" T'es gentil, toi ! T'es mon copain. "
Vous ne vous souvenez certainement pas de cette chronique de janvier 1999, mais
moi, je me souviens parfaitement du petit Roland qui me disait cela, et de sa
jolie mère brune, au sourire marqué d'amertume.
Et cet été, promenant encore et toujours du côté
des Monts du Lyonnais, je m'arrêtais auprès d'un étang avec
une impression de déjà vu. Remontant l'écheveau de mes
souvenirs, et empruntant toutes les petites routes alentour, je finis par m'arrêter
devant une ferme. Pas de brouillard cette fois, mais la grange était
là, la margelle du puits identique, la cour et la maison. Un parterre
de fleurs en plus, et moins de bric-à-brac abandonné.
Comme j'étais là, planté à ressasser mes souvenirs,
un homme jeune, la trentaine, m'interpelle :
" Vous cherchez quelque chose ? "
Sortant de mes nuées, je lui réponds en lui parlant vaguement
de ma première visite ici, et comme je passais par là, je m'arrêtais
pour saluer les gens aimables qui m'avaient accueilli.
" et, comment dire,
hum
, vous savez où elle est allée
? "
" Ah ! Où elle est la folle !
Ah Ah Ah"
C'est alors qu'intervint une jeune femme, sortant du poulailler. " Arrête
de dire des conneries sur elle. Elle était pas folle du tout. Elle avait
simplement pas envie de se mettre avec un bouseux comme ton frère. Et
y a des jours où je me dis que j'aurais bien du faire comme elle. "
Elle m'expliqua donc que la jolie femme brune avait refusé tous les
partis à la ronde, qu'elle attendait qu'un homme charmant, sensible et
amoureux vienne la chercher. Le père de son petit Roland était
ainsi, mais un accident de la route, imbécile et mortel, l'avait empêché
de venir les chercher. Certains d'ailleurs, dans le canton, se demandent un
peu ce que faisait ce tracteur sur cette route à cette heure-là.
Et depuis, elle attend le retour d'un prince charmant.
Elle racontait qu'un jour il était venu, sortant du brouillard et emmené
par son père. Que la nuit dans la grange fut douce et belle. Et qu'en
repartant au matin, il avait promis de revenir.
Mais ne le voyant pas revenir, au bout de plus d'un an, elle avait décidé
de partir, là-bas, dans une cabane, tout là-haut dans la montagne.
" Et les parents ? "
" Eux, ils sont partis quelques jours après. Ils nous ont vendu
la ferme vite fait et leurs fils sont venus les chercher. Ils ont tout emporté.
Sauf ça. Et je crois que c'est pour vous. Ils ont dit que si un jour
un homme venait demander des nouvelles de leur fille, il fallait le lui donner.
"
Alors elle me donna un pot de confiture. Il y avait une simple étiquette
: " Pour toi. "
Mais lorsque je l'eus goûté, je découvris un mélange
de délicieuses saveurs. C'était une espèce de chutney,
doux et fort, mélangeant aubergines et poires.
J'ai essayé de le reproduire, en souvenir de la jolie femme brune au sourire d'amertume, mais il y manque encore quelque chose. Peut-être quelques larmes ..
Épluchez 4 aubergines et coupez-les en gros tronçons. Faites-les
dégorger au gros sel, 30 minutes. Hachez menu 1oignon et 2 gousses d'ail
et mélangez bien. Égouttez les aubergines et pressez-les pour
extraire le jus.
Faites-les revenir dans l'huile avec 5 morceaux de sucre, le sel, l'oignon et
l'ail hachés, thym, laurier, gingembre, piment et poivre. Recouvrez de
3 verres d'eau.
Laissez cuire à feu vif pendant 30 minutes environ, le temps que tout
soit réduit en compote. Remuez de temps à autre pour que cela
n'attache pas.
Pendant ce temps, pelez 3 poires, enlevez la queue et laissez-les entières.
Posez-les dans une casserole où vous aurez mis un verre d'eau, 10 morceaux
de sucre, une cuillerée à soupe de miel et 2 verres de vinaigre.
