Chronique 8 (16/10/2000)


" Mon petit Chaperon, ne crois-tu pas que tu as un peu exagéré ? "
" Mais enfin, Marraine ! Tu me dis souvent toi-même qu'il faut savoir donner les moyens à ses désirs ? "
" Oui, bien sûr . Mais là…. Ne crois-tu pas que toutes ces inondations, ces éboulements, ces catastrophes innombrables et mortelles sont sans commune relation avec tes désirs personnels ? "
" Marraine ! Tu te doutes bien que lorsque je suis allé tourné la clé des nuages, je ne pensais évidemment pas à de tels déluges. Je voulais juste un tout petit éboulement sur la route qui descend de ma ferme vers le village. Et à quoi me serviraient autrement les pouvoirs féeriques que tu m'as offerts, si je ne pouvais pas m'en servir ?…. "

Il est certain en tout cas qu'en me rendant à l'invitation de Chaperon Rouge, là-haut dans sa ferme de montagne, je ne pensais pas, en Loup civilisé et respectueux, y rester plusieurs jours, bloqué par une route effondrée sous les assauts des torrents alpins. Même si quelques films s'étaient l'un après l'autre déroulés dans ma tête.
Mais lorsque nous dûmes, après avoir entendu les informations, nous préparer à partager l'humble demeure pour la nuit, je me suis tout de même demandé s'il n'y avait pas anguille sous roche.
Mais une fois la logistique assurée, nous nous sommes laissés aller sereinement à préparer notre repas.

" C'est quand même bien ennuyeux de se trouver bloqués, me disait-elle. Mais pensons tout de même à tous ceux qui n'ont pas notre chance : nous avons un toit, du bois dans la cheminée, des victuailles et du vin. Et en plus une très agréable compagnie ". Le rouge sur ses joues soudain n'était dû qu'au feu qu'elle venait d'allumer dans la cheminée.

Elle avait évidemment raison, et je mis discrètement mes interrogations dans la cheminée, à brûler avec les bûches. Autant vivre le temps présent, sans se poser trop de pourquoi ni de comment. Et sans trop chercher à comprendre les braises luisant dans son regard, qui n'étaient pas que le reflet de la cheminée.
Autant s'occuper de préparer un repas digne des circonstances.

En spécialiste du petit cochon, je m'occupai de la cuisson d'un filet mignon de porc.
Dans un four préchauffé, Thermostat 5, je mis le morceau à cuire dans un fond de beurre-huile.
Retourné à mi-cuisson de 40 minutes. Et là, l'illumination : nez frémissant, mirettes éblouies, et les mains tournoyantes, je trouvais le pot de miel de grand-mère et en versai quelques cuillères.
Après quelques minutes de grill, le filet trouva une couleur appétissante et dorée.
Le filet mis de côté au chaud, une fois coupé en tranches épaisses, je montai la sauce au beurre, puis l'agrémentai d'un trait de gingembre. Une fois la sauce onctueuse, je la servi sur les tranches de filets mignon, accompagnées d'une purée de pommes de terre et de quelques girolles sautées au beurre et légèrement vinaigrées.

Chaperon, toute à ses émois gourmands, en oublia ses obligations de maîtresse de maison. Et c'est à la fin du repas que nous nous aperçûmes en riant que nous n'avions point de serviettes.
Et tant pis pour le protocole si nous dûmes trouver une autre manière d'essuyer nos museaux !
Après tout, certaines saveurs sont faites pour être partagées….
Et les organisations logistiques pour être oubliées.


Chronique 9 (22/10/2000)


" Arlette ! André ! Si vous voulez passer à table. Léon va nous apporter son merveilleux soufflé, et vous savez qu'un soufflé n'attend pas…. "
Sab installa donc ses invités autour de la table joliment décorée de quelques fleurs fraîches et séchées, parmi la jolie vaisselle aux couleurs pastels.
Lorsque Léon parût, un plat très chaud dans les mains, son visage défait annonçait un désastre : le soufflé qui avait créé son aura parmi leurs relations était ce jour-là ridiculeusement raplapla et même légèrement grillé.
" Mais ce n'est pas grave " se dépêchait de préciser Sab ; " même s'il n'est pas vraiment très bien monté, il va être savoureux à déguster. "
" Ca me fait penser à quelqu'un… " pouffa Arlette.
" Si c'est de moi que tu parles, je te signales que je me refuse à commenter tes allusions déplacées. " lui rétorqua aussitôt André.

