" Mon petit Chaperon, ne crois-tu pas que tu as un peu exagéré
? "
" Mais enfin, Marraine ! Tu me dis souvent toi-même qu'il faut savoir
donner les moyens à ses désirs ? "
" Oui, bien sûr . Mais là
. Ne crois-tu pas que toutes
ces inondations, ces éboulements, ces catastrophes innombrables et mortelles
sont sans commune relation avec tes désirs personnels ? "
" Marraine ! Tu te doutes bien que lorsque je suis allé tourné
la clé des nuages, je ne pensais évidemment pas à de tels
déluges. Je voulais juste un tout petit éboulement sur la route
qui descend de ma ferme vers le village. Et à quoi me serviraient autrement
les pouvoirs féeriques que tu m'as offerts, si je ne pouvais pas m'en
servir ?
. "
Il est certain en tout cas qu'en me rendant à l'invitation de Chaperon
Rouge, là-haut dans sa ferme de montagne, je ne pensais pas, en Loup
civilisé et respectueux, y rester plusieurs jours, bloqué par
une route effondrée sous les assauts des torrents alpins. Même
si quelques films s'étaient l'un après l'autre déroulés
dans ma tête.
Mais lorsque nous dûmes, après avoir entendu les informations,
nous préparer à partager l'humble demeure pour la nuit, je me
suis tout de même demandé s'il n'y avait pas anguille sous roche.
Mais une fois la logistique assurée, nous nous sommes laissés
aller sereinement à préparer notre repas.
" C'est quand même bien ennuyeux de se trouver bloqués, me disait-elle. Mais pensons tout de même à tous ceux qui n'ont pas notre chance : nous avons un toit, du bois dans la cheminée, des victuailles et du vin. Et en plus une très agréable compagnie ". Le rouge sur ses joues soudain n'était dû qu'au feu qu'elle venait d'allumer dans la cheminée.
Elle avait évidemment raison, et je mis discrètement mes interrogations
dans la cheminée, à brûler avec les bûches. Autant
vivre le temps présent, sans se poser trop de pourquoi ni de comment.
Et sans trop chercher à comprendre les braises luisant dans son regard,
qui n'étaient pas que le reflet de la cheminée.
Autant s'occuper de préparer un repas digne des circonstances.
En spécialiste du petit cochon, je m'occupai de la cuisson d'un filet
mignon de porc.
Dans un four préchauffé, Thermostat 5, je mis le morceau à
cuire dans un fond de beurre-huile.
Retourné à mi-cuisson de 40 minutes. Et là, l'illumination
: nez frémissant, mirettes éblouies, et les mains tournoyantes,
je trouvais le pot de miel de grand-mère et en versai quelques cuillères.
Après quelques minutes de grill, le filet trouva une couleur appétissante
et dorée.
Le filet mis de côté au chaud, une fois coupé en tranches
épaisses, je montai la sauce au beurre, puis l'agrémentai d'un
trait de gingembre. Une fois la sauce onctueuse, je la servi sur les tranches
de filets mignon, accompagnées d'une purée de pommes de terre
et de quelques girolles sautées au beurre et légèrement
vinaigrées.
Chaperon, toute à ses émois gourmands, en oublia ses obligations
de maîtresse de maison. Et c'est à la fin du repas que nous nous
aperçûmes en riant que nous n'avions point de serviettes.
Et tant pis pour le protocole si nous dûmes trouver une autre manière
d'essuyer nos museaux !
Après tout, certaines saveurs sont faites pour être partagées
.
Et les organisations logistiques pour être oubliées.
" Arlette ! André ! Si vous voulez passer à table. Léon
va nous apporter son merveilleux soufflé, et vous savez qu'un soufflé
n'attend pas
. "
Sab installa donc ses invités autour de la table joliment décorée
de quelques fleurs fraîches et séchées, parmi la jolie vaisselle
aux couleurs pastels.
Lorsque Léon parût, un plat très chaud dans les mains, son
visage défait annonçait un désastre : le soufflé
qui avait créé son aura parmi leurs relations était ce
jour-là ridiculeusement raplapla et même légèrement
grillé.