Laissez cuire à petit feu 30 minutes (les poires doivent être encore
un peu fermes).
Laissez-les refroidir, puis coupez-les en petits cubes, que vous incorporerez
à la purée d'aubergines. S'il le faut, rectifiez l'assaisonne
ment.
Mettez en bocal (préalablement ébouillanté), fermez hermétiquement.
Et ne me demandez pas pourquoi je vais souvent me promener au hasard des montagnes.
Or donc, une fois de plus, j'étais simplement assis là, dans
un pré à flanc de montagne. Et j'écoutais simplement la
symphonie calme des cloches des vaches, lézardant au doux soleil de cette
fin d'été.
Le paysage des montagnes alentours n'était pas magnifique, mais simplement
beau. Et calme.
Mon regard s'arrêta néanmoins sur le flanc de montagne en face
de moi. Il y avait un pré, et des vaches dans ce pré. Et une femme
assise, simplement assise à écouter visiblement la symphonie des
cloches.
Je lui fis un signe du bras, auquel elle répondit. La distance à
vol d'oiseau n'était pas bien grande, mais suffisante pour empêcher
tout dialogue. Je lui fis signe alors que je venais la rejoindre.
Arrivé dans la vallée, je laissais ma voiture sur un parking et
me dirigeais allègrement vers le chemin montant, lorsque mon élan
fut arrêté brusquement par un homme en uniforme : " Papiers
d'identité, Monsieur, s'il vous plait ! "
Allons bon, une douane !!! J'étais donc si proche de la Suisse ? Et bien
sûr, mes papiers étaient restés dans mon blouson, abandonné,
vu la chaleur, dans le coffre de la voiture.
Allons les chercher, me dis-je, et voilà-t-il pas que 10 mètres
après un autre homme en uniforme m'arrête.
" Papiers d'identité, Monsieur, s'il vous plait ! "
" Ben, justement, je vais les chercher dans ma voiture, là-bas.
Je ne savais pas que la frontière était là. "
" Ah oui, mais sans papier, je ne peux pas vous laisser entrer en France.
"
" Mais je viens d'en sortir ! Vous avez dû me voir ! "
" Désolé, mais nous ne surveillons pas les sorties. Seulement
les entrées. "
La situation devenait kafkaïenne. Mais je finis par avoir une idée, heureusement. Me juchant sur un monticule, miraculeusement présent dans cette zone franche où je me voyais réduit, je fis des signes à la Belle sur son flanc de montagne. Elle eut l'intelligence de comprendre mon signe, et l'humeur d'accéder à ma demande. Comme elle avait eu la bonne idée de conserver ses papiers sur elle, elle n'eut aucune difficulté à traverser la frontière et aller jusqu'à ma voiture prendre mon blouson.
Nous remontâmes donc ensemble sur son flanc de montagne suisse pour écouter, côte à côte, la symphonie des cloches de vaches. A dire franchement, bien que n'étant pas spécialiste, je n'ai pas remarqué beaucoup de différences avec celle des vaches françaises.
Au bout d'un moment, elle me proposa de venir dans son abri de montagne découvrir
et goûter ses bricelets.
Je dus avoir l'air un peu ahuri, car elle se mit à rire (un rire clair
avec des éclats vanille dans ses yeux noisettes) et m'expliqua les bricelets.
Que j'ai dégusté longuement et savoureusement, faisant honneur
aussi à une bouteille de Dole blanche qu'elle avait mise au frais.
Les bricelets :
Ce sont des gaufres très fines, cuites dans un "fer à bricelets
" carré ou rond, aux reliefs très variables. Chaque région
de Suisse propose sa recette de bricelets à pâte épaisse
ou claire, souvent sucrée pour accompagner les glaces, les crèmes
ou le café. Des variantes salées, parfumées de graines
de cumin pilées ou de fromage, se dégustent à l'apéritif.
La pâte cuit en quelques secondes. Les bricelets sont immédiatement
roulés ou pliés en quatre.
