" En descendant, montez-donc boire une tasse de tilleul ! "
Il semblerait que ce soit cette phrase, somme toute anodine sur les pentes de
la Croix-Rousse, où souvent les passants descendant les escaliers abrupts
se trouvent à quelques mètres d'une fenêtre du troisième
étage, cette phrase qui, ayant fait le tour du quartier, la fit surnommer
Mamie Tilleul.
Il est vrai qu'à peine arrivée dans le quartier, expatriée
d'une autre périphérie Lyonnaise, et de bien plus loin auparavant,
son nom était difficile à prononcer pour les gosiers des gones.
Madame Schonzghellerzonstrube était sympathique et affable, et le quartier
eut vite fait de substituer cet amical surnom de Mamie Tilleul à son
nom d'état civil.
Les commerçants les premiers, heureux de cette nouvelle pratique, visiblement
gourmande et en tout cas connaisseuse en produits de qualité. De son
il clair et précis, et avec une amabilité rieuse, elle savait
refuser les produits douteux ou les morceaux de second rang, malgré les
apprêts cherchant à les masquer. Et souvent elle mettait à
l'uvre leurs sagacités professionnelles en leur commandant des
denrées peu courantes, des morceaux oubliés, et ceci sans oublier
de bien gérer son budget. Comme le jour où elle demanda à
son boucher de la graisse de rognon de buf !
Les bons professionnels aiment les clients exigeants, qui savent en fait reconnaître
leurs qualités.
Tous les jours, en faisant son marché, elle s'arrête faire une pause dans un petit bistro du Boulevard, et demande invariablement un tilleul-menthe. Et si le bruit circule, qu'en fait, le garçon lui sert discrètement une tasse d'un liquide de même couleur mais bien plus alcoolisé, celui-ci a toujours démenti le fait, qui n'aurait rien de désobligeant, au demeurant. Et pourtant, un soir, nous l'avons copieusement arrosé, avec quelques amis, afin de lui soutirer le fameux secret. Il est resté ferme sur ses déclarations.
Et donc si, un jour, en descendant la colline, une charmante mamie vous propose une tasse de tilleul, n'hésitez surtout pas à grimper ses trois étages. En abandonnant là vos projets pour les 3 heures suivantes. A défaut d'infusion de tilleul, vous pourrez toujours opter pour une tasse de schnaps, un verre d'alcool de poire, et certains jours d'exceptions vous pourriez même déguster sa spécialité de Christmas Pudding arrosé d'une Cumberland Hard Sauce. Car elle est comme ça, Mamie Tilleul : gourmande bien sûr, mais surtout ouverte à toutes les gourmandises, toutes les expériences culinaires. Et aimant partager sa gourmandise.
Et c'est ainsi qu'un jour je lui fis un très grand plaisir ; une recette surprenante et toute en finesse, qu'elle apprécia avec tout l'humour dont elle est douée : la pintade au tilleul.
1 belle pintade, du tilleul séché, 1 verre de vin blanc sec,
3 jaunes d'ufs, 3 cuillerées à soupe de crème épaisse,
beurre, huile, sel, poivre
Préparez avec 1/3 d'eau une infusion de tilleul très concentrée.
Coupez la pintade en 8 morceaux et faites-les revenir dans une cocotte avec
de l'huile et du beurre. Quand ils sont colorés, salez, poivrez, et laissez
cuire doucement pendant 10 minutes. Mouillez avec l'infusion de tilleul et le
vin blanc et laissez cuire à feu doux 30 minutes.
Réservez les morceaux de pintade et faites réduire de moitié
le jus de cuisson.
Liez avec la crème et les jaunes d'ufs.
Dressez les morceaux de pintade dans un plat creux chaud et nappez-les avec
la sauce.
Servez accompagné d'un riz créole
* Le parfum très subtil du tilleul devant être préservé,
n'ajoutez aucun autre aromate.