" Mais ce n'est pas grave " se dépêchait de préciser
Sab ; " même s'il n'est pas vraiment très bien monté,
il va être savoureux à déguster. "
" Ca me fait penser à quelqu'un
" pouffa Arlette.
" Si c'est de moi que tu parles, je te signales que je me refuse à
commenter tes allusions déplacées. " lui rétorqua
aussitôt André.
" Léon chéri, sers-nous donc un peu de vin, et admets que
pela peut arriver à tout le monde, et même à toi, de rater
un soufflé "
Léon ne décochait pas un sourire, pourtant, et servit presque
à contrecur son Meursault .
" Heu, je voudrais pas dire, mais il a un drôle de goût
" s'empressa André, avec un petit sourire vache au coin des lèvres.
" Ah oui ! Il est complètement bouchonné, ton vin. C'est
comme celui de ma belle-sur, la semaine dernière. "renchérit
Arlette.
" Il n'était pas bouchonné ! Il avait une arôme particulier
que tu n'étais pas à même d'apprécier. " bougonna
André.
La salade qui apparut ensuite fut jugée très salée, et
en plus un peu trop cuite. Il faut dire que Sab l'avait mélangée
bien trop tôt.
Et la pintade était tellement sèche, que même avec son meilleur
couteau, Léon eut de la difficulté à la découper.
Le risotto aux champignons l'accompagnant se révéla collant et
insipide.
" Tiens, on dirait celui de ta mère ! " eut l'affront de jeter
André, au sommet de son art de la perfidie, à son épouse
Arlette.
Le Mercurey, censé magnifié la volaille, avait un arrière-goût
madérisé ; et les fromages
Le Saint-Félicien dégageait une odeur d'ammoniac, et le brie était
un plâtre sans arôme.
Sab crut au pire en voyant l'air excédé d'André lorsqu'
Arlette renversa son verre de vin sur la nappe en tentant de se servir une portion
de brie.
Léon, comme un somnambule, ne réagissait plus aux remarques acides
de ses "amis ", ni aux excuses attentionnées et tendres de
Sab.
" On va bien voir si j'ai au moins réussi quelques chose ce soir.
La mousse au chocolat, c'est le niveau BEP
"
dit-il en déposant sans conviction, sur quelques fleurs innocentes, un
saladier dans lequel se mouvait de manière glauque un mélange
marron.
Elle fut évidemment du même niveau que les plats précédents
: une masse moelleuse surnageait sur un fond liquide. Quelques morceaux un peu
plus solide avaient résisté.
Et le cake au chocolat était tellement friable qu'il s'émietta
à la découpe, malgré quelques parties collantes et non
cuites.
" Tu peux parler de ma mère " envoya Arlette, " mais là,
c'est le même gâteau que ta chère sur nous a servi
la semaine dernière. "
" Mais au moins ma sur, elle dépense pas des fortunes chez
l'esthéticienne pour camoufler ses bourrelets et ses rides. "
Léon, prostré dans sa cuisine, n'était plus là
lorsque le couple d'invités prit congé, lui querelleur et méchant,
elle pleurnichant son rimmel.
Il ne releva la tête que lorsque Sab, tendrement, vint se serrer contre
lui et lui prit la tête dans les mains.
" Ca y est, c'est fini. Ils sont partis. Mon chéri, comme cela a
dû être dur pour toi de rater tout tes plats. "
Un sourire revint sur le visage de Léon :
" et surtout pas facile de le faire volontairement
. "
La pintade à la Léon (la recette pas ratée)
Placer la volaille lardée et bardée dans une cocotte (ou rondeau
haut) sur un lit d'oignons et de carottes, ail écrasé, thym, laurier,
sel, poivre, et enfourner Th.7.
Laisser environ 1h/1h30 selon le poids.
Retourner à mi-cuisson.
Vérifier la cuisson à la fourchette : le jus doit être clair.
Découvrir et délarder et remettre au four, sans couvrir, pour
colorer.
Réserver au chaud et recouvert de papier aluminium.