La recette des bricelets vaudois :
Faire mousser 60 g de beurre avec 100 g de sucre. Ajouter 1 oeuf entier plus un jaune, 2,5 dl de crème fraîche et 1 pincée de sel. Râper le zeste d'un citron, mélanger, puis ajouter 200 g de farine tamisée. Travailler rapidement la pâte, puis en verser de petites parts sur le fer à l'aide d'une louche ou d'une cuillère. Exercer une pression plus ou moins forte selon l'épaisseur souhaitée.
Vous prenez une belle journée de fin d'été, un soleil
encore chaud mais une petite fraîcheur aussi à l'ombre des arbres
dont les feuilles parfois sont caressées d'une petite brise.
Ce serait dans un parc verdoyant de centre ville, comme une journée de
vacances supplémentaire, imprévue et accordée soudainement.
Les gens seraient gais et nonchalants. Et l'on serait assis à une petite
table, en terrasse d'un restaurant installé autour d'un ancien kiosque
à musique ; veste tombée, manches relevées, quelques perles
de sueur parfois délicatement sur la tempe, les paumes un peu moites.
Avant de commander les plats, on aurait pris pour l'apéritif une bouteille
de Dole Blanche, bien fraîche, ronde en bouche. Une saveur d'été.
Et la conversation roulant aimablement, tout doucement on l'aurait fini en riant.
" Tiens, on a déjà fini la bouteille ! "
" Ouh la la ! Mais je vais être pompette ! "
En commandant les plats, choisis pas trop lourds, on n'oublierait pas d'en commander
une seconde, histoire de rester sur le même ton, sereinement badin.
Mon onglet à l'échalote était accompagné d'une petite
galette de pomme de terre.
" C'est un roesti, une spécialité de chez nous. Je suis certaine
que tu vas aimer. "
Cela ressemble un peu aux criques paillasson ou à la râpée
stéphanoise, croquant à l'xtérieur et moelleux à
l'intérieur, avec ces saveurs d'oignons et de lardons.
La seconde bouteille finie, on déciderait de marcher un peu, tout de
même, et de profiter de cette fin d'après-midi superbe.
Et l'après-midi de cette journée magique se poursuivrait ainsi.
Un temps nonchalamment alangui, des sourires sur tous les visages, quelques
pas faits de-ci de-là, autour du parc ou le long du lac, même les
voitures seraient calmes et ralenties.
Le soleil imprévu, sans doute, avait créé cette ambiance
délicate d'un temps au ralenti. Comme si l'on avait bénéficié
d'heures supplémentaires de vie. Il mit longtemps à se coucher,
le soleil, comme à regret, laissant dans le ciel bleu des camaïeux
orangés, à l'horizon, au-dessus des montagnes.
Et la journée tout doucement se dirigea vers la nuit. Une journée
où l'on aurait pu, sans y prêter attention, tellement l'on était
pris par le plaisir des discussions, marcher sur l'eau du lac sans déranger
même personne les cygnes ni les barques.
La recette des Roesti Bernois. (d'après une recette transmise par René
Gagnaux)
Cuire les pommes de terre en robe des champs la veille.
Hacher des oignons et les faire revenir dans le saindoux.
Faire revenir aussi des petits lardons.
Peler les pommes de terre froides, les passer a la râpe à roesti
(râpe grossière, a trous d'environ 4 a 6 mm). Bien mélanger
les pommes de terre avec les oignons hachés et les lardons.
Chauffer le saindoux dans une poêle, ajouter les pommes de terre. Saupoudrer
avec le sel, laisser dorer en retournant plusieurs fois, de manière que
les pommes de terre s'imprègnent bien de graisse. Former ensuite une
galette, couvrir et laisser dorer la croûte de dessous pendant 15 a 25
minutes (il est nécessaire de couvrir: la vapeur d'eau emprisonnée
se condense sur le roesti et lui donne du moelleux).
Repartir le beurre au bord de la poêle, laisser fondre, attendre encore
cinq minutes, puis retourner les roesti sur un plat chaud ,de manière
a avoir le dore dessus - et servir.
Les roesti devraient toujours être servi immédiatement, ils peuvent toutefois être gardes au chaud pendant une a deux heures dans le four préchauffé a 60 degrés.
