Chronique 33 (16/4/2000)

"Dis-donc, la mère ! C'est du vinaigre que tu as bu ce matin, pour être aussi désagréable avec nous autres ?"

C'était le Pierre Brazier qui se permettait de taquiner la Mère Brigousse. Lui seul pouvait se permettre ce genre de chose sans se faire mettre à la porte. Sans doute un certain respect pour son activité lors des évènements de 1832, à la Croix-Rousse, et la façon aussi dont il s'en était sorti. Après avoir disparu, comme tant d'autres, on le vit réapparaître 2 années plus tard dans ce quartier des Charpennes, sans un mot d'explication, sinon qu'il avait trouvé préférable de voyager un peu.


"Du vinaigre, tu ferais mieux d'en boire, toi ! Ca t'enlèverait peut-être de la bouche tous ces mots que tu racontes un peu trop, et qui finiront par te faire des ennuis ! Y a pas toujours que des oreilles amies autour de toi. Et pour le mariage de ma petite-fille avec ton fils, j'aimerais bien que tu sois avec nous plutôt qu'à Loyasse ou aux Calédonies."
Ce fut quelques jours plus tard que l'on entendit reparler du vinaigre, lorsque Pierre Brazier s'attaquait à son plat de poulet.
"Mais il est pas comme d'habitude, ton poulet. Il est bien trop relevé !"
"Tu parlais de vinaigre, et bien en voilà du vinaigre ! Et je te signale qu'ici, on finit son plat !" s'exclaffait-elle.
"Avec plaisir, parce que, finalement, c'est vraiment bon."
Et l'on voyait bien à sa façon de manger et de saucer son assiette, qu'il appréciait cette nouvelle recette. Si bien que chacun voulut goûter aussi à son tour ce poulet au vinaigre.
La Mère Brigousse raconta plus tard qu'elle s'était souvenue d'une ancienne recette de sa grand-mère, le poulet au verjus. Recette qu'elle n'avait jamais pu réaliser, puisqu'on ne trouvait plus de verjus aigre. Et que ces échanges au sujet du vinaigre lui avait donné l'idée d'essayer de remplacer le verjus par du vinaigre.
Et cette recette fut transmise, avec d'autres, à sa petite-fille, Jeanne, qui épousa plus tard son promis Jacques, le fils de Pierre Brazier. Car c'est ainsi que se transmettaient les recettes, de mère en filles et petites-filles.
Ainsi de la recette du poulet au vinaigre :
Pour 4 personnes : 1 poulet coupé en morceaux, 75 g. de beurre, 2-3 échalotes, 15 cl de bon vinaigre de vin vieux, 5 cl de vin blanc, 1 cuillère à café de farine, sel, poivre.
Dans une sauteuse, sur feu moyen, dans 30 g de beurre, faire dorer les morceaux de poulet sur toutes leurs faces. Lorsque la coloration est obtenue, enlever les morceaux de volaille et faire dorer à peine les échalotes.
Mettre les morceaux de volaille et les échalotes dans une cocotte, saler et poivrer, arroser avec 10 cl de vinaigre et couvrir très rapidement pour éviter son évaporation. Mettre au four doux et laisser cuire 25 à 30 minutes, selon la grosseur des morceaux.
Retirer les morceaux de poulet, les maintenir au chaud. Dans la cocotte, verser le reste de vinaigre et le vin blanc, laisser 4 à 5 minutes à petite ébullition. Ajouter le reste de beurre malaxé avec la farine; bien remuer à la spatule pour obtenir un épaississement et une homogénéité de la sauce.
Rectifier l'assaisonnement.
Napper simplement les morceaux de poulet avec le contenu de la sauteuse.