Mettre la cocotte sur feu vif pour faire colorer les sucs. Dégraisser.
Déglacer au vin blanc.
Ajouter un peu de madère et faire réduire. Au deux-tiers.
Mouiller avec un fond brun lié et passer au chinois
" Monsieur le Maire, j'insiste, c'est intolérable ! "
" Ne t'énerve pas, Justin, c'est mauvais pour le cur. Et tu
sais aussi bien que moi que depuis le temps que ça dure, les gendarmes
avouent n'avoir aucune piste. Et ça s'est passé comme pour les
autres ? Le Chevalier Clafoutis ? "
La discussion dura un bon moment ce dimanche matin là chez le Maire
d'Albignac.
Il s'avéra que la mésaventure dont se plaignait Justin, second
adjoint au maire, était en tout point semblable à celles qui se
répétaient depuis plusieurs mois dans toute la région.
Il y avait même plusieurs cas à Tulle.
Une petite réception familiale du samedi soir, avec quelques bons plats
traditionnels, et au moment où la maîtresse de maison apportait
le dessert, en annonçant joyeusement :
" Ce soir, j'ai un peu changé ma recette. J'ai essayé un clafoutis
aux poires. "
La porte d'entrée s'ouvre violemment, une bourrasque de vent s'engouffre
dans le salon, et un personnage masqué habillé d'une grande cape
noire se précipite dans la pièce en gesticulant.
" C'est un flaugnarde ! La clafoutis est aux cerises noires du Limousin
!!! et avec les noyaux !!! "
Et sans qu'il ne fasse un pas, le dessert tenu par la maîtresse de maison
se trouve projeté au visage du maître de maison, l'éclaboussant
telle une vulgaire tarte à la crème. Et profitant de la stupeur
des invités, le personnage, que la rumeur eut rapidement surnommé
le Chevalier Clafoutis, s'éclipse dans la nuit sans laisser aucune trace.
La gendarmerie menait son enquête, laborieusement, enregistrant et analysant
tous les témoignages. Il fut remarqué que jamais une femme ne
reçut le dessert au visage ; et dans les quelques cas où aucun
homme n'était présent à la soirée, ce fut le chien
qui fut visé. Mais les fins limiers n'avaient aucune piste sérieuse
pour retrouver le sombre individu.
Il se murmurait dans certains milieux " bien informés " que
l'enquête n'avait aucune chance d'aboutir, étant donné que
le colonel de gendarmerie, ainsi que le préfet, avaient ri ensemble de
la situation, tout en sous-entendant qu'après tout, les cuisinières
et cuisiniers n'avaient qu'à respecter les bonnes choses, et ne réaliser
que des clafoutis selon la recette établie, ou se contenter de simples
flaugnardes aux fruits. Il est vrai que ce sont des gens du pays, particulièrement
attachés aux traditions limousines.
L'une des plaintes, celle de Monsieur Muller, intrigua pourtant les gendarmes
chargés de l'enquête : le dessert avait bien été
réalisé avec des cerises noires, les proportions, selon Madame
Muller, apparaissaient traditionnelles, mais les récits des témoins
se révélaient curieux. Si la plupart n'étaient pas certains
de ce qu'ils avaient entendu, deux d'entre eux avaient cru entendre une expression
supplémentaire complétant la phrase habituelle. " Pas celles
d' Eballe. " selon le premier, et " pas celles à deux balles
" selon le second.
Et au lieu de diligenter leur enquête sur la découverte du Chevalier
perturbateur des festivités familiales, ils passèrent beaucoup
de temps à élucider ce point de détail.
Ils se montrèrent particulièrement fiers en annonçant au
préfet : " Enfin, nous avons trouvé ! "
" Alors, qui est cet énergumène, défenseur excessivement
attaché à nos valeurs culinaires ? "
" Nous ne le savons pas, Monsieur le Préfet. Mais nous savons à
présent que Madame Muller avait hébergé son beau-frère
Walter Muller, citoyen suisse, et que celui-ci lui avait apporté des
cerises noires provenant de la région de Bâle. Et ce sont celles-ci
qu'elle avait utilisées pour faire son dessert. "
Et le préfet en riant annonça qu'il ne lui restait plus qu'à
prendre un arrêté spécifiant la façon précise
dont devait être réalisé le clafoutis. Puisque le Chevalier
Clafoutis était aussi sensible à l'origine des produits.