Dans un de ces villages de montagne que je fréquente depuis quelques
temps, j'avais entendu parler de fées, habitant quelque part dans une
caverne de la montagne. L'une d'elles se laissait parfois apercevoir, le dimanche
des Rameaux, menant en laisse une chèvre blanche comme la neige, si l'année
devait être abondante, ou une chèvre noire comme un corbeau, si
l'année devait être frappée de mauvaises récoltes.
Certains ajoutent même qu'il se disait que quelqu'un, il y a longtemps,
l'avait vue se baigner aux sources fraîches de la rivière. Et bien
sûr qu'elle était belle comme jamais on n'avait vu de femme belle.
Evidemment, comme toute personne sensée, je ne prêtais aucune véracité
à ces légendes.
Mais donc, un jour, me promenant comme à l'accoutumée, et essayant
de suivre un oiseau rieur à travers les buissons, lorsque j'aperçus,
à travers des ronces touffues, l'entrée d'une caverne, je me ressouvins
de la légende des fées. M'approchant et me frayant un chemin à
l'aide de mon couteau de poche, je parvins, au prix de nombreuses écorchures,
à pénétrer dans la caverne. Elle était sombre bien
sûr, mais surtout totalement déserte de quelque trace que ce soit.
J'allais ressortir, lorsque je sentis sur ma nuque un léger courant d'air.
Grâce à la fumée d'une cigarette j'en découvris l'origine
: une large fente, au détour d'un rocher, qui s'ouvrait vers le haut.
Grimpant avec appréhension, je réussis à me hisser à
un étage supérieur.
J'y découvris une pièce, éclairée d'une lumière
douce et fraîche, mais dont je ne voyais pas l'origine. Elle était
délicatement décorée de tentures vert sombre, de quelques
meubles et d'un lit à l'apparence si douillette que je m'y allongeais
un moment.
A mon réveil, une belle femme se tenait à mes côtés,
vêtue d'une simple longue robe blanche, et son sourire était si
doux, si tendre, que lorsqu'elle me tendit la main, je la suivis sans rien dire.
" Tu dois avoir faim. Assieds-toi et partage mon repas. "
Ce repas fut une succession de plats délicieux et suaves, accompagnés
de vins aux couleurs sombres et aux arômes fruités.
Imaginez ma joie lorsqu'elle me servit, accompagnées de figues rôties
et fondantes et de tagliatelles légèrement assaisonnées
de sauce, des petites portions de viandes délicatement grillées
et cuites à cur, ayant pris le goût des figues et de quelques
oignons confits. Je ne reconnus pas vraiment cette viande, mais cela ressemblait
à un petit volatile désossé et reconstitué.
Je m'en régalais, les yeux émus et les papilles en sarabande.
Voyant le plaisir que je prenais à sa table, elle me sourit.
" Ton plaisir est le mien. Tu pourras donc repartir et retourner chez toi.
Et revenir me voir, aussi souvent que tu le voudras. Mais si tu trahis le secret
de ma caverne, tu seras maudit à jamais, et je te ferai perdre la mémoire
et le goût. "
" Je te promets de revenir et de ne jamais dire à quiconque où
se trouve ta caverne. Mais puis-je connaître et partager la recette de
ces merveilles aux figues ? " lui répondis-je.
" Je veux bien te donner la recette, mais attention. Elle fait partie du
secret, et tu ne dois la dévoiler à quiconque. Je sais bien que
cela sera pour toi le plus difficile, mais c'est ton épreuve si tu veux
pouvoir revenir.
Et je souhaite moi aussi que tu reviennes. "
Je repartis bien plus tard, le cur en joie et la recette écrite
au plus profond recoin secret de ma mémoire.
Et bien entendu, je ne vous la donnerai pas.
A chacun de découvrir sa caverne cachée et d'y déguster ses recettes secrètes.
Post-scriptum :
J'ai reçu un message la nuit dernière, qui me disait en quelque
sorte ceci :
" Je vois que malgré la difficulté, et la tentation, tu as
su garder mes secrets. Tu as su te montrer fort face à l'épreuve.
Pour te montrer combien je t'en sais gré, je t'autorise maintenant à
dévoiler la recette que je t'ai offerte. Mais seulement la recette !