" Léon chéri, sers-nous donc un peu de vin, et admets que pela peut arriver à tout le monde, et même à toi, de rater un soufflé "
Léon ne décochait pas un sourire, pourtant, et servit presque à contrecœur son Meursault .
" Heu, je voudrais pas dire, mais il a un drôle de goût… " s'empressa André, avec un petit sourire vache au coin des lèvres. " Ah oui ! Il est complètement bouchonné, ton vin. C'est comme celui de ma belle-sœur, la semaine dernière. "renchérit Arlette.
" Il n'était pas bouchonné ! Il avait une arôme particulier que tu n'étais pas à même d'apprécier. " bougonna André.

La salade qui apparut ensuite fut jugée très salée, et en plus un peu trop cuite. Il faut dire que Sab l'avait mélangée bien trop tôt.
Et la pintade était tellement sèche, que même avec son meilleur couteau, Léon eut de la difficulté à la découper. Le risotto aux champignons l'accompagnant se révéla collant et insipide.
" Tiens, on dirait celui de ta mère ! " eut l'affront de jeter André, au sommet de son art de la perfidie, à son épouse Arlette.
Le Mercurey, censé magnifié la volaille, avait un arrière-goût madérisé ; et les fromages …
Le Saint-Félicien dégageait une odeur d'ammoniac, et le brie était un plâtre sans arôme.
Sab crut au pire en voyant l'air excédé d'André lorsqu' Arlette renversa son verre de vin sur la nappe en tentant de se servir une portion de brie.
Léon, comme un somnambule, ne réagissait plus aux remarques acides de ses "amis ", ni aux excuses attentionnées et tendres de Sab.
" On va bien voir si j'ai au moins réussi quelques chose ce soir. La mousse au chocolat, c'est le niveau BEP… "
dit-il en déposant sans conviction, sur quelques fleurs innocentes, un saladier dans lequel se mouvait de manière glauque un mélange marron.
Elle fut évidemment du même niveau que les plats précédents : une masse moelleuse surnageait sur un fond liquide. Quelques morceaux un peu plus solide avaient résisté.
Et le cake au chocolat était tellement friable qu'il s'émietta à la découpe, malgré quelques parties collantes et non cuites.
" Tu peux parler de ma mère " envoya Arlette, " mais là, c'est le même gâteau que ta chère sœur nous a servi la semaine dernière. "
" Mais au moins ma sœur, elle dépense pas des fortunes chez l'esthéticienne pour camoufler ses bourrelets et ses rides. "

Léon, prostré dans sa cuisine, n'était plus là lorsque le couple d'invités prit congé, lui querelleur et méchant, elle pleurnichant son rimmel.
Il ne releva la tête que lorsque Sab, tendrement, vint se serrer contre lui et lui prit la tête dans les mains.
" Ca y est, c'est fini. Ils sont partis. Mon chéri, comme cela a dû être dur pour toi de rater tout tes plats. "
Un sourire revint sur le visage de Léon :
" et surtout pas facile de le faire volontairement…. "

La pintade à la Léon (la recette pas ratée)

Placer la volaille lardée et bardée dans une cocotte (ou rondeau haut) sur un lit d'oignons et de carottes, ail écrasé, thym, laurier, sel, poivre, et enfourner Th.7.
Laisser environ 1h/1h30 selon le poids.
Retourner à mi-cuisson.
Vérifier la cuisson à la fourchette : le jus doit être clair.
Découvrir et délarder et remettre au four, sans couvrir, pour colorer.
Réserver au chaud et recouvert de papier aluminium.
Mettre la cocotte sur feu vif pour faire colorer les sucs. Dégraisser.
Déglacer au vin blanc.
Ajouter un peu de madère et faire réduire. Au deux-tiers.
Mouiller avec un fond brun lié et passer au chinois