Voici donc, extrait de l'arrêté préfectoral, la recette ayant dorénavant force de loi, toute variation devant se dénommer flaugnarde, ou tout autre nom différent dû à son origine particulière, tel que flamusse par exemple.
200 g Farine, 4 oeufs entiers, 1/2 l de lait, 1 pincée de sel, 2 cuillères
à soupe d'huile, 150 g de sucre, 400 g de cerises noires, 1 dl de rhum
ou eau de vie, beurre.
Mettre la farine dans un saladier. Ajouter les oeufs entiers, le sel, le moitié
du lait, l'huile et travailler avec une cuillère en bois. Ajouter le
reste du lait, un tiers du sucre et l'alcool. Lisser la pâte. Laisser
reposer une heure environ.
Beurrer un plat à bord haut. Déposer les cerises lavées,
équeutées, mais non dénoyautées. Recouvrir avec
la pâte. Parsemer de quelques noisettes de beurre. Mettre à cuire
dans un four chaud (210 ° Th 7) pendant 30 a 35 minutes.
Apres cuisson, saupoudrer du reste de sucre.
" J'ai pas très chaud, maintenant. Je vais aller mettre mon pull.
Où l'as-tu rangé ma chérie ? "
" Dans le placard de la chambre. A gauche, je crois. " me répondit-elle,
toute à sa lecture d'un roman de Milan Kundera.
Evidemment, je ne le trouvais pas, mais en déplaçant les vêtements
je mis la main sur une fourrure douce, enfouie entre deux manteaux sombres.
Et en retirant légèrement le vêtement en question je découvris
un sublime long manteau bleu pâle, agrémenté d'une fourrure
blanche d'une douceur extrême. Une telle délicatesse, une telle
grâce naturelle s'en dégageait que je le remis en place sans rien
dire, dubitatif, et finis par trouver mon pull dans la partie droite du placard.
Tout en revenant au salon, je me creusais la mémoire pour essayer de
me souvenir où j'avais déjà aperçu un tel manteau.
Ce fut plus tard, en déplaçant une pile de CD que j'eus un nouveau
choc : l'illustration représentait " mon " manteau, habillant
délicieusement une fort belle femme élégante à la
peau claire et les bras chargés de présents. Il s'agissait d'un
CD d'une uvre de Rimski-Korsakov : Snegourotchka.
" C'est curieux de tomber sur ce disque. " m'exclamais-je. "
Je repensais justement à cette vieille histoire que me racontait ma maman,
parfois, pour m'endormir. "
" Ah oui ? Raconte-la moi. J'adore ces vieux contes. " me dit-elle
avec ses yeux malicieux.
Son regard pétillait de malice pendant que je racontais l'histoire de
la fée des neiges, qui fit rêver tant de petits garçons
des grandes plaines russes.
" Et c'est amusant que tu possèdes le même manteau que Snegourotchka.
" lançais-je à la fin de mon récit.
" Le même genre de coïncidence sans doute que de trouver chez
toi le manteau de ce fameux O'Maley, qui parfois marche sur les eaux, ou raconte
parfois des souvenirs de Mandrin ou de Merlin
.. "
Ses yeux rieurs avouaient, tout en précisant qu'elle savait aussi beaucoup
d'autres choses, dont il valait mieux ne pas parler.
" Il serait peut-être temps que je m'attaque à la préparation
du cake que nous avons promis d'apporter ce soir, chez ton cousin ? ".
Stratégie de repli. Il est des discussions qu'il vaut mieux ne pas prolonger.
Je préparais tranquillement le cake au Roquefort et l'enfournait.
Nous évoquions quelques projets futurs, tout en dégustant un petit
Chablis, lorsqu'il fut temps d'aller sortir le cake de son four.