A très bientôt. "
Vous l'avez deviné, c'était la Fée qui me déliait
d'une partie de notre secret, afin de vous en faire profiter.
Alors voici la recette des Cailles désossées aux figues.
Pour 2 personnes 4 cailles bien dodues désossées, 8 figues fraîches (noires ou vertes, bien Mûres), 2 oignons, 2 cuillerées à soupe de vinaigre de Xérès, 1 cuillerée à soupe de miel, 1 cuillerée à soupe d'huile d'arachide (ou de tournesol), 2 grosses noix de beurre, sel et poivre.
Épluchez les oignons et émincez-les finement. Dans une poêle, faites fondre une noix de beurre avec 1/2 cuillerée d'huile, faites-y revenir doucement les oignons.,
Pendant ce temps, faites chauffer ce qui reste de beurre et d'huile dans une cocotte et faites-y dorer les cailles sur toutes les faces. Salez et poivrez à votre goût.
Essuyez soigneusement les figues, coupez-leur la queue, puis fendez-les en quatre, mais sans aller jusqu'au bout, de façon à former une sorte de fleur aux pétales épanouis.
Égouttez les oignons dorés, en jetant la graisse en surplus et mettez-les au fond d'un plat allant au four. Déposez les cailles refermées par dessus et disposez les figues ouvertes tout autour et dessus. Dans un bol, mélangez le miel et le vinaigre et versez cette sauce sur les figues et les cailles. Mettez à four très doux (4-5 au thermostat) pendant environ 15 minutes.
Retirez les cailles et gardez-les au chaud. Versez une verre de Noily-Prat
dans le plat et faites réduire à feu doux, en essayant de ne pas
défaire les figues.
Goûtez la sauce, rectifiez si nécessaire et servez bien chaud,
soit dans le plat de cuisson, soit sur un plat de service tenu au chaud.
Vous pouvez accompagner ces cailles de tagliatelles fraîches.
Il avait fallu me lever tôt. Disons même vraiment très tôt, puisque j'avais rendez-vous à quatre heures au croisement de la route de Saint-Julien et de la route forestière qui s'enfonce vers le sommet. Avec Robert, le plus fameux braconnier de la région, paraît-il, rencontré quelques jours auparavant dans le petit restaurant où j'avais pris mes habitudes pendant ces vacances bucoliques. Et il avait accepté de m'emmener avec lui, faire la tournée de ses collets et autres pièges, grâce auxquels il fournissait discrètement plusieurs restaurateurs et charcutiers des environs.
Nous avions marché d'un bon pas, totalement silencieux, après
les quelques salutations d'usage, et nous étions enfoncés profondément
dans la forêt sombre, à travers de petits chemins. Le soleil n'était
pas encore levé, mais le ciel s'éclaircissait du côté
de l'Est. Robert s'était engagé dans un taillis et mit un genou
en terre en écartant de la main les broussailles.
" Ah ben ça alors ! "
En se relevant, il me fit signe de me taire et nous repartîmes plus loin.
Après plusieurs arrêts, et les mêmes gestes répétés,
je sentais monter en mon braconnier comme un énervement et une profonde
incompréhension. Enfin lorsqu'il s'arrêta et s'assit sur une souche
d'arbre, en laissant tomber sa sacoche à terre, je compris qu'il allait
s'expliquer.
Le soleil était maintenant levé, les oiseaux chantaient, et le
braconnier avait la mine défaite.
" C'est la première fois que je ne ramène rien. Et pourtant,
je les connais comme ma poche ces coins. "
" Quelqu'un serait passé avant nous ? " osais-je questionner.
" Non ! J'aurais vu les traces. Non. Simplement les lièvres ne sont
pas passés par leur chemin habituel cette nuit. Et les oiseaux non plus.
Comme s'ils avaient été prévenus. Et ne croyez pas que
j'avais mal posé mes collets et lacets : depuis 30 ans, je sais y faire,
sans laisser de traces ni d'odeurs. Non. Les animaux ont été prévenus
: la preuve, on ne voit aucune trace fraîche de leur passage. Et pourtant,
ils passent toujours aux mêmes endroits. Donc, ils ne sont pas passés.