Chronique 10 (29/10/2000)

" Monsieur le Maire, j'insiste, c'est intolérable ! "
" Ne t'énerve pas, Justin, c'est mauvais pour le cœur. Et tu sais aussi bien que moi que depuis le temps que ça dure, les gendarmes avouent n'avoir aucune piste. Et ça s'est passé comme pour les autres ? Le Chevalier Clafoutis ? "

La discussion dura un bon moment ce dimanche matin là chez le Maire d'Albignac.
Il s'avéra que la mésaventure dont se plaignait Justin, second adjoint au maire, était en tout point semblable à celles qui se répétaient depuis plusieurs mois dans toute la région. Il y avait même plusieurs cas à Tulle.
Une petite réception familiale du samedi soir, avec quelques bons plats traditionnels, et au moment où la maîtresse de maison apportait le dessert, en annonçant joyeusement :
" Ce soir, j'ai un peu changé ma recette. J'ai essayé un clafoutis aux poires. "
La porte d'entrée s'ouvre violemment, une bourrasque de vent s'engouffre dans le salon, et un personnage masqué habillé d'une grande cape noire se précipite dans la pièce en gesticulant.
" C'est un flaugnarde ! La clafoutis est aux cerises noires du Limousin !!! et avec les noyaux !!! "
Et sans qu'il ne fasse un pas, le dessert tenu par la maîtresse de maison se trouve projeté au visage du maître de maison, l'éclaboussant telle une vulgaire tarte à la crème. Et profitant de la stupeur des invités, le personnage, que la rumeur eut rapidement surnommé le Chevalier Clafoutis, s'éclipse dans la nuit sans laisser aucune trace.

La gendarmerie menait son enquête, laborieusement, enregistrant et analysant tous les témoignages. Il fut remarqué que jamais une femme ne reçut le dessert au visage ; et dans les quelques cas où aucun homme n'était présent à la soirée, ce fut le chien qui fut visé. Mais les fins limiers n'avaient aucune piste sérieuse pour retrouver le sombre individu.
Il se murmurait dans certains milieux " bien informés " que l'enquête n'avait aucune chance d'aboutir, étant donné que le colonel de gendarmerie, ainsi que le préfet, avaient ri ensemble de la situation, tout en sous-entendant qu'après tout, les cuisinières et cuisiniers n'avaient qu'à respecter les bonnes choses, et ne réaliser que des clafoutis selon la recette établie, ou se contenter de simples flaugnardes aux fruits. Il est vrai que ce sont des gens du pays, particulièrement attachés aux traditions limousines.

L'une des plaintes, celle de Monsieur Muller, intrigua pourtant les gendarmes chargés de l'enquête : le dessert avait bien été réalisé avec des cerises noires, les proportions, selon Madame Muller, apparaissaient traditionnelles, mais les récits des témoins se révélaient curieux. Si la plupart n'étaient pas certains de ce qu'ils avaient entendu, deux d'entre eux avaient cru entendre une expression supplémentaire complétant la phrase habituelle. " Pas celles d' Eballe. " selon le premier, et " pas celles à deux balles " selon le second.
Et au lieu de diligenter leur enquête sur la découverte du Chevalier perturbateur des festivités familiales, ils passèrent beaucoup de temps à élucider ce point de détail.
Ils se montrèrent particulièrement fiers en annonçant au préfet : " Enfin, nous avons trouvé ! "
" Alors, qui est cet énergumène, défenseur excessivement attaché à nos valeurs culinaires ? "
" Nous ne le savons pas, Monsieur le Préfet. Mais nous savons à présent que Madame Muller avait hébergé son beau-frère Walter Muller, citoyen suisse, et que celui-ci lui avait apporté des cerises noires provenant de la région de Bâle. Et ce sont celles-ci qu'elle avait utilisées pour faire son dessert. "
Et le préfet en riant annonça qu'il ne lui restait plus qu'à prendre un arrêté spécifiant la façon précise dont devait être réalisé le clafoutis. Puisque le Chevalier Clafoutis était aussi sensible à l'origine des produits.