" Une fois de plus, il a une très belle allure, mon chéri
! Je vais le mettre à refroidir sur le balcon."
Lorsqu'elle revint je lui en tendis un second, puis un troisième.
Lorsque je lui tendis le cinquième, elle se mit à rire.
" Mais combien en as-tu fait ? Un seul aurait suffi ! "
" Oh ! La multiplication ! Excuse-moi. Mais on fait parfois des choses
machinalement. Sans doute notre discussion de tout à l'heure
. "
Bien évidemment, nous n'en avons apporté qu'un chez le cousin,
et la soirée fut fort agréable.
La recette du cake au Roquefort pour 6 personnes.
(la multiplication des cakes est une opération qui demande un certain
entraînement)
20 cl de crème, 3 ufs, 150gr de roquefort, 70gr de raisin sec, 200gr de farine, 1 sachet de levure chimique.
Faire tremper les raisins dans une tasse de rhum. Préchauffer votre
four à 210 °.
Mélanger farine, levure, oeufs entiers, crème dans un saladier.
Incorporer délicatement le Roquefort en petits morceaux, puis les raisins
égouttés.
Beurrer un moule à cake et y verser la préparation .
La mettre au four en rabaissant à 180°
Laisser cuire 35 mn
Laisser tiédir avant de démouler
Vous savez combien j'aime me promener dans la nature, et me laisser bercer
par ces beautés superbes.
Il y a quelques jours je profitais de la belle arrière-saison du côté
de Perpignan. Il y des bois magnifiques, à quelques encablures de la
mer, avec des petits contreforts escarpés, des vues qui se transforment
en quelques hectomètres, de l'air pur et de la chlorophylle
.
Il était très tôt dans la matinée, et des bribes
de brouillard s'accrochant aux arbres, ou nappant quelques combes, ajoutaient
une touche de magie à cette promenade. Le soleil parfois se révélait,
ou se cachait, nimbant d'une clarté étincelante des nuages pâles.
Tout à ma poétique promenade, je ne vis qu'au dernier moment l'homme
assis sur une souche et courbé, la tête dans les mains, comme s'il
pleurait. Je ne pouvais l'éviter et le saluait. Il en profita pour péniblement
me raconter une sombre histoire, pas très cohérente.
En résumé, et sans le vouloir, il avait bousculé une vieille
femme dans la forêt et avait emporté le lourd sac dont elle souhaitait
qu'il l'aide à le porter. En s'esquivant, il avait cru vaguement entendre
comme une série de jurons. Et maintenant il avait mal sur tout le corps,
sa peau le démangeait et partait en lambeau. Il allait certainement bientôt
mourir dans d'atroces souffrances.
Parce qu'il m'ennuyait, finalement, avec ses histoires sordides, me dérangeant
dans mes plaisirs romantiques et évanescents, je lui tapotais machinalement
l'épaule, en l'assurant qu'il exagérait, et qu'un médecin
allait rapidement le soigner, dès qu'il irait en ville.
C'est alors qu'il s'exclama : " Mais je n'ai déjà plus mal.
Et regardez mes mains : elle guérissent à vue d'il
.
Monsieur, je ne sais pas qui vous êtes, mais vous m'avez sauvé
la vie. Je ne suis qu'un pauvre va-nu-pieds et je n'ai rien à vous donner.
Alors gardez le sac de la vieille. De toute façon, il ne peut que me
porter malheur. "
Ceci dit, il partit à vive allure sans écouter mes dénégations.
Assis à mon tour sur la souche de bois, j'examinais le sac : des pommes
de terre, dans un papier un joli morceau de filet de buf, un petit pot
de beurre, et une jolie boîte bizarrement décorée de volutes
entremêlés. Celle-ci s'ouvrit sans difficulté et j'y découvris
un simple glaçon, non fondu aussi bizarre que cela puisse paraître,
et un morceau de papier jauni. Je jetai le glaçon et lu la phrase écrite.
J'entendis alors un coup de tonnerre, et me retournant vers son origine, je
vis dans le ciel, à quelques centaines de mètres, un gros nuage
noir en train de se déverser.