Jean

Chronique 34 (25/4/2000)

" Té ! Peuchère ! Regarde-les ces deux-là ! Je te parie le pastaga qu'ils vont s'escagasser leurs bateaux en manœuvrant comme ça ! "
" Eh bé oui ! Mais c'est des touristes au moins ! Des étrangers qui sont pas d'ici ! " Et bien sûr, cela n'avait pas manqué : les deux bateaux mal manœuvrés s'étaient heurtés et cela avait créé une belle embrouille dans le port de Marseille. Après quelques bordées de jurons qui heurtèrent les oreilles des poissonnières, peu habituées aux mots crus venant d'ailleurs, les deux capitaines avaient fini par se calmer. Et l'un remorquant l'autre, ils avaient fait connaissance, pris l'apéro, et puis mangé ensemble….. C'était il y a bien longtemps, au milieu des années 1980. Et depuis beaucoup d'eau est passée sous leurs bateaux. Il faut préciser que Marie-Christine et Philippe ont décidé un beau jour, il y a 14 ans, de faire bateau commun. " Dis-donc Fifi ! Il y a bien longtemps que je n'ai pas mangé de noix de veau forestière. Est-ce que cela te dirait que j'en fasse une ? "
" Avec des champignons, des tomates provençales et des pommes dauphine ? Oh oui alors ma Titi ! Mais tu te souviens qu'on avait promis à Jacques et Sophie de les inviter la prochaine fois qu'on en ferait une ? "
" C'est une bonne idée, mais alors il faudra inviter aussi ma sœur et sa famille, et tant qu'à faire on pourrait aussi penser à l'oncle Jacques. "
" Oui, mais tu sais bien que pour lui, tu seras obligée de prévoir du brochet au beurre blanc…… " De fil en aiguille, assis sur le perron ombragé de la petite maison et délaissant pour un temps les divers bricolages en retard et les merveilles au crochet, Marie-Christine et Philippe avaient les yeux qui brillaient en évoquant les amis, les membres de la famille qu'ils souhaitaient revoir autour d'une bonne table. Et lorsque la liste des convives probables - Tiens, et les grands-mères de la Sèvres Nantaise !!! Elles, c'est le sorbet Calva-Pommes …- dépassa la centaine, ils convinrent, un peu effarés par le projet, que la petite maison n'y suffirait pas. De plus, l'éloignement empêcherait certains de se joindre à la fête. " Et bien, on fait ça dans ton pays, chez ta mère je veux dire, hein Titi ??? "
" C'est vrai qu'il y a de la place là-haut, et on trouvera facilement du Blanc Nantais et du vin d'Anjou. "
" Et puis on serait certain que ta tante nous préparerait sa salade gourmande ! "
" J'en connais un, surtout, de gourmand ….. Mais il y avait bien un de tes oncles qui avait une bonne adresse pour avoir du Saumur, je crois ? "
" Oh oui ! Je m'en souviens, c'était du Beauregard ! "
" Je comprends que tu t'en souviennes, vu comme tu t'en étais amouraché de ses bouteilles, cette fois-là. "
" Hum….. Je verrais bien aussi une petite salade verte avant les fromages…….. " La brise du soir commençait à se lever, faisant bruisser les frêles ramures et poussant vers la maison les odeurs salines de la mer et les cris des oiseaux. " Mais ils vont bien nous demander, tous, pour quelle occasion on organise ce repas ? "
" C'est vrai, et si on leur dit que c'est juste comme ça, ils vont encore nous prendre pour des gentils fêlés. "
" Ouais ! Il va falloir trouver quelque chose à fêter…… mais je vois pas bien. Ou alors ….. "
" Oui ??? "
" Et bien on a qu'à se marier. Depuis le temps qu'ils nous disent tous qu'on devrait le faire. Cela ferait une bonne raison de faire un grand repas. "
" Ah oui, tiens ! C'est une excellente idée! Mais ….. "
" Ca te pose un problème ? "
" Pas vraiment, mais tu ne m'as pas demandé ma main… " Passons sur la fin de cette journée mémorable, en précisant que la date finalement retenue est celle du 6 mai 2000. Et qu'il y aura près de 150 personnes autour de la table pour le mariage de Marie-Christine et de Philippe. Et qu'il y aura finalement, en plus, une pièce montée. Bon vent et souquez ferme, matelots !

