cuite, furent arrosées de miel fondu et saupoudrées de cannelle.

« C’est joli, et c’est bon, cette façon de faire les boulettes de veau, mais ça va pas trop avec mes cardons ! »

Qu’est-ce qu’on peut répondre à sa mère  lorsqu’elle d’humeur bougonne ?

Vous faites comme moi, j’imagine : vous parlez d’autre chose ?

Chronique 11 (14/11/99)

Ah ! ce petit pot de crème dont je viens d’ouvrir le couvercle ! Un pur bonheur !

Une couleur très légèrement jaune ; une odeur très fine de laitage fermenté, acide ; une consistance ferme et souple sous la cuillère ; et quand vous la laissez fondre sur la langue, milles ondes joyeuses et tendres vous parcourent et vous mettent les larmes aux yeux.

Or donc ma chère et tendre me rapporta un petit pot de crème de Bresse, souvenir d’un court séjour campagnard. De la crème n’ayant pas connu l’usine et ses produits complémentaires, ni les procédés industriels ; de la crème vendue en vrac, presque sous le manteau. « On est prié d’apporter son récipient ».

Et d’avoir une bonne tête, car la mamie était soupçonneuse et rétive : « Y en avait au magasin ? Vous venez d’où ? Et qui c’est, qui vous a dit que j’en vendais ? »

De temps en temps je me délectais d’une cuillère, sur un simple morceau de pain par exemple, ou bien avec une pomme de terre cuite à la vapeur en chemise. Et l’autre soir, une subite envie de sucrerie me fit sortir une tablette de chocolat noir. De ces chocolats à dessert fort en cacao. Je fis fondre une demi-tablette au micro-onde, avec une cuillère à soupe d’eau. Après avoir bien mélangé, j’y ajoutais une grosse cuillère de crème fraîche, et je mélangeais longuement, avec application et précaution, pour obtenir une pâte onctueuse, s’écoulant avec grâce et délicatesse de la cuillère,  tout en laissant plusieurs secondes la trace de ses volutes sur la surface du bol, avant de s’estomper dans la masse moelleuse.

Comme un bienheureux je laissais s’écouler en moi ce ruisseau de voluptés calmes.

« Ca devait être bon. » me dit-elle, lorsque plus tard je lui racontais mes alchimies gourmandes, un soupçon de regret dans la voix.

« Mais j’ai aussi rapporté un poulet…. »

Et oui ! Un poulet de Bresse, un vrai Pattes-Bleues, nourri tranquillement au maïs naturel et aux produits laitiers. Un poulet qui a promené sa grosse crête rouge et son plumage blanc dans les prés d’une ferme. Un poulet qui résiste au couteau de découpe et qui vous montre, sous la peau, quelques bourrelets de vraie graisse jaune. Un poulet à qui l’on doit le respect d’une cuisson étudiée et savoureuse.

Je fis donc un poulet de Bresse à la crème de Bresse avec du beurre de Bresse.

Dans une grande sauteuse, faire colorer légèrement, à feu vif, les morceaux de votre poulet avec 120 g. de beurre, sel, poivre.

Ajouter quelques gousses d’ail, un demi-oignon, thym, laurier. Remettre 30 g. de beurre, puis fariner. Laisser blondir, puis mouiller avec de l’eau. Remuer et porter à ébullition. Couvrir et laisser cuire à feu modéré environ 30 minutes.

Dans un saladier, mélanger 3 jaunes d’œufs et 50 cl. de crème fraîche. Avec application et en prenant son temps.

En fin de cuisson, retirer les morceaux de volaille et les réserver. Passer la sauce de cuisson dans une casserole.

Au moment de servir, mettre cette casserole sur feu doux. Verser la crème aux œufs en mince filet, sans cesser de remuer et sans laisser monter à ébullition.

Rectifier l’assaisonnement et verser la sauce sur les morceaux de poulet. Servir aussitôt.

C’est une recette simple, mais digne de ce magnifique volatile : elle met bien en valeur la qualité des produits de la Bresse, et en particulier la chair ferme et onctueuse du poulet, et toute la saveur de cette crème au goût de lait.

Et quelle tendresse elle apporte dans les regards des convives …….

Ps : Un méli-mélo de salades vertes avant, un gâteau fin et délicat après. Un Gevrey-Chambertin pendant …… le bonheur simple ressemble à ce repas.

Chronique 12 (25/11/99)

Lorsque les premiers flocons de neige firent leur discrète apparition, ce fut Jérôme qui le premier eut cette belle phrase : « Tiens ! On dirait qu’il neige ! ».

Mais chacun d’entre nous vaquait en fait au déballage des provisions qu’il avait apporté, au rangement de tous ces plats et ingrédients destinés à nos ébats culinaires.

Ce ne fut que vers 14 heures, en prenant l’apéritif avec quelques amuse-gueules amusants que Marcelline s’écria : «Mais vous avez vu. Il neige vraiment ! Et on dirait que ça va tiendre… »

Nous étions un peu ébahis par ce phénomène. Non pas que ne connaissions point la neige, mais de la neige en Provence, à 30 kms d’ Avignon !!! Cela ne nous empêcha nullement de poursuivre nos conversations et de débattre de l’ordre de nos repas futurs.

Lorsque nous passâmes à table, enfin d’accord sur l’ordonnancement de nos repas, aux alentours de 16h30, ce fut au tour de Pierre de faire remarquer qu’il neigeait toujours de gros flocons. A quoi Julie lui rétorqua qu’il fallait bien de la neige pour rehausser la douce chaleur des bûches crépitant dans la cheminée.

Ce ne fut que pendant l’apéritif du soir, vers 22 heures, que nous convînmes que la couche de neige devait bien dépasser les 50 centimètres et que cela pourrait nous poser quelques problèmes de déplacement le lendemain pour aller au ravitaillement complémentaire de produits de dernière minute, si cela s’avérait nécessaire.

Jylgie, assise auprès de moi, me dit alors : « C’est joli, ces flocons de neige dans ta barbe. », et je voyais les flammes de la cheminée danser joyeusement dans ses yeux.

En ouvrant les volets, le lendemain matin, chacun put laisser exploser sa joie devant ce magnifique manteau neigeux recouvrant la campagne environnante, sous un froid soleil d’hiver. Une journée magnifique s’offrait à nous. Bloqués dans notre havre, toutes provisions faites, nous n’avions plus qu’à nous laisser glisser sans aucun remord vers notre désir ultime : le plaisir culinaire.

Et tant pis pour les tentations moralisatrices de faire du sport. Ne serait-ce qu’une petite ballade nous était interdite.

Interdit aussi, le retour du soir chacun dans ses pénates : nous étions bloqués là au moins une journée de plus.

Contre mauvaise fortune, faisant bon cœur, nous passâmes notre temps entre le fourneau et la table, à faire mijoter, à saisir, à mélanger, à fouetter, à braiser, assouplir, lier, farcir, monter, assaisonner, goûter, réduire, faire sauter, délayer…..

Ce ne fut que le troisième jour, alors que la neige fondait doucement, que j’eu l’idée de commémorer ces journées enneigées par un essai culinaire dont j’aime à me souvenir sous le nom d’ « œufs sous la neige ».

Faites cuire des œufs durs. Ecalez-les.

Faites une sauce béchamel en remplaçant le lait par de la crème fraîche liquide (dite fleurette). Ne pas oublier sel, poivre, muscade.

Montez 2 blancs d’œufs en neige bien ferme et intégrez-les doucement à la béchamel.

Beurrez un plat à soufflé ; versez-y la sauce ; ajoutez les œufs coupés en deux en les recouvrant bien avec la sauce.

Ajoutez quelques noisettes de beurre et mettez au four Th.7 pendant 10 minutes.