" Aurais-je fait une bêtise ? " me dis-je en ramassant mes affaires
et me dirigeant vers le bas du coteau.
En arrivant vers l'endroit où l'orage subit venait d'éclater,
j'eus la surprise de voir brusquement la terre couverte de glaçons, sur
une surface tout de même peu importante. Mais les prés en étaient
couverts, les feuilles des arbres avaient été déchiquetées,
et les champs avaient versés.
En avançant comme un somnambule, je découvris, au détour
du détour du chemin, une petite maison, qui avait elle aussi souffert
de l'avalanche de grêle. Les légumes du jardin, les parterres de
fleurs, tout était détruit. Et je voyais de l'eau s'écouler
de la porte d'entrée ouverte.
J'appelais en m'approchant, et je vis une femme, au visage désolé,
une serpillière à la main, les vêtements mouillés
et les cheveux en bataille.
Comme elle me l'expliqua, avec un langage de marin, elle écopait depuis
un bon moment, et elle en avait marre de toutes ces catastrophes lui tombant
dessus les unes après les autres.
Je lui offrit naturellement mon aide, et allait chercher du bois, pour faire
un bon feu et la ragaillardir.
Lorsque tout fut à peu près épongé, je me mis à
la cuisine pendant qu'elle allait se changer et sans doute se repeigner.
Elle rit de bon cur, lorsque je lui demandai de l'eau pour faire cuire
les pommes de terre ! Et son joli sourire éclaira enfin son visage.
Je réalisais rapidement une purée de pommes de terre, avec beaucoup
de beurre et du lait chaud, et fit ensuite sauter des tranches de filet de buf
dans le beurre clarifié auparavant.. Les sucs de cuisson remontés
au beurre. Quelques grains de sel, une pincée de poivre.
Nous fîmes un repas simple, mais tellement succulent !
Il suffit souvent d'une viande bien goûteuse et d'une cuisson vive et
respectueuse.
Je ne lui racontais pas l'histoire de la boîte bizarre et du glaçon jeté en l'air, mais je me suis promis de faire plus attention lors de mes promenades.
Quelle drôle d'idée j'avais eu de vouloir suivre ce cygne. Une
irrépressible nécessité, contre laquelle aucune réflexion
ne pouvait lutter, m'avait une fois encore conduit dans cette aventure.
Me prélassant au bord d'un lac, je vis un superbe cygne noir s'approcher
de la berge, d'une allure majestueuse et belle. Lorsqu'il s'éloigna,
je grimpais dans une barque amarrée et le suivit à la rame. Mais
au bout d'un moment, j'avais les pieds dans l'eau : la barque était endommagée
et l'eau s'infiltrait. Je me dépêchais de parvenir à la
berge et n'eus que le temps de débarquer avant que la barque ne s'enfonce
doucement dans l'eau.
Où étais-je ? Comment retrouver mon chemin ? Le cygne était
là, non loin de moi, sur le lac, et son regard semblait satisfait d'une
tâche accomplie.
Je me décidais à partir au jugé, en prenant un chemin après
l'autre dans un sous-bois sombre. Avec comme l'impression que les taillis s'ouvraient
devant moi, et que les ronces s'écartaient. Ainsi je parvins auprès
d'une petite chaumière, fort coquettement fleurie. J'y entrais et vis
sur la table un cake, doré et appétissant. Il y avait aussi une
assiette et un couteau qui semblaient m'attendre. Malgré la faim qui
me tiraillait l'estomac, je me retins de l'entamer, me souvenant d'aventures
surprenantes. A peine étais-je assis sur un fauteuil pour me reposer,
que la chaumière fut toute secouée et se mit en mouvement. Je
n'en croyais pas mes yeux : ce n'était pas un tremblement de terre ;
la chaumière s'était levée et avançait. En me penchant
par la porte restée ouverte, je vis, abasourdi, qu'elle avait des pattes
de poule de haute taille. Comme il m'était impossible de sauter d'aussi
haut, il ne me restait rien d'autre à faire que d'attendre, en évitant
de regarder le cake si tentant. Je finis même par m'endormir, ce qui était
finalement le plus sage.