Chronique 35 (2/5/2000)

Quand revient l'été superbe,
Je m'en vais au bois tout seul:
Je m'étends dans la grande herbe,
Perdu dans ce vert linceul.
Sur ma tête renversée, Là, chacun d'eux à son tour,
Passe comme une pensée
De poésie ou d'amour!
Voici le papillon Faune,
Noir et jaune; Voici le Mars azuré,
Agitant des étincelles
Sur ses ailes
D'un velours riche et moiré. Je venais de relire quelques textes de Gérard de Nerval, et j'avais profité de ce beau pré dense et doux pour m'allonger au soleil de printemps. Ah ! L'extase, le bonheur simple de s'assoupir dans la verdure, sous les chauds rayons du soleil, en écoutant les bavardages des oiseaux et la gaie chanson d'un filet d'eau courant à travers champs. Le bonheur en quelque sorte ! Je me réveillais brusquement en recevant quelques projectiles, inoffensifs heureusement. C'était la mutine Jylgie qui m'envoyait quelques pois gourmands pour me réveiller.
" Tu viens m'aider à en ramasser ? Au lieu de rêver de je ne sais quelle princesse des elfes ? "
Bondissant par surprise, tel un félin souple et puissant, je l'attrapais vivement et la renversais sur l'herbe douce. (Il faut dire surtout qu'elle ne chercha pas à s'échapper durant les cinq bonnes minutes que me demanda cet acte fauve.)
Après avoir en riant roulé dans l'herbe, nous partîmes ramasser les pois gourmands. Ils étaient d'une telle tendresse, ils avaient une telle odeur, ils avaient aussi une telle saveur, que nous riions à nous les passer sous le nez, sous la dent.
" Goûte celui-là, il est encore meilleur ! "
" Et celui-là ! Une telle tendresse, et cette odeur quand on l'écrase sous les doigts ! Sens-moi ça ! " L'après-midi passée à folâtrer, il fallut bien renter. Et cuisiner notre butin.
Que je choisis de faire à la française, à la façon des petits pois. Faites fondre un bon morceau de beurre dans votre cocotte.
Ajoutez un cœur de laitue, coupé en morceaux, un bouquet garni, puis vos pois gourmands.
Sel, poivre, sucre.
Couvrez à moitié d'eau tiède, et après avoir bien mélangé, couvrez votre cocotte et laissez cuire à petite ébullition pendant 30-40 minutes.
Lorsque les pois sont cuits, liez avec un peu de beurre manié et servez chaud. Inutile de vous dire que vous allez vous régaler, en repensant à votre pré d'herbe tendre et aux gazouillis des oiseaux. Parce que c'est le printemps !


Chronique 36 (9/5/2000)