Voici donc, extrait de l'arrêté préfectoral, la recette ayant dorénavant force de loi, toute variation devant se dénommer flaugnarde, ou tout autre nom différent dû à son origine particulière, tel que flamusse par exemple.

200 g Farine, 4 oeufs entiers, 1/2 l de lait, 1 pincée de sel, 2 cuillères à soupe d'huile, 150 g de sucre, 400 g de cerises noires, 1 dl de rhum ou eau de vie, beurre.

Mettre la farine dans un saladier. Ajouter les oeufs entiers, le sel, le moitié du lait, l'huile et travailler avec une cuillère en bois. Ajouter le reste du lait, un tiers du sucre et l'alcool. Lisser la pâte. Laisser reposer une heure environ.
Beurrer un plat à bord haut. Déposer les cerises lavées, équeutées, mais non dénoyautées. Recouvrir avec la pâte. Parsemer de quelques noisettes de beurre. Mettre à cuire dans un four chaud (210 ° Th 7) pendant 30 a 35 minutes.

Apres cuisson, saupoudrer du reste de sucre.

 

Chronique 11 (5/11/2000)

" J'ai pas très chaud, maintenant. Je vais aller mettre mon pull. Où l'as-tu rangé ma chérie ? "
" Dans le placard de la chambre. A gauche, je crois. " me répondit-elle, toute à sa lecture d'un roman de Milan Kundera.
Evidemment, je ne le trouvais pas, mais en déplaçant les vêtements je mis la main sur une fourrure douce, enfouie entre deux manteaux sombres. Et en retirant légèrement le vêtement en question je découvris un sublime long manteau bleu pâle, agrémenté d'une fourrure blanche d'une douceur extrême. Une telle délicatesse, une telle grâce naturelle s'en dégageait que je le remis en place sans rien dire, dubitatif, et finis par trouver mon pull dans la partie droite du placard.
Tout en revenant au salon, je me creusais la mémoire pour essayer de me souvenir où j'avais déjà aperçu un tel manteau.
Ce fut plus tard, en déplaçant une pile de CD que j'eus un nouveau choc : l'illustration représentait " mon " manteau, habillant délicieusement une fort belle femme élégante à la peau claire et les bras chargés de présents. Il s'agissait d'un CD d'une œuvre de Rimski-Korsakov : Snegourotchka.
" C'est curieux de tomber sur ce disque. " m'exclamais-je. " Je repensais justement à cette vieille histoire que me racontait ma maman, parfois, pour m'endormir. "
" Ah oui ? Raconte-la moi. J'adore ces vieux contes. " me dit-elle avec ses yeux malicieux.
Son regard pétillait de malice pendant que je racontais l'histoire de la fée des neiges, qui fit rêver tant de petits garçons des grandes plaines russes.

" Et c'est amusant que tu possèdes le même manteau que Snegourotchka. " lançais-je à la fin de mon récit.
" Le même genre de coïncidence sans doute que de trouver chez toi le manteau de ce fameux O'Maley, qui parfois marche sur les eaux, ou raconte parfois des souvenirs de Mandrin ou de Merlin….. "
Ses yeux rieurs avouaient, tout en précisant qu'elle savait aussi beaucoup d'autres choses, dont il valait mieux ne pas parler.
" Il serait peut-être temps que je m'attaque à la préparation du cake que nous avons promis d'apporter ce soir, chez ton cousin ? ".
Stratégie de repli. Il est des discussions qu'il vaut mieux ne pas prolonger.
Je préparais tranquillement le cake au Roquefort et l'enfournait.
Nous évoquions quelques projets futurs, tout en dégustant un petit Chablis, lorsqu'il fut temps d'aller sortir le cake de son four.
" Une fois de plus, il a une très belle allure, mon chéri ! Je vais le mettre à refroidir sur le balcon."
Lorsqu'elle revint je lui en tendis un second, puis un troisième.
Lorsque je lui tendis le cinquième, elle se mit à rire.
" Mais combien en as-tu fait ? Un seul aurait suffi ! "
" Oh ! La multiplication ! Excuse-moi. Mais on fait parfois des choses machinalement. Sans doute notre discussion de tout à l'heure…. "
Bien évidemment, nous n'en avons apporté qu'un chez le cousin, et la soirée fut fort agréable.