Servir très chaud.

Dégustez calmement, en pensant aux flammes qui dansent dans la cheminée et dans les yeux des belles.

Une pensée de Jules Renard :

« La neige sur l'eau : le silence sur le silence. »

Chronique 13 (28/11/99)

« Et bien dis-donc, nous avons mis un sacré chantier dans ta cuisine ! »

Elle avait raison, la jolie Ghilsérazade. Vous vous souvenez d’elle, c’est la jeune sœur du Calife Maâmun (cf. Chr.25/10/99). De passage en notre beau pays, elle était aussi de passage en ma cuisine, et avait souhaité réaliser avec moi quelques plats décrits dans mes chroniques. Les plats choisis, les courses faites de la veille, nous avions abordé cette matinée avec un entrain débordant.

Et donc, je ne vous raconte pas les casseroles éparses de tous côtés, les ustensiles éparpillés, les éviers débordants de verres, bols et cuillères, la poubelle pleine : un vrai capharnaüm !

Mais les tatins de courgettes étaient quasi prêtes (chr.13/9/98) ainsi que les profiterolles au fromage (chr.6/9/98), le saumon à l’unilatérale (chr.25/5/98) attendait d’être réchauffé, la cervelle de canut (chr.3/10/99) était au frais, ainsi que la tarte au pain (chr.6/6/99) et les pralines aux framboises (chr.16/5/99). La tourte (chr.6/4/99) rafraîchissait sur un bord de fenêtre. Le faisan aux deux figues était au four doux, attendant le feu vert pour démarrer sa cuisson.

Et je commençai juste à éplucher quelques légumes pour préparer quelques purées diverses d’accompagnement.

« Je suis un peu lasse. Tu permets que je t’abandonne quelques minutes ? » me dit-elle d’une voix lasse.

« Va t’allonger un moment. Je prépare juste les purées, je range un peu et je t’appelle pour passer à table. »

Je préparai donc une purée de carottes (avec ¼ de leur poids de riz), puis beurre et crème une fois la purée bien desséchée ; une purée de navets avec 1/3 de purée crémeuse de pommes de terre et un peu de beurre ; une purée de piments rouges (avec 1/3 de béchamel réduite) ; et enfin une purée de fonds d’artichauts. J’étais en train de dessécher cette dernière, lorsqu’une idée me vint, subite et impérative : ne me reste-t-il pas un fond de truffe ? Cela pourrait rehausser fortement cette purée-ci.

Effectivement, un petit bocal oublié renfermait un demi-tubercule odoriférant dans son cognac. Je fis donc fondre une noix de beurre et y mit à saisir les morceaux de truffe découpés très fin. J’y ajoutais deux cuillères de fond de veau qui traînait par là, et j’intégrai ce liquide aromatisé à ma purée. Que je fis à nouveau dessécher doucement.

La cuisine embaumait comme un conte des mille et une nuits, lorsque la jolie Ghilsérazade me rejoignit.

« Quelle est donc cet arôme merveilleux qui plane et me ravit ? » me dit-elle. Et je voyais amusé son petit nez frétillant et ses yeux enflammés chercher à capter les effluves du bonheur.

Je la pris par la main et la ramenait vers la cuisinière.

« Goûte d’abord, et je t’expliquerai ensuite. » et j’approchai une cuillère de purée de ses lèvres gourmandes.

« Mmmmhh ……. Tu es un véritable sorcier ! » et son sourire était si beau, si frais, que je ne ressentis plus aucune fatigue.

« Non, pas sorcier. Simplement gourmand…. »

Chronique 14 (6/12/99)

Voilà ce que c’est de lire des livres et revues de cuisine : on tombe sur un entrefilet, même pas une recette, juste une idée à peine ébauchée ; et on passe des heures en cuisine à faire des essais pour mettre au point la réalisation, on en rêve la nuit, on ne pense plus qu’à ça le jour.

Voilà ce que j’ai lu l’autre jour, dans une petite revue : 

« Encore une entrée toute bête, mais simple et originale : des œufs mollets en brioche-portions. Enlevez le chapeau, évidez délicatement les brioches, cassez un œuf à l’intérieur ; une pincée de curry, salez, remettez le chapeau et faites cuire 5 mn à four moyen. »

Mais bien entendu, les boulangers de mon quartier ne font pas de petites brioches rondes. Or donc, j’essayais avec une petite brioche plate et allongée. Je l’ai creusée délicatement en deux endroits, pour faire comme un canoë bi-place et j’ai versé 2 œufs. Four th.5. Au bout de 5 minutes, les œufs n’étaient pas cuits. Encore 5 minutes. Mais ce n’était pas très intéressant : la brioche était trop cuit et avait absorbé trop de blanc d’œuf avant cuisson.

J’acquis donc des petits pains au lait (en fait 1% de lait écrémé en poudre ! …) et je retournais à ce qui est plus un atelier mal rangé qu’une cuisine. Il faut signaler que je n’en suis pas encore au laboratoire genre Géo Trouvetou ou savant Cosinus…

Je coupais donc le bout d’un petit pain, l’évidais de sa mie et le tenant debout je versais un œuf dedans. Pour qu’il daigne rester debout, je ne trouvais pas d’autre solution que de lui adjoindre deux petits camarades, remplis d’un œuf aussi , dans un ramequin rond. Direction le four, th.6, pendant 8 minutes.

Dégustation : la cuisson des œufs est correcte, mais le jaune est bien entendu resté sur le dessus, et dans l’assiette l’ensemble à tendance à s’échapper de son réceptacle.

Retour donc au doux labeur !

Je gardais cette fois-ci le petit pain à plat, coupais une longue calotte sur le dessus, évidais l’intérieur. Je me retrouvais donc avec une espèce de petite barque en pain ! Dans laquelle je versais un œuf, qui eut la bonne idée de remplir juste à ras bord la petite barque et de conserver son jaune bien au milieu. Sel, poivre. Remettre délicatement la calotte sur le dessus.

Un petit plat en inox, beurré, fit office de plat pour aller au four, toujours th.6 pendant 8 minutes.

Déjà plus pratique pour manger !

Si l’on aime déguster des œufs à la coque avec des mouillettes, c’est un petit plat génial : on a l’œuf cuit plus ou moins mollet dans sa mouillette !

Par contre, si on n’aime pas les œufs….. !

Comme il me restait de la mie de ce bon petit pain, je l’émiettais et la mélangeais à un œuf et à de la crème fraîche. J’y ajoutais ensuite de la confiture de groseille et hop dans un ramequin direction le four, une fois de plus. Au bout d’un petit quart d’heure j’avais un petit dessert ma foi fort moelleux, légèrement soufflé.

Chronique 15 (12/12/99)

Il y a quelques jours, j’ai reçu un e-mail bizarre, dans ma messagerie, genre anonyme. Une fois  de plus. Et j’avais failli le détruire immédiatement, lorsqu’une petite phrase attira mon attention : « je suis l’auteur du gratin dont vous faites l’éloge ».

Je lus donc complètement le texte de ce message, en lui prêtant un peu plus d’attention : quelqu’un qui voulait me rencontrer rapidement pour me faire une proposition commerciale particulièrement intéressante. Bon des comme ça, il en fleurit des milliers. Mais c’était signé : « JR ». Un escroc ou autre mal-venu ne pousserait pas l’incongruité jusque-là tout de même. Et ce post-scriptum : « Je ne peux vous donner mon véritable nom, pour l’instant, mais sachez que je suis l’auteur du gratin dont vous faites l’éloge. »

Ne serait-ce point …… ?