" Pourquoi tu cours comme ça, gamin ? C'est la camarde qui te poursuit ? Si c'est elle, c'est pas la peine de courir, elle te rattrapera. Sinon, et bien prends le temps de vivre, alors. "
Ainsi me parlait, il y a bien longtemps, un ancêtre rencontré au-devant de sa cabane, et de temps en temps j'aime à me rappeler son souvenir. En me disant " C'est comment qu'on freine ? ". Je cheminais alors parmi les volcans d'Auvergne, et après avoir avalé le Puy-Mary, j'avais prévu de redescendre vers Le Lioran pour y passer la nuit et me ravitailler, avant d'attaquer le lendemain le Plomb du Cantal. Mais parti le matin de Condat, j'avais perdu quelques repères en route et donc pris du retard sur mes horaires. En plus j'avais vraiment les galoches lourdes. Et c'est en descendant vers le col de Cabre que j'avais perdu à nouveau ma route, alors que le soleil était déjà bien bas. " Pourquoi tu cours comme ça, gamin ? " Et c'est vrai que le paysage était grandiose : ces successions de monts et de vaux, ces herbages et ces brumes, ces odeurs et ces couleurs mordorées. Il était vraiment dommage de ne point en profiter, sous prétexte d'énervement dû à un retard prévisible sur des horaires calculés trop justes.
Tout était paisible, calme, serein. Un vent léger apportait quelques senteurs de fleurs et d'herbes chauffées sous le soleil. C'était bien pure bêtise que ne pas profiter du moment présent. " Lioran ? Et si tu y es que demain ? Quelle importance ? Le village va pas s'en aller cette nuit. Tu pourrais dormir ici cette nuit, ça me ferait de la compagnie pour une fois. Et ne t'inquiètes pas pour le repas, j'ai une falette sur le feu. "
" Tu sais pas ce que c'est, la falette ? Pas étonnant, c'est pas un plat pour gens pressés. Toutes les bonnes choses sont comme ça : il faut prendre son temps pour que ce soit meilleur. Elles mijotent tout doucement, petit à petit. Mais attention ! Il ne faut pas les abandonner en se disant qu'on reviendra plus tard ! Il faut bien leur montrer qu'on est toujours présent, attentionné, disponible et qu'on l'attend sans s'énerver.
La cuisine, c'est pareil ! La cuisson doit être douce et longue, pour que tous les sucs se répandent et se mélangent. Pour que l'alchimie se réalise. " En entrant dans la cabane, puisqu'il fallait donner un tour de cuillère au chaudron fumant, j'eus les narines en émoi et ma décision de rester pour la nuit se fit en un clin de papilles. Sur une vieille cuisinière en fonte dont la cheminée brinquebalante fuyait un peu, trônait un immense chaudron noirci par les flammes et dont les doux clapotements étaient une chanson douce et délicieuse à mes oreilles affamées. Je repartis le lendemain, transformé et ragaillardi. Non seulement par un excellent repas, mais surtout par une conversation philosophique bien plus intéressante que les cours de la Faculté.
Et c'est pourquoi, de temps en temps, dans certains moments de stress, je me remémore mon vieux d'Auvergne et je me dis " C'est comment qu'on freine ? "
RECETTE DE LA FALETTE (Larousse Gastronomique - et non ! Je n'ai pas conservé celle de mon vieux d'Auvergne….)
Désosser 2 poitrines de mouton et les assaisonner. Hacher 300 g de vert de bette, 200 g d'épinards, 50 g de persil, 2 gousses d'ail et 1 gros oignon; mélanger avec 100 g de mie de pain trempée dans du lait et 100 g de chair à saucisse ; saler et poivrer. Poser les poitrines désossées à plat sur de la barde de lard (500 g), les garnir de farce sur toute la longueur, refermer en rouleau et ficeler. Faire revenir les deux falettes avec 200 g de gros oignons et 100 g de carottes coupées en rondelles. Déglacer la cocotte au vin blanc et mouiller à hauteur, de préférence avec du fond de mouton. Ajouter une demi-tête d'ail et 1 bouquet garni, et faire cuire à couvert, à four moyen, pendant 2 h 30. Faire blanchir 500 g de haricots écossés (cocos) que l'on aura fait gonfler pendant 2 heures dans l'eau froide. Les rafraîchir. Faire suer 100 g de gros oignons, 100 g de jambon d'Auvergne et 100 g de tomates, coupés en dés. Ajouter les cocos, 1 bouquet garni, mouiller à hauteur avec du fond de mouton et faire cuire à couvert, à frémissements, pendant 1 h 30 environ. Retirer les falettes, les laisser un peu refroidir, les déficeler, ôter la barde et couper en tranches. Napper avec le jus de cuisson passé et réduit, et servir avec les haricots fondants à part. "

Chronique 37 (15/5/2000)