La recette du cake au Roquefort pour 6 personnes.
(la multiplication des cakes est une opération qui demande un certain entraînement)

20 cl de crème, 3 œufs, 150gr de roquefort, 70gr de raisin sec, 200gr de farine, 1 sachet de levure chimique.

Faire tremper les raisins dans une tasse de rhum. Préchauffer votre four à 210 °.
Mélanger farine, levure, oeufs entiers, crème dans un saladier.
Incorporer délicatement le Roquefort en petits morceaux, puis les raisins égouttés.
Beurrer un moule à cake et y verser la préparation .
La mettre au four en rabaissant à 180°
Laisser cuire 35 mn
Laisser tiédir avant de démouler

Chronique 12 (12/11/2000)

Vous savez combien j'aime me promener dans la nature, et me laisser bercer par ces beautés superbes.
Il y a quelques jours je profitais de la belle arrière-saison du côté de Perpignan. Il y des bois magnifiques, à quelques encablures de la mer, avec des petits contreforts escarpés, des vues qui se transforment en quelques hectomètres, de l'air pur et de la chlorophylle….
Il était très tôt dans la matinée, et des bribes de brouillard s'accrochant aux arbres, ou nappant quelques combes, ajoutaient une touche de magie à cette promenade. Le soleil parfois se révélait, ou se cachait, nimbant d'une clarté étincelante des nuages pâles.
Tout à ma poétique promenade, je ne vis qu'au dernier moment l'homme assis sur une souche et courbé, la tête dans les mains, comme s'il pleurait. Je ne pouvais l'éviter et le saluait. Il en profita pour péniblement me raconter une sombre histoire, pas très cohérente.
En résumé, et sans le vouloir, il avait bousculé une vieille femme dans la forêt et avait emporté le lourd sac dont elle souhaitait qu'il l'aide à le porter. En s'esquivant, il avait cru vaguement entendre comme une série de jurons. Et maintenant il avait mal sur tout le corps, sa peau le démangeait et partait en lambeau. Il allait certainement bientôt mourir dans d'atroces souffrances.
Parce qu'il m'ennuyait, finalement, avec ses histoires sordides, me dérangeant dans mes plaisirs romantiques et évanescents, je lui tapotais machinalement l'épaule, en l'assurant qu'il exagérait, et qu'un médecin allait rapidement le soigner, dès qu'il irait en ville.
C'est alors qu'il s'exclama : " Mais je n'ai déjà plus mal. Et regardez mes mains : elle guérissent à vue d'œil…. Monsieur, je ne sais pas qui vous êtes, mais vous m'avez sauvé la vie. Je ne suis qu'un pauvre va-nu-pieds et je n'ai rien à vous donner. Alors gardez le sac de la vieille. De toute façon, il ne peut que me porter malheur. "
Ceci dit, il partit à vive allure sans écouter mes dénégations.