Dans le doute, et finalement ne risquant pas grand-chose, je lui répondis en le priant de me rejoindre chez moi, en cette fin de dimanche, la semaine n’étant point propice à tout type de rencontre. Par précaution, je me procurais une photo de la personne qui prétendait vouloir me rencontrer : ainsi, j’éviterais de me faire emberlificoter par un soi-disant lui-même qui pourrait bien être un autre.

Il vint, et ce fut bien lui.

Quelque peu surpris par le chantier régnant dans mon humble chaumine (je devrais dire les chantiers, tous commencés et tous en avancement aléatoire), il prit place sur une chaise en cuisine, seule pièce encore à peu près digne de recevoir, et m’exposa son projet.

J’en ris encore !

Il me proposait de me confier un restaurant en plein centre de Lyon, afin d’y renouveler la cuisine typiquement lyonnaise. Son idée de fond était de confier ainsi à des gourmands repérés sur Internet des restaurants novateurs dans différentes villes de France, tout en respectant les fondements de la cuisine traditionnelle française. Impact médiatique assuré ! Beau projet, il est vrai, mais je ne me vois absolument pas en restaurateur !

« Vous devriez en parler à Léon ! Lui c’est un vrai cuisinier de métier ! Mais cela m’étonnerait qu’il accepte : il a déjà donné dans ce genre … Je parle de Léon, l’admirable Léon, sur Internet, le fou du chocolat ! Le dyslexique du clavier, comme il se surnomme. »

«Détrompez-vous : je l’ai déjà rencontré, et il a réservé sa réponse pour l’instant. »

« C’est ça, oui ! Et bien à mon avis elle est réservée pour longtemps, sa réponse.  Allez, c’est pas le tout de discuter en vidant mon Saint-Joseph blanc ; on va se faire une petite croûte ! J’ai cru comprendre que tu aimes bien les rates ?»

Et en lui passant un couteau économe, je posais sur la table quelques kilos de petites rates du Pilat. Nous les épluchâmes tout en poursuivant la conversation, puis nous les fîmes cuire à l’eau bouillante salée pendant 15 minutes.

Lorsqu’elles furent cuites à cœur, un peu plus que pour des pommes de terre vapeur habituelles, je les coupais en longues tranches épaisses dans un plat de porcelaine blanche et les recouvris du reste d’une Epoisse qui allait finir par s’abîmer.

Un petit tour au micro-onde et je reposais le plat entre nous. « shploum ! » fit le bouchon de la bouteille de Condrieu rouge.

Ah la la !!! Il fallait le voir, le JR, le ‘plus grand cuisinier du siècle’, si gentil et si bien mis de sa personne, l’habitué des salons chics et des cuisines fines ; il fallait le voir, cravate défaite, les joues rosées, taper du plat de la main sur la table à chaque bouchée en proférant des exclamations du genre : «  Oh la la ! Que c’est bon ! Un peu fort, mais que c’est bon ! On aurait peut-être même pu rajouter un petit coup de blanc, ou même de gnôle de pays… Mais que c’est bon ! Les rates sont moelleuses… et l’Epoisse est parfaite, forte comme ça …»

C’est bien vrai que c’est bien bon…

Ps : comme d’habitude, toute ressemblance ….. etc…. fortuite et malencontreuse…… je décline toute responsabilité….. etc.

Chronique 16 (20/12/99)

Pour fêter dignement l’entrée dans la période festive de fin d’année, j’avais décidé de me lancer dans une expérimentation fastueuse quoique fort longue : la préparation du fameux Lièvre à la Royale, selon la recette du sénateur Couteaux. Il fallait bien du courage, car il annonce 7 heures de labeur ! Mais la lecture de son texte promettant de tels plaisirs, cela m’en avait donné à revendre, du courage  :

« Les émanations parfumées du lièvre à la royale, après avoir rempli tout l’appartement, puis toute la maison, avaient franchi la porte cochère et, suivant la rue Favart, s’étaient répandues jusqu’au boulevard. On raconta que le quartier tout entier de l’Opéra Comique fut mis en émoi. On raconta que des passants, séduits par l’odeur embaumée qui flottait dans l’air, entrèrent chez le pâtissier Julien pour lui demander « ce qui sentait si bon », et que le célèbre pâtissier dut répondre que cette odeur si extraordinairement parfumée ne sortait point de chez lui. »

Voulant vérifier la liste des ingrédients, afin d’en aller faire l’acquisition, et celle que j’avais sous les yeux étant fort peu pratique, je pris un autre livre et, surprise, y trouvait une différence assez importante sur la quantité d’ail et d’échalotes. J’en ouvrais un autre, et voilà une autre recette encore différente !

Et soudain, dans un autre ouvrage, je lis ceci :  « Il ne faut pas confondre, dit le grand chef Prosper Montagné dans l’édition originale du Larousse Gastronomique de 1938 cet apprêt, qui est chose magnifique, avec celui du même nom que, fort longtemps, on a considéré à Paris comme une façon de chef-d’œuvre, et qui, en réalité, n’était qu’une assez médiocre capilotade de lièvre parfumée à grand renfort d’échalotes et de gousses d’ail. Celle-ci, en tout cas, ne méritait nullement la qualification de royale qui lui avait été donnée par certains soi-disant gastronomes à la fin du XIXème siècle. » et suit une recette dans laquelle on farcit le lièvre à l’aide de foie gras et de truffes, une seule légère pointe d’ail et pas d’échalotes.

Allons bon ! la recette magnifique que je m’apprêtais à réaliser, une médiocre capilotade !

Que faire ? Qui croire ? Et laquelle de mes 6 recettes suivre ?

Finalement je me contentais de réaliser un sauté de sanglier, accompagné d’une compotée de chou vert et d’une mousse de céleri. C’est bien plus rapidement fait et j’étais certain, au moins, du résultat.

Vous avez fait mariner vos morceaux de sanglier 24 heures avec 75 cl. de vin rouge, quelques rondelles de carottes, oignon émincé, sel, poivre, genièvre, bouquet garni (le tout préalablement cuit à petit feu 30 minutes, puis refroidi).

Egoutter la viande. Verser la marinade dans une cocotte et faire cuire à feu moyen 1 heure à couvert en écumant de temps en temps. Passer le tout au chinois et remettre en cocotte pour faire réduire. Ajouter deux cuillères à soupe de gelée de groseilles. Laisser mijoter.

Faire dorer en sauteuse les morceaux de viande, ajouter un demi oignon émincé, couvrir et laisser mijoter 15 minutes. Réserver les morceaux de viande.

Dégraisser la sauteuse puis ajouter le contenu de la cocotte, un carré de chocolat amer et mélanger à la spatule. Rectifier l’assaisonnement, ajouter 50 g. de beurre très froid coupé en petits morceaux et battre au fouet pour monter la sauce.

Servir très chaud.

Mousse de céleri : Eplucher et couper le céleri en petits dés. Faire cuire dans un demi-litre de lait légèrement salé 20-30 minutes. Egoutter. Sécher à feu vif. Mixer. Sel, poivre, muscade. Ajouter 50 g. de beurre. Puis 10 cl. de crème fraîche au fouet.

Compotée de chou vert : Laver un chou vert. Retirer les côtes. Blanchir les feuilles 5 minutes dans 3 l. d’eau bouillante salée.  Egoutter. Faire mijoter les feuilles de chou dans de l’huile d’olive jusqu’à consistance d’une compote en remuant souvent. Ajouter un filet de vinaigre de framboise et laisser encore mijoter 5 minutes.

Si j’entends quelqu’un dire que c’est une médiocre capilotade, mon sauté de sanglier, je me fâche et le réduit en bouillie avant de capituler.

Chronique 17 (26/12/99)

Riches bocages découpés de haies vives où s’enchevêtrent chênes, frênes et peupliers, derrière lesquels se révèlent de longues fermes basses. Leurs murs en pans de bois et de pisé sont ombrés d’auvents soutenus de solides piliers et leurs façades s’éclairent de grappes d’épis de maïs que l’automne a blondi.