Les beaux jours enfin là, sont aussi revenus les envies de nettoyages, de dépoussiérages-à-fond et de mise-à-l'air des tapis et autres faridondaines. Et donc, comme tout un chacun, je me suis employé, petitement, à mon ménage de printemps et le soir venu, après avoir aussi nettoyé le balcon, j'y fumaillais une dernière cigarette, accoudé enfin sans risque de salissure.
" Qu'elle est la signification exacte de l'expression 'faire de la cuisine', s'il vous plait ? "
Je tournai la tête de droite et de gauche pour voir qui m'interrogeait de si curieuse façon.
" Ne cherchez pas à nous voir, nous ne sommes pas vraiment là. Nous venons d'un autre système solaire, de la planète XY24 exactement, et nous cherchons à comprendre votre monde. Vous ne pouvez pas nous voir, car seules nos expressions peuvent voyager. Mais répondez à notre question, s'il vous plait, car nous ne comprenons pas bien. "
J'écrasais ma cigarette après lui avoir jeté un regard suspicieux et rentrait bien vite dans mon appartement. Que m'arrive-t-il ? Je rêve éveillé maintenant ? La faim sans doute, puisque j'avais oublié de me restaurer.
Mais ni le petit mâchon, ni le verre de vin ne réussirent à éloigner les pensées importunes.
" Ne croyez pas que ce soit votre imagination, ou la fatigue. Nous sommes à côté de vous, et nous souhaitons discuter. Pour cela, vous n'avez pas besoin de remuer votre bouche. Il vous suffit de penser votre message en nous choisissant comme destinataire. Pour cela penser d'abord : Destinataire : XY24-ZER12, et ensuite votre message qui nous parviendra. " Et je dus me résoudre à avoir une folle conversation mentale, lors de laquelle j'expliquais ce que c'était que la nourriture ( " Vous ingurgitez des êtres vivants ! " ) et les diverses façons de la préparer et de l'accommoder, la gastronomie et la cuisine familiale, les produits de terroir et les cochonneries industrielles, et bien d'autres choses encore. C'était amusant, finalement, de lire pour eux quelques recettes et extraits de livres.
Lorsque, tard dans la nuit, ils émirent le souhait que je leur prépare quelque chose, j'eus quelque difficulté à leur faire comprendre que je n'avais pas ce qu'il me fallait sous la main, et que j'avais besoin de dormir, mais que je réaliserai leur souhait dès le lendemain.
Sans même aucune nouvelle de la part de mes étranges visiteurs, je fis néanmoins quelques emplettes et entrepris la préparation d'un sabodet vigneronne. Lorsque je me surpris à penser :
" Destinataire : XY24-ZER12. Maintenant que nous avons réduit le jus de cuisson de moitié, nous pouvons lier la sauce avec du beurre manié. "
" D'accord. J'ai bien enregistré, et je t'ai vu préparer le beurre manié avec la farine. Continue. " Très bien. Ils étaient donc là depuis le début. Lorsque tout fut prêt et que leur signalai que cela se dégustait chaud, ils me demandèrent de déposer le plat sur le balcon. Une petite difficulté technique les empêchant d'emporter le plat à partir de l'intérieur. J'avais à peine déposé ma cocotte chaude qu'elle disparut !
Je ne m'en étonnais pas : je n'étais plus à une surprise prêt. J'allais donc me coucher en rêvant de voyages inter-stellaires et d'aventures cosmiques. Le lendemain matin, en ouvrant mes volets, je trouvai ma cocotte de retour sur le balcon. Vide et toute propre. Sympas, ils avaient même pensé à me la nettoyer. Lorsque je m'en saisis, je reçus une pensée :
" Nous te remercions pour ta gentillesse. Le Sabodet vigneronne a beaucoup plu et le concept de gastronomie va certainement être adopté sur notre système. En remerciements, nous te déposerons ce soir, sur le balcon, un cadeau. Nous l'avons choisi en examinant tes rêves des derniers jours afin de savoir ce qui te plairait le plus. Tu verras, cela te plaira : nos bionistes ont bien travaillé. "

La recette du Sabodet Vigneronne, qui est donc désormais connue ailleurs dans l'Univers :
Ingrédients : 1 sabodet de 1 kg, 100 g d'échalotes, 1 litre de Beaujolais, 250 g. de champignons, bouquet garni, sel, poivre, beurre.
Faire revenir dans une cocotte les échalotes hachées dans du beurre sans les faire dorer. Verser le Beaujolais et faire cuire 10 min.
Piquer le sabodet et le plonger dans le vin. Ajouter le bouquet garni et faire cuire à petits frémissements pendant 25 min.
Blanchir les champignons et les faire revenir au beurre.
Retirer le sabodet sur un plat de service et continuer la cuisson pour réduire le jus de moitié.
Lier la sauce avec du fond brun ou à défaut du beurre manié
Ajouter les champignons puis arroser le sabodet avec l'ensemble
Laisser mijoter encore une minute et servir.