"
Nous restâmes longuement silencieux. Lui ruminant son premier échec depuis si longtemps ; moi, me demandant si mes pensées de la soirée avaient pu parvenir d'une façon ou l'autre aux animaux de la forêt.
" Salut Robert ! "
La voix robuste nous fit sursauter.
" Depuis le temps que je rêve de t'attraper, je crois que cette fois-ci
tu es pris la main dans le sac. Fais-moi voir un peu ton butin de cette nuit.
"
Le garde-chasse se saisit de la besace de Robert et fut surpris de la trouver
vide.
" Je crois que vous faites erreur, monsieur le garde. " M'empressais-je
de dire, avant que Robert ne réponde à sa façon.
" Comme je souhaitais faire une promenade matinale en forêt, et ne
connaissant pas la région, j'ai demandé à monsieur Robert
de m'accompagner, ce qu'il a accepté de faire avec amabilité.
Il n'était évidemment pas dans notre idée de chasser de
manière illégale. Vous constatez d'ailleurs par vous-même
que nous ne possédons aucune arme, ni aucun gibier "
Un sourire malicieux était revenu dans les yeux de Robert. La joie de se tirer des pattes du garde-chasse, mais aussi le plaisir de lui avoir joué, malgré lui, un joli tour.
En redescendant vers le village, nous fîmes halte chez un paysan de sa
connaissance qui m'offrit un superbe lapin de son élevage, dépecé
bien entendu.
Et le soir-même nous le dégustâmes chez Robert, en plaisantant
tout en nous racontant notre épopée matinale pour la quinzième
fois.
La recette ? un braisé de lapin à l'ancienne.
Mettre dans le fond d'une cocotte en fonte trois belles tranches de lard gras,
puis le couvrir de rondelles d'oignons, puis de rondelles de carottes. Puis
déposer les morceaux de lapin. Recouvrir de deux belles tranches de jambon.
Mettre la cocotte dans le four préchauffé à Th.8.
Lorsque le jambon a pris une jolie couleur dorée, baisser le four sur
Th.4. Sortir la cocotte, ajouter un verre de cognac et une demi-bouteille de
vin blanc sec. Couvrir et remettre au four.
Au bout de 30 minutes, préparer un roux blond avec 25 grammes de farine
et 10 g de farine. Y verser les trois quarts du liquide de cuisson du lapin.
Remettre le lapin, toujours couvert, au four.
Sur un tout petit feu, laisser cuire la sauce pendant une heure, en écumant
périodiquement.
Saler et poivrer la sauce, juste avant de la servir sur les morceaux de lapin
(débarrassé du fond de braise).
Un délice que vous pouvez accompagner de galettes de pomme de terre,
à la Grecque par exemple, avec un petit aigre-doux de cerises.
" Ah bonsoir Jean ! Te voilà enfin ! Mais tu as roulé bien
vite !!! As-tu fais un bon voyage ? Mais au fait
. Où as-tu garé
ta voiture ? Tu sais bien pourtant que tu peux la laisser là-devant
.
"
" Bonsoir ! Pour tout te dire, en fait, je ne suis pas venu en voiture.
Au moment de partir, une panne subite. Refus total de démarrer
.
Mais bon, je suis là
..
Et, comment dire
Hum
. Mais je vais tout t'expliquer, tranquillement.
Nous pourrions rentrer et nous asseoir devant une petite Dole Blanche bien fraîche
? "
Une fois assis, et désaltérés, il avait bien fallu que
je lui explique que j'avais fait le voyage en courgette magique.
Restons assis, calmement, et effacez ces sarcasmes naissants d'une bonne rasade. Et reprenons au début.
Or donc, voici une bonne semaine, je me vis offrir une superbe courgette. Une
ronde, belle et de la circonférence d'un joli melon. Tout le long de
la semaine, je la regardais trôner dans ma cuisine en me demandant comment
la cuisiner d'une façon digne d'elle. Et les amis gourmets consultés
m'ont conforté dans l'idée de la farcir. Et tant qu'à faire,
pas d'une farce commune et tout-venante ! Mais d'une farce exceptionnelle, réfléchie,
innovante. Succulente tant qu'à faire.