Paisible pays, on s’y enfonce dans la douceur, le moelleux, le bien-être, le calme bonheur.

Et je m’y étais tant et tant paisiblement promené, je m’étais tant attardé à regarder les reflets des vols d’oiseaux et des ébats des canards sur l’eau calme des étangs, qu’il se faisait tard. Je mis donc en quête d’une auberge accueillante et c’est ainsi que je franchis la porte grinçante à l’enseigne « Chez Léon » à Saint-Trivier-de-Courtes.

Belles tables de bois lustrées longuement, vaisselier garni d’une aimable collection d’assiettes peintes, vieille horloge pansue, et des plats de porcelaines blanches de-ci de-là sur quelques autres meubles enserrant certainement vaisselle et autres ustensiles. Une lumière jaune apportait une atmosphère chaude et rustique, soulignée par quelques décorations d’épis de maïs.

Une seule table était occupée par un vieux couple et d’un léger coup d’œil je remarquais dans leurs assiettes de larges portions de sauce crémeuse.

Rassuré je m’approchais d’une femme accorte et visiblement bien nourrie qui m’indiqua avec beaucoup d’amabilité une table où m’installer.

Je vous passe le détail du repas que je fis, somptueusement rustique et authentique, pour ne m’attarder que sur le plat principal : de la poularde en sauce. Une sauce d’une onctuosité pleine des légères saveurs des légumes; une chaire moelleuse et tendre; un accompagnement de riz et champignons coupés fins, absolument non gras mais aromatisés comme la sauce et la volaille. J’en avais les yeux et les papilles plein d’une tendre émotion.

J’eus en plus le plaisir de faire part au chef de mon immense satisfaction et celui-ci en devint volubile, avec des yeux pétillants, et il m’expliqua sa recette, que je vous livre telle que je m’en suis souvenu.

POULARDE POCHEE SAUCE SUPREME (à la Léon)
Je la bride serrée et je lui mets des herbes et un beau bouquet garni à l'intérieur.
Bon moi je te conseilles de bien blanchir la bête départ eau froide, quand elle écume tu la rinces. Ensuite tu la poches dans un bouillon très corsé en légumes. Ah oui, faut l’avoir fait avant…(avec les légumes aromatiques poireaux oignons ail carottes et aussi céleri mais pas la tête du céleri, mais aussi le clou de girofle).
Le truc enfin ce que j'applique, c'est de ne pas saler en début de cuisson, mais seulement en cours de cuisson, c'est empirique mais je trouve que c’est mieux. Ajouter aussi un demi citron dans la cuisson.
Autre chose cuire à faible ébullition. Ah ça ! Moi, je suis un adepte convaincu de la cuisson longue !!
Au fur et à mesure de l'évaporation, tu rajoutes de l'eau jusqu'à la fin de la cuisson.
Pour que la bête trempe je pose un couvercle et un poids au dessus. Et surtout écumer, écumer, écumer......
Quand la viande est cuite tout en restant solidaire (éviter qu'elles se détachent, les chairs), débarrasser la pièce, lui enlever sa peau et la citronner pour éviter qu'elle noircisse
Tu gardes ta poularde au chaud (à la vapeur de ton bouillon c'est idéal, je place ma volaille dans une grande passoire et je la pose sur le bouillon restant, le tout couvert.)
Puis tu réalises ta sauce suprême, simple mais efficace:
Tu prépares un roux comme chacun sait le faire : fondre le beurre sans coloration, ajouter le même poids en farine, mélanger à la spatule et remuer en laissant cloquer, magique ça blanchit et ça sent bon.
Le roux a longtemps été décrié mais c'est moins facile que de mettre de la crème à l'épaississant...(comme certains dont je tairai le nom…)
La quantité est de 70g de beurre et 70 g de farine pour un litre de fond blanc de volaille. Tu verras pas besoin d'y ajouter de cube saveur, ton bouillon respirera assez ..
Ton roux refroidi tu y verseras du bouillon en une seule fois et tu remues au fouet pour bien diluer le roux. Ensuite tu portes au feu jusqu'à épaississement. Tu baisses le feu et tu remues une minute.
Ensuite tu mets ta sauce au bain marie.
Ensuite tu prépares ton riz gras. Dans une cocotte qui supporte le four. Oignons sués sans coloration dans l'huile et le beurre , verser le riz dans le mélange pour le nacrer sans saisir. Tu verses ensuite une fois et demi le volume de ton riz en bouillon et tu mélanges , tu mets au four 20 minutes au four à 200°C et le tour est joué
A l'envoi tu verses un mélange de crème et de jaune d’œuf dans ta sauce qui est restée à T° et tu mélanges, ça liera ta sauce.
J'oubliais, important aussi, les champignons escalopés, cuits dans de l'eau portée à ébullition avec du beurre du citron et du sel. Plonger dans le liquide bouillant , reprendre l'ébullition quelques minutes et reposer dans le liquide, puis débarrasser encore chaud.

Il revint d’ailleurs un peu après, pour me dire que c’est vrai qu’il ne m’avait pas donné les quantités d’ingrédients et les temps, mais que lui il faisait comme ça. Il fonctionne au pifomètre. Mais il pensait bien que j’allais bien savoir me débrouiller comme ça… Il est comme ça, Léon. Mais n’empêche, j’ai essayé de la refaire ce week-end cette recette, et je m’en suis très bien sorti avec ça.

Alors vous devriez bien y arriver aussi.

Jean

(avec l’aide précieuse de Léon)

Chronique 18 (3/1/00)

« Mais non mon gars ! Si tu la coupes comme ça, la queue de ton artichaut, regarde, les fibres ne sont pas éliminées ! Il faut la casser. Tu tiens fermement la tête de ton artichaut sur le rebord de la table de cette façon ; la queue dépasse dans le vide. Et là, Tchac ! d’un coup sec tu frappes sur la queue avec ton autre main, et la queue se casse, emportant avec elle les fibres désagréables. T’as compris, Loiseau ? »

« Alors aujourd’hui, petit, je vais te donner un truc. Pour faire ta purée, et c’est valable pour toutes les purées de légumes, il ne suffit pas de bien les égoutter avant de les réduire en purée. Ils ont emmagasiné de l’eau et ta purée va être mollasse. Après les avoir mixés, tes légumes, il faut les dessécher. A feu vif, en remuant bien à la spatule. Si nécessaire, tu peux ajouter une noix de beurre, afin d’éviter qu’ils attachent au fond de la casserole. »

« Mais enfin ! C’est pas comme ça qu’on s’y prend ! Où est-ce que tu as appris ton métier ?  Mais qui m’a filé dans les pattes un oiseau de cet acabit ? Les cuisses de grenouille, tu les coupes pas à la base des cuisses. Tu laisses un bon centimètre  de marge. Sinon, à la cuisson, la chair va réussir à se contracter et à coulisser sur l’os. »

Il en a entendu, le petit Bernard, pendant son apprentissage. Et bien d’autres encore plus tard, pendant ses études ou ses différentes places, derrière les fourneaux ou les tables de préparation, pendant qu’il faisait les découpes, les sauces de base, ou s’occupait des légumes.

Et il en a noté des choses en lisant, en écoutant, en discutant. Et tout ce qu’il a noté, appris, entendu, il nous le fait partager dans un livre sobrement intitulé « Trucs, Astuces et Tours de main », publié chez Hachette.

Je viens de le découvrir, et je tenais à vous le faire connaître, comme un cadeau de bienvenue en cette année 2000.

Que je vous souhaite pleine de découvertes gourmandes et de succulences…..