Chronique 38 (23/5/2000)

Je me promenais dans les bois, pensant y trouver calme et solitude, propices à l'imagination d'une prochaine chronique, mais j'étais sans cesse distrait par les chants d'oiseaux, les bruissements furtifs dans les fourrés, les traces curieuses découvertes ici ou là. Et ce fut donc par inadvertance que je m'engageais dans un chemin inhabituel et me retrouvais ainsi dans un secteur de la forêt que je ne connaissais pas.
Je m'en rendis compte soudainement en remarquant qu'il n'y avait plus de bruit : plus de chants d'oiseaux, plus de bruissements, même plus de vent léger aux cimes des arbres. Le grand silence immobile. Je poursuivais étonné ce chemin et parvins dans une clairière ensoleillée.
En son centre, un étonnant assemblage de hauts buissons m'attira. Et m'en approchant je constatai que cela formait une petite maison. Mais les buissons s'avéraient être des légumes ! Les murs étaient constitués de petits pois et de haricots grimpants, le toit était d'aubergines et tomates entre-mêlées, au bord des fenêtres, des fanes de carottes. Je goûtais les petits pois juteux, lorsque la porte s'ouvrit et une superbe jeune femme rousse, grande et bien galbée, sortit avec un balai à la main.
" Ne vous gênez pas ! Mangez ma maison, espèce de chenapan ! "
Je ne me laissais pas décontenancer et lui inventais sur-le-champ une histoire abracadabrante.
" On me l'avait dit, mais je ne voulais pas le croire. Je travaille au bureau d'urbanisme de la préfecture et je suis venu vérifier la conformité de votre maison. Savez-vous que vous êtes totalement hors-la-loi, madame Lasorcière ? D'après votre permis de construire, vos murs devraient être en pain d'épice, les charpentes en sucres d'orges et autres confiseries, les portes en chocolat, etc. Nous allons être obligés de vous condamner à démolir. Je ne vois pas d'autre issue. Sans compter l'amende qui va vous être infligée. "
La jeune femme se mit à geindre, à pleurnicher, en se tordant les mains.
" Mais je n'aime pas les sucreries, moi. Je ne sais pas pourquoi l'architecte a rédigé les plans dans ce sens. Moi je lui avais demandé de faire la demande de permis avec des légumes. C'est tellement plus solide de toute façon. Et plus élégant. Entrez donc, vous verrez. "
Je m'en gardais bien, me doutant bien que par un subterfuge elle parvienne à m'enfermer dans sa cage. Je me contentais d'emporter des preuves du délit constitué, lui promettant qu'elle aurait bientôt de nos nouvelles. A moins que d'ici là, elle ait refait sa maison en respectant les détails du permis de construire. Et je rentrais d'un bon pas décidé, emportant de quoi me faire le soir même un excellent plat printanier. J'ai su plus tard qu'elle se plia à mes conseils. En lisant les journaux, j'ai appris la pénible aventure de Hansel et Gretel.

jarret de veau aux légumes printaniers :
(recette de Georges Blanc)
Ingrédients pour 6 personnes 1 jarret de veau de 1.5 kg, 1 bol de petits pois frais écossés, 1 bol de carottes nouvelles coupées en dés, 1 bol de pommes de terre nouvelles coupées en dés, 1/2 bol de petits oignons nouveaux, 1 os à moelle, 1/2 litre de consommé (facultatif), 30 g de beurre, 2 cuillères à soupe d'huile, 30 cl de crème fraîche, 1/2 citron.
Persil, sauge fraîche ou ciboulette, 1 bouquet garni, sel et poivre du moulin Faire saisir et dorer uniformément le jarret sur toutes ses faces dans le mélange de beurre et d'huile. Saler et poivrer.
Mouiller avec le consommé ou, à défaut, avec de l'eau. Mettre le bouquet garni. Laisser cuire 1 h 1/2.
Ajouter alors les légumes nouveaux. Laisser mijoter 1/4 h à 20 mn.
10 mn avant la fin de cuisson, ajouter l'os à moelle après avoir salé les deux coupes internes.
Après cuisson, découper le jarret en tranches minces sur un plat chaud. Disposer les légumes autour comme une jardinière.
Verser la crème fraîche dans le fond de la cocotte. Laisser légèrement réduire et épaissir. Arroser les légumes de cette sauce, après l'avoir passée au chinois fin et rectifiée, sel, poivre et un trait de jus de citron. Parsemer de persil haché et de sauge ou de ciboulette.