Je fus réveillé par une caresse douce sur le front. Devant moi,
une belle femme aux cheveux roux me souriait de ses yeux si doux.
" Tu dois avoir faim, et malgré cela tu as su résister à
la tentation. Tu as bien fait, car un mauvais sort t'attendait. Maintenant tu
vas pouvoir manger, puis tu pourras repartir car je ne te retiendrai pas prisonnier.
"
Evidemment je mangeais avec appétit, sans me poser trop de questions.
A quoi bon.
Nous discutâmes tellement longtemps, et cela était si plaisant,
que nous ne vîmes pas arriver la nuit.
Ce fut donc seulement le lendemain que la Fée du Lac me fit raccompagner
par son cygne noir.
Je retourne régulièrement, depuis, voir le cygne noir. Pour qu'il m'emmène à la cabane sur pattes retrouver la Fée du Lac aux yeux si doux.
Le cake aux figues et aux olives :
ingrédients :
100g d'olives noires dénoyautées (surtout pas à la Grecque),
100 g de figues sèches marinées au Porto, 3 ufs , 200gr
(+ 2 càs) de farine, 30 g de sésame, 1 c à café
d'anis étoilé réduit en poudre, 1 c. à café
de sel, poivre, 4 càs d'huile d'olive, 4 càs de lait, 1 sachet
de levure chimique, 1 noix de beurre (pour la cuisson), ½ c. à
café de romarin et ½ c. à café de thym.
réalisation :
Allumez le four, th.6 (170°C). Beurrez un moule à cake de 26 cm de
long puis parsemez de farine.
Cassez les ufs dans une terrine et ajoutez sel, poivre. Battez au fouet
puis ajoutez thym, romarin, sésame, anis, lait et huile. Incorporez la
farine et la levure puis les olives coupées en morceaux et farinées,
en remuant avec une spatule.
Ajoutez ensuite les figues coupées en morceaux et farinées. Remuez
délicatement.
Versez la préparation dans le moule et glissez au four. Baissez le thermostat
à 4 (120°C) et laissez cuire 40 mn jusqu'à ce que le cake
soit gonflé et doré. Vérifiez la cuisson au couteau ou
à l'aiguille à tricoter. Laissez-le reposer 5 mn puis démoulez
et laissez refroidir sur une grille.
Il faisait un temps superbe sur les vallées alpines, et lorsque j'annonçais
à l'hôtesse de la petite auberge que je comptais aller en ballade
vers les pâturages, du côté de la cascade, elle me le déconseilla,
prétextant je ne sais plus quelle sombre et curieuse histoire de femmes-brigands.
Ne prêtant pas attention à ce type de légendes locales,
surtout destinées à impressionner le voyageur crédule,
j'étais parti en voiture, poursuivant à pieds à travers
le bois, longeant d'abord le torrent jusqu'à la cascade et débouchant
ensuite sur les pâturages. Désirant faire une halte, je m'approchais
d'un verger et m'assis au pied d'un pommier.
J'avais à peine terminé ma cigarette qu'un bruit strident et un
choc sourd au-dessus de ma tête m'éberluèrent : une flèche
venait de se planter dans le tronc d'arbre, 5 centimètres au-dessus de
moi. Tournant la tête de tous côtés, je cherchais à
apercevoir l'abruti qui me prenait pour cible, lorsqu'une seconde flèche
se planta juste à côté de la première. J'eus la bonne
idée, me paraissait-il, de m'allonger par terre et de ne plus bouger.
Au bout de longues minutes, je rouvrais les yeux en me retournant et je vis,
face à moi, 5 femmes jeunes et n'ayant pas l'air de plaisanter, en habit
d'archers et l'arc à la main.