Chronique 19 (9/1/00)

Régulièrement, quand je passe voir ma maman, elle m’interroge sur mes habitudes alimentaires, et se fait soupçonneuse :  « Est-ce que tu manges suffisamment de légumes, seulement ?  Tiens je vais t’en donner du jardin. En plus, ceux-là on sait comment ils ont poussé…. » Et je m’en reviens très souvent avec des sacs plastiques emplis de légumes de saison. Parce que quand je lui dis 2-3 carottes, je me retrouve avec une dizaine. « Mais elles sont petites !!! »

Or donc l’autre jour, je me disais en moi-même qu’après les fêtes je ferais bien de me faire une petite cure de légumes légers et diététiques, histoire de faire reposer un peu l’organisme, soumis à quelques excès culinaires, réjouissants certes, mais ayant sans doute fatigué la machine.

Parti au marché d’un pas guilleret et fier de cette décision, j’eu beau faire le tour des étals, je ne voyais pas de légumes susceptibles de m’attirer dans un guet-apens culinaire. Je finis, de guerre lasse, par m’arrêter devant un chou-fleur, le dernier, bien dodu mais un peu abîmé par endroit (il faut avouer que j’étais arrivé un peu tard, et que chacun pliait déjà ses étalages). Le brave commerçant s’excusant presque de la piètre tenue de son produit enfourna dans un sac tous les autres morceaux de chou-fleur qui lui restait. « Allez, pour le même prix je vous mets tout ce qui me reste ! »

Mais voilà, il ne suffit pas de s’être lancé hardiment dans l’acquisition d’un légume, encore faut-il le cuisiner. Et les gratins ou plats en sauce ne correspondaient pas à mon envie du jour. A force de feuilleter mes livres, je tombais sur une recette inhabituelle et amusante quelque part : le pain de chou-fleur. Une espèce de terrine en quelque sorte.

Ce que je fis, avant même d’avoir vraiment bien réalisé les tenants et aboutissants de cette recette. Parce qu’en fait, ce plat, d’apparence léger se sert avec une sauce à la crème, c’est-à-dire une béchamel allongée de crème. Et comme je n’aime pas gaspiller, j’avais donc utilisé la totalité de mon sac de chou-fleur. Résultat : quatre repas consécutifs à me délecter, avouons-le, de ce pain de chou-fleur largement recouvert d’une belle sauce onctueuse. Et comme je dus refaire de la sauce pour le quatrième repas, et qu’une fois de plus je vis large au niveau des quantités, mon repas suivant fut constitué de l’utilisation du reste de sauce. Quelques rates (un pur plaisir ces rates que ma maman fait pousser sur les contreforts du Pilat ; dès qu’on les épluche, on en a les papilles qui salivent et le nez qui frétille à cette odeur de terre musquée….) cuites à la vapeur puis mises à mijoter dans la sauce à la crème, additionnées de quelques morceaux de harengs.

Bref, pour les repas légers et diététiques, il faudra que je retourne à mes études, mais par contre le pain de chou-fleur, c’est vraiment délicieux, accompagné de cette sauce onctueuse et crémeuse.

PAIN DE CHOU FLEUR

1 chou-fleur de 1,5 kg environ, beurre, 3 jaunes d’œufs, 3 oeufs entiers, 3 dl de sauce béchamel, 3 cuillerées à soupe de crème fraîche,  1/2 citron, sel, poivre, muscade

Coupez le chou-fleur en bouquets, faites-les blanchir rapidement à l'eau bouillante. Égouttez-les, puis passez-les sous l'eau froide et remettez-les à cuire pendant 20 minutes environ dans de l'eau bouillante salée. Ils doivent être très cuits. Égouttez et réduisez en purée. Ajoutez du beurre en mélangeant bien.

Liez avec les 6 jaunes d’œufs préalablement battus. Salez, poivrez, muscadez et incorporez les 3 blancs d’œufs battus en neige.

Versez dans un moule à charlotte beurré et faites cuire 25 minutes au bain-marie à four chaud (240°, th. 8).

Pendant ce temps, préparez une sauce à la crème avec 3 dl de sauce béchamel (ajouter une cuillère à soupe de crème à votre béchamel bouillante et faire réduire un peu en remuant sans cesse. Puis hors du feu, ajouter les deux  autres cuillères de crème). Démoulez le pain de chou-fleur sur un plat chaud, nappez-le avec la sauce à la crème bien chaude et servez.

Chronique 20 (17/1/00)

« Moi la viande de boeuf que je préfère pour le pot-au-feu c'est la joue, tendre et un peu gélatineuse. En outre pour parfumer mon pot-au-feu ,je rajoute de la poitrine de mouton. »

Avec son tablier de boucher marqué, l’homme m’apparaissait comme un connaisseur, accoudé au bar et faisant face à la salle du bar-restaurant dans lequel j’étais entré, proche de l’abattoir, dans l’espoir justement de recueillir des avis autorisés sur le pot-au-feu.

Il faut dire que j’avais malencontreusement lancé « Venez samedi soir, je vous ferai un pot-au-feu ! »

Et bien sûr, elles se sont écriées « oh ! c’est une bonne idée ! Je me rappelle  le pot-au-feu de ma grand-mère…. » ; « Et celui de mon père ! C’était pas souvent qu’il cuisinait, mais son pot-au-feu…… ! mmmhhhhh….. » ;  « Alors d’accord pour samedi. »

Et voilà pourquoi je me retrouve dans un bar-restaurant jouxtant les abattoirs. Parce qu’une recette de pot-au-feu, j’en ai pas une, j’en ai plusieurs ! Et pour réaliser un plat digne des souvenirs anciens, il faut faire attention et se prémunir. Et j’ai donc pensé consulter de bons spécialistes en viande aux alentours des abattoirs.

« Les morceaux les plus moelleux sont le jarret et la queue ; les morceaux plus filandreux  mais goûteux sont le gîte et le plat de côtes. En plus, et c’est un boucher pied-noir qui me l'a conseillé, j'ajoute un jarret de mouton, et je te dis pas la tête de la belle-mère tellement c’est bon ! Le goût est prononcé, et le moelleux assuré. »

« D'abord, il faut choisir des morceaux dans le paleron ou la macreuse, et de préférence l'acheter chez le boucher, c'est meilleur qu'en grande surface., il faut mettre la viande coupée en morceaux en premier et dans l'eau froide, (surtout pas lorsqu'elle est déjà bouillante sinon cela saisit la viande), ensuite après avoir un peu écumé, on ajoute les légumes selon leur temps de cuisson. »

« Moi je te le dis, tu prends des bas morceaux, plat de cote, queue de boeuf, gîte, paleron... et surtout, un bon bout de jarret et un os à moelle . Et puis pour avoir une viande plus savoureuse, tu la plonges dans l'eau bouillante au lieu de la mettre dans l'eau froide. Autrement, c'est le bouillon qui serai bon et pas la viande ! »

« De toute façon, tu prends ce que tu veux comme viande, comme ils ont dit ou autrement, mais ce qui compte c’est la cuisson. Prends ton temps mon fils, tu l’oublies la cuisson sous pression et tu choisis la cuisson longue ; tu forces un peu sur les légumes, ils vont accélérer la transformation du collagène et t’oublies pas les clous de girofle. »

« Moi j’suis d’accord. Faut cuire lentement sans pression. Mais moi, j’mets du paleron, d’la joue et du plat de cotes, et puis c’est tout. Et ceux qu’aiment pas, ils ont qu’à venir me l’dire.»

« L’écoute pas. Tu mets des jarrets, surtout . Là il y en a de la gélatine et le résultat il est béton… »

La discussion commençait à s’échauffer, et je ne me retrouvais pas plus avancé qu’auparavant. Je m’esquivais donc discrètement tout en ayant noté les avis divers et contradictoires de ces spécialistes en viande de boeuf.