Assis à mon tour sur la souche de bois, j'examinais le sac : des pommes de terre, dans un papier un joli morceau de filet de bœuf, un petit pot de beurre, et une jolie boîte bizarrement décorée de volutes entremêlés. Celle-ci s'ouvrit sans difficulté et j'y découvris un simple glaçon, non fondu aussi bizarre que cela puisse paraître, et un morceau de papier jauni. Je jetai le glaçon et lu la phrase écrite.
J'entendis alors un coup de tonnerre, et me retournant vers son origine, je vis dans le ciel, à quelques centaines de mètres, un gros nuage noir en train de se déverser.
" Aurais-je fait une bêtise ? " me dis-je en ramassant mes affaires et me dirigeant vers le bas du coteau.
En arrivant vers l'endroit où l'orage subit venait d'éclater, j'eus la surprise de voir brusquement la terre couverte de glaçons, sur une surface tout de même peu importante. Mais les prés en étaient couverts, les feuilles des arbres avaient été déchiquetées, et les champs avaient versés.
En avançant comme un somnambule, je découvris, au détour du détour du chemin, une petite maison, qui avait elle aussi souffert de l'avalanche de grêle. Les légumes du jardin, les parterres de fleurs, tout était détruit. Et je voyais de l'eau s'écouler de la porte d'entrée ouverte.
J'appelais en m'approchant, et je vis une femme, au visage désolé, une serpillière à la main, les vêtements mouillés et les cheveux en bataille.
Comme elle me l'expliqua, avec un langage de marin, elle écopait depuis un bon moment, et elle en avait marre de toutes ces catastrophes lui tombant dessus les unes après les autres.
Je lui offrit naturellement mon aide, et allait chercher du bois, pour faire un bon feu et la ragaillardir.
Lorsque tout fut à peu près épongé, je me mis à la cuisine pendant qu'elle allait se changer et sans doute se repeigner.
Elle rit de bon cœur, lorsque je lui demandai de l'eau pour faire cuire les pommes de terre ! Et son joli sourire éclaira enfin son visage.
Je réalisais rapidement une purée de pommes de terre, avec beaucoup de beurre et du lait chaud, et fit ensuite sauter des tranches de filet de bœuf dans le beurre clarifié auparavant.. Les sucs de cuisson remontés au beurre. Quelques grains de sel, une pincée de poivre.
Nous fîmes un repas simple, mais tellement succulent !
Il suffit souvent d'une viande bien goûteuse et d'une cuisson vive et respectueuse.

Je ne lui racontais pas l'histoire de la boîte bizarre et du glaçon jeté en l'air, mais je me suis promis de faire plus attention lors de mes promenades.

Chronique 13 (20/11/2000)

Quelle drôle d'idée j'avais eu de vouloir suivre ce cygne. Une irrépressible nécessité, contre laquelle aucune réflexion ne pouvait lutter, m'avait une fois encore conduit dans cette aventure.
Me prélassant au bord d'un lac, je vis un superbe cygne noir s'approcher de la berge, d'une allure majestueuse et belle. Lorsqu'il s'éloigna, je grimpais dans une barque amarrée et le suivit à la rame. Mais au bout d'un moment, j'avais les pieds dans l'eau : la barque était endommagée et l'eau s'infiltrait. Je me dépêchais de parvenir à la berge et n'eus que le temps de débarquer avant que la barque ne s'enfonce doucement dans l'eau.
Où étais-je ? Comment retrouver mon chemin ? Le cygne était là, non loin de moi, sur le lac, et son regard semblait satisfait d'une tâche accomplie.
Je me décidais à partir au jugé, en prenant un chemin après l'autre dans un sous-bois sombre. Avec comme l'impression que les taillis s'ouvraient devant moi, et que les ronces s'écartaient. Ainsi je parvins auprès d'une petite chaumière, fort coquettement fleurie. J'y entrais et vis sur la table un cake, doré et appétissant. Il y avait aussi une assiette et un couteau qui semblaient m'attendre. Malgré la faim qui me tiraillait l'estomac, je me retins de l'entamer, me souvenant d'aventures surprenantes. A peine étais-je assis sur un fauteuil pour me reposer, que la chaumière fut toute secouée et se mit en mouvement. Je n'en croyais pas mes yeux : ce n'était pas un tremblement de terre ; la chaumière s'était levée et avançait. En me penchant par la porte restée ouverte, je vis, abasourdi, qu'elle avait des pattes de poule de haute taille. Comme il m'était impossible de sauter d'aussi haut, il ne me restait rien d'autre à faire que d'attendre, en évitant de regarder le cake si tentant. Je finis même par m'endormir, ce qui était finalement le plus sage.
Je fus réveillé par une caresse douce sur le front. Devant moi, une belle femme aux cheveux roux me souriait de ses yeux si doux.
" Tu dois avoir faim, et malgré cela tu as su résister à la tentation. Tu as bien fait, car un mauvais sort t'attendait. Maintenant tu vas pouvoir manger, puis tu pourras repartir car je ne te retiendrai pas prisonnier. "
Evidemment je mangeais avec appétit, sans me poser trop de questions. A quoi bon.
Nous discutâmes tellement longtemps, et cela était si plaisant, que nous ne vîmes pas arriver la nuit.
Ce fut donc seulement le lendemain que la Fée du Lac me fit raccompagner par son cygne noir.