" Vous n'auriez pas dû croquer nos pommes ! Suivez-nous ! autrement
.. "
Celle qui paraissait être le chef, belle blonde aux yeux bleus, aux lèvres
apétissantes et aux formes avantageuses, me parlait néanmoins
avec la belle autorité d'une flèche acérée sur son
arc, prête à me transpercer. Je me levais donc lentement, levais
les mains comme je l'ai vu faire au cinéma et m'approchait. Deux d'entre
elles m'eurent rapidement et violemment lié les mains et je les suivis
donc. Que pouvais-je faire d'autre ? et de toute manière, que risquais-je
entre des mains féminines ?
Au bout d'une bonne heure de marche, dont je dû faire la dernière
partie les yeux bandés, nous nous arrêtâmes. Après
m'avoir ôté mon bandeau, elles me poussèrent dans une grotte
qui s'avéra très bien aménagée. Un beau feu de bois
réchauffait la pièce meublée d'une grande table et de chaises.
Je fus jeté dans une autre cavité, plus petite, sur des amoncellements
de peaux de bêtes servant visiblement de lit, et je dus attendre un long
moment, les entendant discuter sans vraiment comprendre leurs paroles. Il me
semblait même que parfois elles pouffaient de rire.
" Viens manger, croqueur de pommes ! ". La chef de ces amazones avait
cette fois une voix rieuse, pleine de sous-entendus.
Je ne sais pourquoi, mais je sentais l'atmosphère plus détendue,
leurs yeux semblaient un brin rieur, et leurs attitudes moins guerrières
et pour tout dire plus féminines. Celle qui détacha mes liens
était presque caressante. Je me mis à table l'esprit songeur,
mais j'oubliai vite toute crainte lorsque l'on m'apporta un plat fumant d'une
espèce de grosse brioche renversée.
Je me coupais une tranche et goûtais ce plat inconnu. Des saveurs multiples
et moelleuses comblèrent mon palais. Pommes de terre onctueuses et petites
tranches de lard, pruneaux et raisins secs, très léger goût
de poire, force discrète d'un alcool.
Me resservant une seconde part, je remarquais les regards de mes geôlières
devenir soucieux, entendais quelques chuchotements. Alors je me dis que le mieux
à faire était de surtout bien manger, et ne plus penser à
la suite des évènements.
" C'est tellement excellent, tellement surprenant de tous ces goûts
entremêlés, que je vais encore en reprendre, si vous le permettez.
"
Ayant presque terminé le plat, probablement prévu pour 12 personnes,
ainsi que la bouteille de vin que l'on m'avait présenté, je me
sentais un peu lourd et surtout totalement détendu.
" Je vous remercie pour ce succulent repas, et si vous me l'autorisez,
je vais aller m'allonger un moment. "
Et sans attendre de réponse de mes amazones visiblement décontenancées,
je retournais m'allonger dans mon coin douillet, et ne tardais pas à
m'endormir tranquillement, sans plus aucun souci.
A mon réveil, j'étais seul. Sur la table un petit mot :
" Croqueur de pommes, tu t'en es bien tiré, cette fois-ci. Mais
si tu reviens par ici, sache que nous restons sur notre faim. Alors méfie-toi
des Amazones du Champ des Pommes
"
Je me débrouillais tant que bien que mal pour retrouver mon chemin, et ma voiture, et ne racontais évidemment rien à mon hôtesse.
Recette du farcement savoyard :
1,5 kg de pomme de terre, 400g de pruneaux, 350 gr de poitrine fumée
coupée en tranches fines,
150g de poires fraîches, 50g de raisins de Corinthe, 1 uf, 1c.à
soupe de farine, 50 gr de beurre, 1pt verre de marc, muscade, sel+ poivre
Eplucher et râper les pommes de terre, éplucher les poires, dénoyauter
les pruneaux et couper le tout en tout petits morceaux.
Verser dans un récipient les pommes de terre, les fruits, la farine,
l'uf, un peu de muscade, sel, poivre, un petit verre de marc.
Beurrer le moule, l'habiller avec les tranches de poitrines fumées en
laissant déborder 2 à 3
cm à l'extérieur du plat (genre moule à kouglof).
Verser le contenu dans le moule en prenant soin de bien tasser. Rabattre ensuite
les tranches à l'intérieur du moule. Couvrir le moule et mettre
au four au bain marie durant 2 h th6.