Après voir consulté aussi quelques ouvrages parmi les plus réputés (et rejeté loin de moi celui de Bocuse, qui préconise un pot-au-feu pour 12 personnes faisant 2 repas……), je me suis résolu au choix suivant :

Vous prenez un boeuf entier que vous faites cuire d’abord par l’avant dans l’eau froide. Au bout d’une heure, vous le retournez et vous faites cuire l’autre moitié dan l’eau bouillante. Ainsi vous aurez à la fois un bon bouillon et une viande délicieuse. N’oubliez pas de faire cuire des légumes lors de la troisième heure (poireaux, navets, carottes, etc…) avec le bœuf entier, que vous aurez donc coupé en deux.

Sel et poivre bien entendu selon le goût.

Servir chaud avec moutarde et mayonnaise.

Chronique 21 (23/1/00)

J’ai fait l’autre nuit ce rêve étrange et pénétrant, qui me hante depuis et dont je cherche la signification.

Je marchais en forêt, au long d’un aimable sentier, humant l’air vif plein des senteurs d’humus. Les chants gais des oiseaux invisibles saluaient le retour du soleil, et leurs trilles résonnaient en mon cœur qui pensait aux sourires de ma belle.

Mon pas souple et badin évitait de déranger le mulot laborieux et la biche effarouchable, lorsqu’il buta malencontreusement contre un objet enfoui sous les feuilles mortes.

« Mais que fait donc là ce petit pot de beurre ? » m’écriai-je in-peto après que mon oeil acéré l’eut identifié.

Je le mit donc dans mon sac à dos de ballade, repoussant à plus tard l’examen approfondi nécessité par cette découverte, et poursuivant mon chemin je parvins au bord d’un étang. Le chemin s’arrêtait. Je fis de même.

Allais-je rebrousser chemin ? M’aventurer dans les sous-bois et fourrés ?

Avant de prendre une décision, et comme j’avais chaud, je décidais de me tremper les pieds dans l’ eau limpide et fraîche. Lorsque je mis délicatement le pied dans l’eau, afin de m’habituer à la température, celui-ci refusa de s’enfoncer dans l’eau : il restait posé à la surface. Et j’avais beau appuyer, c’était comme si mon pied était posé sur une surface lisse, sur un miroir. Le second pied se comporta de manière identique. Et lorsque je fus debout, les deux pieds sur l’eau, et après avoir vérifié que les cailloux jetés s’engloutissaient normalement, je finis par admettre que je pouvais marcher sur l’eau. Je traversais donc ainsi l’étang, non sans avoir du faire demi-tour pour récupérer mes chaussures oubliées.

Quelques mètres plus loin, je découvris un arbre curieux qui portait de gros fruits emballés dans du papier : j’en ouvris un et après avoir goûté je reconnu de la pâte feuilletée ! Un arbre à pâte feuilletée ! ce que la nature est belle et bien pourvue, tout de même…

Je poursuivais tranquillement mon chemin, après avoir engrangé ma nouvelle découverte dans mon sac, lorsqu’au détour d’un bosquet je me trouvais nez à nez avec un ours. Lequel des deux fut le plus surpris, je ne le saurai jamais car au-delà des secondes tétanisantes je m’entendis parler :

« Bonjour ! il fait beau aujourd’hui ! »

J’eusse eu le temps de la réflexion, j’aurais trouvé certainement phrase moins banale, certes, mais …

« Bonjour ! Vous n’auriez pas du feu ? Tête en l’air comme je suis, j’ai oublié ma boîte d’allumettes. »

Après lui avoir allumé sa cigarette et l’avoir convaincu de conserver le briquet, puisque j’en avais plusieurs, je continuais ma promenade décidément saugrenue. Je ramassais quelques pommes, dodues et appétissantes avec leurs belles couleurs jaunes et ocres, lorsque je trouvais un arbuste inconnu : de grandes feuilles oblongues et nervurées, dentelées en quinconce, un tronc central court portant des branches maîtresses solides, des fruits cylindriques longs de 10 cm de couleur verte. J’en pris un et ayant défait sa cosse, le goûtais : c’était du boudin noir. Sans hésiter, et afin d’en avoir le cœur net, j’en goûtais un autre : du boudin blanc !

Après avoir fait quelque provision, je poursuivais machinalement mon chemin cherchant dans mon esprit la signification profonde de cet ensemble de découvertes : le destin visiblement, ou quelqu’un d’autre, essayait évidemment de me dire quelque chose ; à moi d’être digne de ce choix et de comprendre le sens de ces signes.

Je dus interrompre le fil de mes pensées lorsque mon chemin fut stoppé par un mur. J’avais beau regarder à sa droite, à sa gauche, aucune interruption visible à travers les buissons et arbustes ; ce mur faisait bien son travail de mur et murait totalement le passage. Je remarquais tout de même une faille : une plaque de fer de 60 cm. sur 40 cm. bloquée par un simple loquet que je m’empressais d’ouvrir. La chaleur intérieure me fit reculer : c’était un four !

Ayant enfin compris le message je me mis à l’ouvrage et composait une

tartelette aux pommes et aux deux boudins :

250 g de boudin blanc truffé, 150 g de boudin noir , 250 g de pâte feuilletée, 3 pommes, 20 g de farine, 60 g de beurre, muscade, sel, poivre.

Etalez la pâte sur un plan de travail fariné et découpez-la en 4 carrés. Posez-les sur une  plaque à pâtisserie humide et piquez-les à la fourchette. Réservez au frais. Préchauffez le four sur th. 7 (210’ C).

Pelez et coupez les pommes en fins quartiers. Poêlez-les dans 30 g de beurre. Parsemez de muscade râpée, salez et poivrez. Laissez refroidir.

Pochez le boudin noir 4min dans de l'eau frémissante. Sur les carrés de pâte, répartissez les pommes refroidies, puis alternez les tranches de boudin noir et blanc. Parsemez de noisettes de beurre. Faites cuire 10 à 15 min. Servez tiède.

(si vous disposez d’un aigre-doux au raisin ou aux figues, n’hésitez pas à en ajouter aux pommes)

Chronique 22 (30/1/00)

Il ne cuisinait plus souvent mon grand-père O’Maley, mais je me souviens que de temps en temps, pour faire plaisir, il se remettait en cuisine. Lui qui, avec les années, était devenu un peu sourd, maladroit de ses mains, voûté, il retrouvait dans ces moments-là lucidité, précision, vivacité.

Il n’acceptait personne dans sa cuisine, et cela était un fait admis, non pour entretenir le mystère ou pour se donner de l’importance, mais simplement pour avoir tout l’espace à sa disposition. Après avoir mis son vieux tablier à bandes vertes et blanches, maintes fois reprisé, il faisait un léger signe de tête aux présents, et tout le monde sortait. Tout le monde, sauf moi. Pourquoi étais-je admis à rester près de lui ? Il ne l’a jamais dit, mais je crois qu’il appréciait mon silence, et qu’il avait besoin d’une espèce de disciple à qui expliquer à mots brefs ce qu’il faisait, et raconter quelques souvenirs.

Il radotait un peu, bien sûr, en épluchant les légumes, ou en réduisant une sauce. Ses histoires d’ABS, réunions au cours desquelles se rencontraient des internautes gourmands, je les connaissais par cœur, mais je n’en disais rien. Après tout, il y avait peut-être un peu de véracité dans ses récits. Il parlait aussi fréquemment des chroniques culinaires qu’il rédigeait et transmettait sur Internet. Il paraitrait qu’auparavant tout le monde pouvait créer un site, intervenir librement dans des lieux de discussions et échanger des messages, sans que cela passe par aucun système de vérification, comme maintenant. J’ai tout de même du mal à le croire, grand-père : cela ne pourrait qu’aboutir à un immense capharnaüm !