Je retourne régulièrement, depuis, voir le cygne noir. Pour qu'il m'emmène à la cabane sur pattes retrouver la Fée du Lac aux yeux si doux.

Le cake aux figues et aux olives :

ingrédients :
100g d'olives noires dénoyautées (surtout pas à la Grecque), 100 g de figues sèches marinées au Porto, 3 œufs , 200gr (+ 2 càs) de farine, 30 g de sésame, 1 c à café d'anis étoilé réduit en poudre, 1 c. à café de sel, poivre, 4 càs d'huile d'olive, 4 càs de lait, 1 sachet de levure chimique, 1 noix de beurre (pour la cuisson), ½ c. à café de romarin et ½ c. à café de thym.

réalisation :
Allumez le four, th.6 (170°C). Beurrez un moule à cake de 26 cm de long puis parsemez de farine.
Cassez les œufs dans une terrine et ajoutez sel, poivre. Battez au fouet puis ajoutez thym, romarin, sésame, anis, lait et huile. Incorporez la farine et la levure puis les olives coupées en morceaux et farinées, en remuant avec une spatule.
Ajoutez ensuite les figues coupées en morceaux et farinées. Remuez délicatement.
Versez la préparation dans le moule et glissez au four. Baissez le thermostat à 4 (120°C) et laissez cuire 40 mn jusqu'à ce que le cake soit gonflé et doré. Vérifiez la cuisson au couteau ou à l'aiguille à tricoter. Laissez-le reposer 5 mn puis démoulez et laissez refroidir sur une grille.

Chronique 14 (27/11/2000)