C'est donc ce à quoi je m'attachais. Cela fut réalisé le
jeudi en soirée. Une cuisson menée précautionneusement,
de manière à l'interrompre avant terme pour pouvoir la reprendre
le samedi midi, en lui conservant le maximum de ses parfums et ses saveurs.
Délicatement emballée, le vendredi en fin d'après-midi,
elle rejoignit les autres bagages dans le coffre de la voiture. Et en avant
!
Bernique !!!
La voiture m'opposait un refus d'obtempérer net et définitif,
sans aucun préavis. Pas de discussions ou négociations possibles.
Je remontais chez moi, cherchant quelle meilleure formule pourrait exprimer
mon désarroi. J'avais déjà plusieurs fois pris le téléphone
en main, et l'avais à chaque fois reposé, lorsqu'il se mit à
sonner de manière agitée et stridente.
C'était mon ami O'Maley. Il tombait bien celui-là ! Pas de nouvelles
depuis des mois, et il faut qu'il appelle dans un moment aussi délicat.
Je ne me gênai pas pour lui faire cette remarque, mais après m'avoir
extirpé mon histoire et le souci de la courgette farcie, il se mit à
rire. Enfin calmé il me dit :
" Mais enfin, tu sais bien que certaines cucurbitacées ont des pouvoirs
magiques. Rappelle-toi Cendrillon !
Tu n'as qu'à lui demander gentiment, à ta courgette, de te transporter
là où tu veux ! "
Vous me croirez si vous voulez, mais avant de téléphoner pour
expliquer que j'étais en panne, et que le week-end était foutu,
je me suis retrouvé en tête-à-tête avec ma belle courgette
farcie, sur la table de la cuisine. Lui expliquant l'importance de ce voyage.
Et c'est les yeux exorbités et la bouche bée que je l'entendis
me répondre.
" La seule difficulté, c'est que je ne suis pas très calée
en géographie. Alors, si tu avais un plan détaillé. "
La carte Michelin s'avérant trop peu précise, nous dûmes
aller fouiner sur Internet.
C'est au moment du départ, bagages en main et fesses serrées par
l'émotion, que j'eus cette dernière question :
" Mais tu sais que le but du voyage, c'est de te manger ? "
" J'espère bien que vous allez me déguster avec plaisir.
Je t'assure que la farce dont tu m'as remplie est délicieuse. "
" Oui, mais ? Comment ferai-je pour rentrer ? "
" Ne t'inquiète pas. Une fois arrivés, je contacterai mes
cousines du quartier. Et j'en trouverai bien une qui acceptera de venir faire
un tour dans ta cuisine. "
J'espère que personne ne m'a aperçu, mes bagages en main, marchant
dans ce jardin inconnu, me penchant dans la nuit auprès des différentes
sortes de cucurbitacées.
Et c'est ainsi que je me retrouve, à la fin de ce week-end insolite,
avec un potiron dans ma cuisine. Sans oublier une voiture en panne, dont il
faudra que je m'occupe au plus tôt.
La recette de la grosse courgette ronde magique farcie :
Couper un chapeau et creuser le cur de la courgette. Ne conserver que
la pulpe que vous hacherez.
Mélanger de la bonne viande de buf grasse avec de la chair à
saucisse que vous ferez revenir au beurre avec des échalotes hachées
fines. Ajouter la pulpe de courgette et finir la cuisson
Préparer du boulghour et l'intégrer à la viande. Sel, poivre,
persil.
Remplir la courgette et la recouvrir de son chapeau. Faire cuire au four Th.5
environ 20 minutes.
A la fin du voyage, remettre à cuire encore 10-15 minutes à four
tiède.
Un long cri strident retentit dans la forêt, faisant sursauter les oiseaux batifoleurs, frissonner de peur les renards futés et autres courageux habitants des sous-bois. La biche frêle s'enfuit au galop, oubliant ses petits faons pleurants. Et même quelques sapins fragiles en perdirent d'un coup toutes leurs épines.