Je nous revois, assis face à face. Je l’observais coupant les légumes avec son couteau personnel à manche de bois, de ses gros doigts enflés. Emincer des oignons le faisait pleurer et rire aussi, en racontant des bribes d’histoires que je n’ai jamais compris : il parlait de lunettes de plongée, de chaussettes, de palmes, mais il riait tellement que c’était incompréhensible.

La cuisine d’O’Maley était à la fois triomphale et modeste, somptueuse et sobre. C’est qu’elle s’effaçait derrière la qualité des produits bruts. Il se bornait à en exalter les goûts, à en révéler la nature propre, en jouant sur les multiplicités de saveurs et multipliant les harmonies. Les sauces ne masquaient pas, mais par leur légèreté elles donnaient du relief.

Après avoir longuement tourné en tous sens dans sa cuisine, oubliant quelque temps rhumatismes et arthroses, touillé avec mesure, filtré, fait réduire, goûté et rajouté un soupçon de ceci, une pincée de cela, monté sa sauce au beurre, surveillé cent fois l’horloge, déplacé ses casseroles, lavé ses ustensiles trois fois, sorti du four et remis plus tard, enfin il quittait les lieux lorsque tout était fini.

C’était justement 13 heures, l’heure de passer à table lorsqu’il faisait lui-même la cuisine.

Il ne servait jamais lui-même, laissant cette tâche à Mamie Jylgie, dont j’ai remarqué ces jours-là de drôles d’étincelles dans les yeux et des attitudes guillerettes. Grand-père O’Maley s’effaçait aussitôt, se contentant de manger sans commenter les plats, ni nos éloges qui ne l’étonnaient plus.

Voici une des recettes relevées dans son cahier de cuisine :

 

Tartiflette à ma façon (d’après la recette d’origine de Claudie)

Pour 4 à 6 personnes:

,5 kg de pommes de terre à chair ferme,

200 g de lardons fumés

- 1 reblochon entier

- 1,5 l. de lait

- 10 cl. de crème fraîche

- 30 g de beurre

- sel et poivre.

 

Préchauffer le four (th. 6)

Eplucher et laver les pommes de terre, les couper en tranche de 2 mm d’épaisseur et les cuire 20 mn dans le lait bouillant additionné de crème fraîche . Egoutter.

Faire chauffer le reste de beurre dans une poêle et mettre les lardons à revenir 5 mn à feu vif.

Disposer les rondelles de pommes de terre dans une cocotte à four beurrée, répartir les lardons, saler légèrement, poivrer abondamment.

Couper le reblochon en deux dans son centre. Le poser sur les pommes de terre, croûte sur le dessus, et mettre au four,

Laisser cuire environ 40 mn, jusqu' à ce que le fromage soit fondu et coule sur les pommes de terre.

Chronique 23 (6/2/00)

« Dites-moi, jeune homme ! Ne souhaiteriez-vous pas une situation plus stable ? Je cherche un cuisinier et, ma foi, vous pourriez faire l’affaire. Je vous ai vu faire aujourd’hui. A condition de brider de temps en temps votre créativité, afin de réaliser des plats strictement traditionnels lorsque nécessaire, vous pourriez convenir. Auriez-vous l’amabilité de venir me voir demain à 14 heures ? »

Ainsi s’exprima le juge Gagnaux, juge référendaire du canton de Bâle, après avoir pris à part le jeune Ruggero, cuisinier que lui avait envoyé la société d’intérim pour assurer la réussite de son buffet annuel.

Il y avait là, en effet, au hasard des terrasses, allées et frondaisons de la vaste propriété, la meilleure société du canton, devisant les uns avec les autres, dans leurs habits d’apparats.

Le juge Gagnaux était respecté, bien au-delà du seul canton, non seulement pour sa probité, ses profondes connaissances du droit, de la jurisprudence et de la psychologie humaine, l’excellence de son jugement intelligent et pondéré, son attachement pointilleux aux règles de l’étiquette, écrites ou non,  mais aussi pour sa qualité de gourmet et ses connaissances savantes dans l’art culinaire. On raconte même que certains prévenus lui auraient fait parvenir, la veille de leur jugement, qui une caisse d’excellent vin, qui du caviar d’Iran, du foie gras entier ou d’autres produits aussi excellents, et que tous ces personnages auraient été condamnés au maximum, sans que l’on sache exactement ce que sont devenus les produits envoyés.

On dit même qu’une fois, un montagnard avait demandé le report de son jugement, du fait que ses agneaux n’étaient pas encore, en février, parvenus à maturité suffisante. S’il fut acquitté, ce fut en février, et sans qu’il pût envoyer aucun présent.

Et donc, ce jour-là, le juge Gagnaux fut d’abord agréablement surpris lorsqu’il put enfin, après toutes les salutations diverses auxquelles il dut répondre, goûter quelques uns des petits toasts qu’il promenait sur son assiette depuis un bon moment : ils avaient beau avoir refroidi, certes, mais ce fin goût de fleurs, ces petits arômes printaniers, ces harmonies subtiles qui se développaient en bouche, lui amenaient à la fois une sérénité gustative « top-zen » comme disaient certains jeunes comparaissant devant lui pour des peccadilles , et une interrogation profonde sur les qualités de ce cuisinier inconnu qu’il ne devrait pas perdre de vue.

Lorsqu’il réussit à s’éloigner de la foule de ses invités, tous élogieux sur l’extrême finesse de son buffet, qui surpassait largement celui de l’ambassadeur des Etats-Unis de la semaine précédente, il s’approcha de la cuisine en plein air et s’arrêta, voyant le jeune cuisinier Ruggero en conversation avec une belle femme brune. Non point une conversation séductrice, ni galante, mais on voyait les deux jeunes gens très proches, dans un dialogue enjoué, échangeant des mignardises et des sourires, et leurs corps se parlaient à distance, des baisers émus tournoyaient autour d’eux, des roucoulements d’oiseaux les entouraient et leurs regards énamourés se caressaient joyeusement.

Il prit le temps d’effacer de son visage le sourire ému (souvenirs, souvenirs…) qui était né spontanément avant d’interrompre cette scène.

« Dites-moi, jeune homme, ne devriez-vous pas surveiller de plus près votre cuisson ? J’ai comme l’impression que quelques pétales de roses emportées par le vent sont tombées dans vos poêles…. »

« Mais non, Signore ! Messire le juge, ce ne sont point les pétales de vos si beaux rosiers qui sont dans ma casserole, mais ceux que j’avais emporté pour faire ma sauce. Je ne pouvais pas savoir que vous aviez de si beaux rosiers, et je préfère être certain d’utiliser des pétales non traitées aux pesticides. Tenez, si vous voulez goûter la sauce, elle doit être parfaite maintenant et les lasagnes seront bientôt prêtes, ainsi que le risotto. »

Après avoir pris une cuillère, et son regard le plus sévère possible, il put enfin s’émerveiller de la délicatesse infime de cette sauce aux pétales de roses. Et se proposa immédiatement d’embaucher le jeune cuisinier.

Non pas tant pour agacer l’ambassadeur des Etats-Unis (quoique cette idée ne lui déplaisait pas…) mais pour découvrir de nouveaux horizons gustatifs.

LASAGNES A LA RUGGERO

Mélanger la crème fraîche avec la béchamel et diviser en quatre parts égales.