Chronique 39 (30/5/2000)

Le froid commençait à nous engourdir, petit à petit. Depuis une heure assis dans cette vieille église d'un petit village du terroir, nous devions de temps en temps faire rouler nos muscles pour ne pas trop souffrir. Elle était très belle, cette vieille église, mais pas chauffée. Et ce mois de mai capricieux retrouvait quelques fraîcheurs éprouvantes. Et depuis une heure, mes yeux avaient pu faire le tour de toutes ces vieilles pierres, des défauts d'assemblage, des périodes historiques différentes qui l'avaient façonnée.
Une seule personne, visiblement, ne souffrait pas du froid, c'était le chanteur. Après un début délicat à mettre en place (la voix non chauffée certainement), ce petit homme frêle, tout habillé de noir et les cheveux en auréole, rayonnait de bonheur à nous psalmodier ses chants grégoriens français. Entre chaque passage, il rouvrait les yeux et nous montrait sa joie, son immense plaisir, à nous faire découvrir ces mélanges de styles orientaux et byzantins. Son sourire espiègle, ses yeux ravis, nous réchauffaient un moment.
Puis refermant les yeux, après s'être saisi de sa flûte traversière, il se reconcentrait en jouant quelques morceaux frais et sages.
Au bout d'une heure et demie, tétanisés, nous eûmes le droit d'applaudir, sans exagérations excessives, au vu de la voûte qui parfois laissait s'égrener quelques grains de sable. Après quelques cigarettes et verres de vin chaud, et avec quelques privilégiés, nous eûmes droit à une légère collation préparée par le prêtre de cette petite paroisse. Et ce fut une nouvelle émotion : évidemment curieux du Moyen-Age, il nous avait préparé un blanc-manger de pure tradition. Dont il aimait à raconter qu'il en avait trouvé le manuscrit dans la crypte de son église, datée du VIIème siècle.
La conversation roula naturellement sur les apports divers de notre culture, ses racines orientales et byzantines, grecques, latines ou barbares.
Et chacun arborait un immense sourire, empreint de sérénité. Le bonheur est fait aussi de ces moments-là, où l'on découvre encore un peu plus les autres, dans la diversité de leurs cultures.

BLANC-MANGER
1 poule fermière, 300 g de porc salé (ou autre viande salée), 400 g d'amandes pelées (ou poudre d'amande), 1 grenade ou 100 g d'amandes non pelées, 30 g de riz (ou de crème de riz), 8 g de sel sucre selon le goût
Cuire la poule à l'eau avec la viande salée, pendant une heure environ.
Préparer le lait d'amandes : pulvériser les amandes; les couvrir de 75 cl d'eau ou de bouillon de poule dégraissé; mettre sur le feu jusqu'à ébullition; passer au chinois en pressant bien avec le pilon. Faire un peu réduire sur le feu.
Hacher et broyer les blancs de la poule et mélanger cette purée au lait d'amandes (ou passer le tout au mixeur jusqu'à consistance bien homogène).
Saler, et sucrer à votre goût. Remettre sur le feu en tournant et épaissir avec la crème de riz. Quand le blanc-manger a une consistance pâteuse, le verser dans un plat de service et décorer avec des grains de grenade bien rouges (ou 100 g d'amandes non pelées que l'on aura préalablement fait frire à la poêle pour en aviver la couleur). Servir chaud ou froid, à votre goût.