" Non mais ça va pas ! Espèce de satyre gluant ! Embrasser
une honnête femme pendant qu'elle dort, et chez elle en plus ! Je m'en
vais vous en donner, moi, des baisers gluants avec mon balai !
Et ce n'est pas la peine de me faire des sourires idiots avec vos fausses dents
rutilantes à la brillantine ! "
" Mais enfin, Madame ! Cessez je vous prie de me frapper. Vous allez gâter mon habit de cachemire Ecossais et soie Indienne ! Puisque je vous dis que je suis le Prince Charmant, et que je viens vous sortir du long ennui de votre vie pour vous emporter vivre la plus belle des histoires d'amour. "
" En attendant l'arrivée de mon mari, goûtez encore les baisers de mon balai, espèce de blondinet gomineux ! "
C'est à ce moment-là qu'en toute précipitation à travers la clairière, un loup de belle allure, simplement vêtu d'un jean et d'une chemise à carreaux, ouvrit brusquement la porte de la petite ferme.
" Mais qu'est-ce qui se passe ici, Chaperon ma chérie ? Je t'ai entendu crier depuis la lande du père Payant..
" Enfin, mon loup chéri, te voilà. Cet espèce de satyre a essayé de me violer pendant mon sommeil. "
Profitant d'un moment de répit des coups de balais, le jeune gandin
se releva comme il put, tout en époussetant son bel habit jaune paille.
" Il me semble que Madame exagère un tant soi peu. Je suis simplement
venu la délivrer du sort qui pèse sur elle et l'emmener avec moi
en mon superbe château. Notre mariage est prévu pour la semaine
prochaine. Quant à vous, Monsieur le Loup, les bûcherons ne devraient
plus tarder à venir s'occuper de vous. Veuillez nous laisser."
Le loup ne se retint pas plus longtemps pour rosser le prétentieux, qui n'eut d'autres ressources que de s'enfuir pitoyablement, en laissant sur place les lambeaux de son bel habit. Quelques merles moqueurs se souviennent encore de leur crise de fou-rire en le voyant déguerpir en sous-vêtements de flanelle vert pomme et fixe-chaussettes.
Le loup avait pris sa belle Chaperon Rouge dans ses bras câlins et la
caressait de ses pattes lisses.
" Chaperon Rouge, ma chérie, il ne t'a pas blessé au moins,
ce godelureau ? "
" Mais non, mon loup doux. J'ai juste été surprise lorsqu'il
m'a réveillée avec sa bouche baveuse d'adolescent retardé.
"
" Oublie tout ça, ma chérie. Au fait, je suis passé
voir ta grand-mère et lui apporter le pot de beurre et les galettes.
Elle se porte comme un charme, et t'embrasse. Elle a absolument voulu que je
boive son café. Je me suis forcé, mais il est toujours aussi mauvais.
"
" Tu es toujours aussi charmant et attentionné, mon Loup doux. Pour
ce soir, je t'ai préparé ton dessert préféré.
"
" Le cake aux carottes ? Oh tu es un amour, mon Chaperon Rouge
"
Restons discret sur la suite naturelle de cette histoire charmante, et combien
éducative.
Voici tout de même la recette du cake aux carottes :
Préparer un moule à cake de 30 cm. de long (beurre ou papier
sulfurisé).
Mélanger 350 g de farine et 1 sachet de poudre à lever.
Incorporer 300 g de cassonade ou de sucre, 2 c. à café de cannelle,
1/4 de c. à café de cardamome, 2 pincées de clou de girofle
en poudre, 1 pincée de sel.
Puis amalgamer 250 g de carottes râpées fin, 1 zeste râpé
et le jus d'un citron et 250 g d'amandes mondées et moulues.
Puis à l'aide d'une cuillère en bois ou d'un batteur électrique
incorporer à l'appareil 4 oeufs battus en omelette et 200 g de beurre
fondu et refroidi.
Verser dans le moule et faire cuire 65 minutes au four préchauffé
à 180 degrés.
Vous pouvez le servir ainsi, ou bien le badigeonner de confiture d'abricots
tiédie et passée au tamis.