Dans une poêle faire fondre 70 gr. de beurre et faire cuire les pétales de rose coupées en Julienne donc déglacer avec le Champagne, laisser évaporer de moitie, assaisonner avec le sel et poivre vert et verser 1/4 de la béchamel et crème fraîche. Dans une poêle faire fondre 70 gr. de beurre et faire cuire les pétales de tulipe coupées en Julienne, assaisonner avec le sel, poivre et une sachet de safran, flamber avec la liqueur aux fruits des bois, des que la flamme s'éteint verser 1/4 de béchamel et crème fraîche.

Dans une poêle faire fondre 70 gr. de beurre et cuire l'avocat coupe grossièrement, assaisonner avec le sel et poivre rose, des que l'avocat devient une purée flamber avec le Cognac, attendre que la flamme s'éteigne pour ajouter 1/4 de béchamel et crème fraîche, délayer une sachet de safran.

Dans une poêle faire fondre 70 gr. de beurre et cuire la roquette coupée avec les doigts, des qu'elle est cuite verser 1/4 de béchamel et crème fraîche.

Dans une plaque alterner les couches de pâte et les différentes sauces, saupoudrer un peu de parmesan a chaque couche. Mettre au four la plaque et faire cuire.

Chronique 24 (15/2/00)

Les langues filèrent bon train, après qu' Olga Fédosséiévna fut descendue de la charrette à Viktor devant la maison du bourgmestre de Biéliky, et qu’elle eut demandé le chemin de la demeure des Koulikov. Solidement accroché à son manteau, en effet, un petit garnement de quelques années tâchait tant bien que mal de garder son équilibre. Une fille-mère, de pas plus 25 ans !

Mais bien sûr, c'était surtout les vieilles bigotes et les dames des beaux quartiers qui faisaient tourner le moulin à ragots. Car toutes les autres, jeunes et moins jeunes, savaient bien que cela aurait pu leur arriver aussi. Et les mères se doutaient bien que leurs jeunes filles ne se trouvaient pas toujours là où elles le prétendaient….

Il fallut peu de temps pour qu'Olga Fédosséiévna fut à peu près intégrée : elle se montrait travailleuse, discrète, sérieuse. Et chacun avait cessé de chercher à en savoir plus sur le père absent, disparu, évanoui.

Et lorsque le vieil Ivan Alexandrovitch, las de son veuvage, la demanda en mariage, malgré ses presque 50 ans, tout le monde trouva cela bien.

Sauf les Koulikov qui perdaient une excellente cuisinière, avec des plats et des idées originales. Mais ils ne pouvaient tout de même pas s'opposer à son départ.

Vous dire qu'Ivan Alexandrovitch et Olga Fédosséiévna reprirent goût à la vie, entrain et joie, ce n'est pas peu dire : ils eurent rapidement 3 enfants et la petite isba résonnait de tant de rires, que cela faisait plaisir à entendre. Il s'en dégageait aussi régulièrement de telles odeurs de cuisine, savoureuses et appétissantes, que chacun des voisins, sur la colline près du marché, faisait les yeux noirs à son épouse….

Parmi les recettes d' Olga Fédosséiévna, la plus surprenante était celle des pommes de terre en omelette :

Allumez le four.

Epluchez des pommes de terre et coupez-les en petits dés. Lavez, égouttez et séchez-les sur un linge. Hachez du persil. Faites rissoler les pommes de terre dans une poêle avec beurre et huile, ainsi que des lardons. Ajoutez le persil.

Battez les œufs avec la crème fraîche, sel, poivre. Faites cuite votre omelette bien baveuse à la poêle. Fourrez-la de garniture de pommes de terre et de lardons.

Coupez du jambon en petits morceaux. Pliez les omelettes et rangez-les dans un plat beurré allant au four.

Recouvrez-la de tranches de fromage à pâte cuite et parsemez de morceaux de jambon.

Passez l'omelette sous le plafond du four chaud quelques instants. Servez aussitôt.

Surprenante, dans le pays, cette recette, car personne ici ne cuisinait les œufs en omelette !

Je regrette de ne pas l'avoir connue, ma grand-mère Olga Fédosséievna, mais je crois bien que l'amour de la cuisine et des petits plats simples et savoureux, je l'ai attrapé là-bas, à Biéliky, lorsque je m'étais longuement recueilli dans le vaste cimetière, sans pierres tombales majestueuses, mais quelques talus herbus et quelques arbres entourant les croix et les bosquets fleuris.

Les arômes promenés par le vent tournoyant m'étaient certainement destinés.

Chronique 25 (20/2/00)

- Mais dîtes-moi, votre salade Lyonnaise n'est pas tout à fait traditionnelle ! Elle devrait comprendre des foies de volaille et des œufs durs. C'est ainsi que mon ami Marcel la sert à Paris.

Un grand silence s'établit, avant que la Mère Josserand n'intervienne.

- Brigitte, le café et l'addition pour Monsieur !

- Mais enfin ! Nous n'avons pas ….Notre commande …. bredouillait le jeune homme bien mis qui avait cherché à épater sa compagne.

- La suite est décommandée et vous avez terminé. A ne plus vous revoir : au Café du Jura, on ne sert pas n'importe qui.

Et tout en disant cela, elle poussait le couple dehors, avec fermeté.

Au moment de refermer la porte, deux couples très dans le vent se précipitent :

- On peut dîner ? Quatre personnes.

- Je regrette, Messieurs-dames, tout est retenu !

Les gens reluquent la grande salle chaleureuse où, seuls, mon pote Joël et moi dégustons nos clapotons, dans ce silence religieux qu'on rencontre parfois à Lyon, dans les maisons de bonne réputation.

Les intrus hésitent, estomaqués par le sourire de la Mère Josserand, mi-glacée, mi-charmeuse.

- Je regrette, vous tombez mal.

Et la patronne retire d'une main le bec de cane.

- Ils avaient des têtes de parisiens. On a bien le droit de rester entre nous. Alors les petits ? Qu'est-ce que vous en dîtes de ma salade de clapotons ?

- Ah Madame, c'est excellent ! Moelleux et parfaitement assaisonné ! Pourrions-nous avoir des tabliers ensuite ?

Je me faisais mielleux et enjôleur; un rien flatteur, mais il ne faut pas hésiter en certaines occasions.

Il se faisait tard, j'avais faim et je me méfiais des réactions parfois enflammées de Joël.

Nous étions là parce qu'il voulait m'entretenir d'un de ses nouveaux projets : un livre sur les bistrots de Lyon, alors qu'il venait justement d'en sortir un.

- Oui, mais je trouve qu'il n'a absolument pas évoqué l'aspect le plus intéressant, à savoir la sociabilité du bistrot. Une étude plus sociologique est encore à écrire, qui ne soit pas exclusivement axée sur le centre ville et la vie nocturne. Tu te rends compte …..

- Je me rends compte que ces clapotons étaient délicieux, et que ton tablier va refroidir. C'est un coup à nous fâcher avec la Mère Josserand…..

Salade de Clapotons


8 pieds de mouton cuits, 2 jaunes d'œufs, 3 cuillères de crème, 2 cuillères de moutarde, 25 cl. d'huile, 1 verre de vinaigre. Sel et poivre

 

Recette:

Faire tiédir les pieds de mouton pour les rendre souples. les fendre en deux et supprimer les poils intérieurs. Désosser complètement les pieds et les détailler en morceaux. Les mettre dans une terrine avec un verre de vinaigre et une cuillère de moutarde blanche. Brasser et laisser macérer 24 h.

Le lendemain, égoutter les clapotons et les mettre dans un saladier.

Dans un bol, mélanger les jaunes d'oeufs, une cuillère de moutarde, trois cuillères de crème fraîche, sel et poivre.

Fouetter vivement et incorporer peu à peu 25 cl. d'huile.

Saupoudrer les clapotons de persil haché, verser la sauce et mélanger longuement.