Il faisait un temps superbe sur les vallées alpines, et lorsque j'annonçais à l'hôtesse de la petite auberge que je comptais aller en ballade vers les pâturages, du côté de la cascade, elle me le déconseilla, prétextant je ne sais plus quelle sombre et curieuse histoire de femmes-brigands.
Ne prêtant pas attention à ce type de légendes locales, surtout destinées à impressionner le voyageur crédule, j'étais parti en voiture, poursuivant à pieds à travers le bois, longeant d'abord le torrent jusqu'à la cascade et débouchant ensuite sur les pâturages. Désirant faire une halte, je m'approchais d'un verger et m'assis au pied d'un pommier.
J'avais à peine terminé ma cigarette qu'un bruit strident et un choc sourd au-dessus de ma tête m'éberluèrent : une flèche venait de se planter dans le tronc d'arbre, 5 centimètres au-dessus de moi. Tournant la tête de tous côtés, je cherchais à apercevoir l'abruti qui me prenait pour cible, lorsqu'une seconde flèche se planta juste à côté de la première. J'eus la bonne idée, me paraissait-il, de m'allonger par terre et de ne plus bouger.
Au bout de longues minutes, je rouvrais les yeux en me retournant et je vis, face à moi, 5 femmes jeunes et n'ayant pas l'air de plaisanter, en habit d'archers et l'arc à la main.
" Vous n'auriez pas dû croquer nos pommes ! Suivez-nous ! autrement ….. "
Celle qui paraissait être le chef, belle blonde aux yeux bleus, aux lèvres apétissantes et aux formes avantageuses, me parlait néanmoins avec la belle autorité d'une flèche acérée sur son arc, prête à me transpercer. Je me levais donc lentement, levais les mains comme je l'ai vu faire au cinéma et m'approchait. Deux d'entre elles m'eurent rapidement et violemment lié les mains et je les suivis donc. Que pouvais-je faire d'autre ? et de toute manière, que risquais-je entre des mains féminines ?
Au bout d'une bonne heure de marche, dont je dû faire la dernière partie les yeux bandés, nous nous arrêtâmes. Après m'avoir ôté mon bandeau, elles me poussèrent dans une grotte qui s'avéra très bien aménagée. Un beau feu de bois réchauffait la pièce meublée d'une grande table et de chaises. Je fus jeté dans une autre cavité, plus petite, sur des amoncellements de peaux de bêtes servant visiblement de lit, et je dus attendre un long moment, les entendant discuter sans vraiment comprendre leurs paroles. Il me semblait même que parfois elles pouffaient de rire.
" Viens manger, croqueur de pommes ! ". La chef de ces amazones avait cette fois une voix rieuse, pleine de sous-entendus.
Je ne sais pourquoi, mais je sentais l'atmosphère plus détendue, leurs yeux semblaient un brin rieur, et leurs attitudes moins guerrières et pour tout dire plus féminines. Celle qui détacha mes liens était presque caressante. Je me mis à table l'esprit songeur, mais j'oubliai vite toute crainte lorsque l'on m'apporta un plat fumant d'une espèce de grosse brioche renversée.
Je me coupais une tranche et goûtais ce plat inconnu. Des saveurs multiples et moelleuses comblèrent mon palais. Pommes de terre onctueuses et petites tranches de lard, pruneaux et raisins secs, très léger goût de poire, force discrète d'un alcool.
Me resservant une seconde part, je remarquais les regards de mes geôlières devenir soucieux, entendais quelques chuchotements. Alors je me dis que le mieux à faire était de surtout bien manger, et ne plus penser à la suite des évènements.
" C'est tellement excellent, tellement surprenant de tous ces goûts entremêlés, que je vais encore en reprendre, si vous le permettez. "
Ayant presque terminé le plat, probablement prévu pour 12 personnes, ainsi que la bouteille de vin que l'on m'avait présenté, je me sentais un peu lourd et surtout totalement détendu.
" Je vous remercie pour ce succulent repas, et si vous me l'autorisez, je vais aller m'allonger un moment. "
Et sans attendre de réponse de mes amazones visiblement décontenancées, je retournais m'allonger dans mon coin douillet, et ne tardais pas à m'endormir tranquillement, sans plus aucun souci.

A mon réveil, j'étais seul. Sur la table un petit mot :
" Croqueur de pommes, tu t'en es bien tiré, cette fois-ci. Mais si tu reviens par ici, sache que nous restons sur notre faim. Alors méfie-toi des Amazones du Champ des Pommes… "

Je me débrouillais tant que bien que mal pour retrouver mon chemin, et ma voiture, et ne racontais évidemment rien à mon hôtesse.

Recette du farcement savoyard :
1,5 kg de pomme de terre, 400g de pruneaux, 350 gr de poitrine fumée coupée en tranches fines,
150g de poires fraîches, 50g de raisins de Corinthe, 1 œuf, 1c.à soupe de farine, 50 gr de beurre, 1pt verre de marc, muscade, sel+ poivre

Eplucher et râper les pommes de terre, éplucher les poires, dénoyauter les pruneaux et couper le tout en tout petits morceaux.
Verser dans un récipient les pommes de terre, les fruits, la farine, l'œuf, un peu de muscade, sel, poivre, un petit verre de marc.
Beurrer le moule, l'habiller avec les tranches de poitrines fumées en laissant déborder 2 à 3
cm à l'extérieur du plat (genre moule à kouglof).
Verser le contenu dans le moule en prenant soin de bien tasser. Rabattre ensuite les tranches à l'intérieur du moule. Couvrir le moule et mettre au four au bain marie durant 2 h th6.