Dans un vieux grimoire familial, j'ai lu cette petite histoire racontée par un ancien aïeul, Mho le Maltais, avant qu'il ne change de nom en émigrant vers les régions de l'est de l'Europe, après quelques histoires alchimistes. Bien que je ne sois pas certain de la véracité de ce récit, cet aïeul faisant preuve parfois d'une imagination curieuse, comme lorsqu'il prétend avoir montré une carte de l'Australie, de sa fabrication , à un voyageur anglais, et ceci en 1597, ou inventé un système de propulsion à vapeur pour machines à quatre roues, je vous fait part toutefois de ce curieux récit.
Il vivait donc depuis plusieurs années à Genève, en raison
de l'indépendance de cette ville, et des libertés de pensée
et d'esprit qui y régnait mieux qu'ailleurs. Très souvent, il
aidait de ses conseils avisés un cuisinier du château du nom de
Sergio le Crétois, et en particulier ils découvraient ensemble
l'usage des épices provenant des pays des Maures.
Depuis quelques temps, des escarmouches guerrières avaient lieu avec
les turbulents voisins de Savoie, mécontents d'avoir dû céder
des territoires au roi de France, et désireux, sans doute, de mettre
la main sur les terres fertiles des environs de Genève. Mais l'hiver
étant venu, il paraissait que le calme allait régner pour cette
fin de l'année 1602.
Ce soir-là nos deux compères essayaient de nouveaux mélanges
dans une grande marmite posée sur le feu de l'immense cheminée
: agneau, pruneaux, olives et raisins secs, avec de nombreuses épices.
Les odeurs se mélangeaient agréablement à leurs narines,
pendant qu'ils prenaient des notes tout en buvant quelques rasades d'un délicieux
vin de Valais.
" Ouvre donc la fenêtre que je mette la marmite à refroidir,
le feu va trop fort et nous n'aurons bientôt plus de jus. " Sergio
le Crétois s'approchait en portant à bout de bras l'énorme
marmite. Il était grand et fort, mais on voyait à l'hésitation
de ses pas qu'il faisait un effort immense, tant la marmite devait être
lourde. La levant pour la poser sur la margelle de la fenêtre, il était
à bout de force, et l'accident prévisible arriva : il fit basculer
la marmite et son contenu dans le vide. Et c'est alors qu'ils entendirent des
cris d'effroi. En se penchant ils aperçurent malgré la nuit sombre
une bande de Savoyards effondrés parmi leurs échelles, se relevant
en gémissant et rebroussant chemin. Une attaque surprise venait d'échouer
par la faute de leur marmite.
En se retournant, l'un des assaillants, brandissant une torche et dévoilant
ainsi une longue chevelure blonde de femme, s'écria d'une voix forte
:
" Je me souviendrai du goût de ta soupe, Crétois ! Et si tu
viens un jour par chez moi, je t'en ferai manger aussi. Mais ce sera quand même
dans une écuelle, car il est dommage de gâcher un plat aussi bon.
Tu n'auras qu'à demander où habite Amazone du Champ des Pommes.
"
Ils se remirent à l'ouvrage pour refaire leur plat, en utilisant cette
fois-ci un plat en terre, ornementé d'un bizarre couvercle pointu.
" C'est un souvenir d'un cousin du pays des maures, Mohammad Ibn Tâjin.
On va bien voir si cela peut nous servir, puisque je n'ai plus de marmite "
expliqua Sergio.
" Et pour cette histoire, comme il vaut mieux ne pas te mêler à
ça, je vais m'arranger avec la gouvernante. Nous dirons que c'est elle
qui a jeté la marmite sur les assaillants. Elle deviendra une héroïne
et passera à la postérité pour les avoir repoussé
en ce jour du 12 décembre. "
Voici la recette concoctée ce soir-là, et qui porte le nom de
ce cousin du pays des Maures :
Tâjin d'agneau aux pruneaux, olives vertes et raisins secs.
Ingrédients :
1,5 kilo de collier d'agneau, 500 grammes de pruneaux, olives vertes, 2 oignons,
200 g. de raisins secs, 3 bâtons de cannelle, 1 cuillère à
soupe de Raz el Hanout, 1 cuillère à café d'eau de fleurs
d'oranger, 1 pincée de muscade moulue, 2 cuillère à soupe
de graines sésame, 100 g. d'amandes émondées.
(à défaut de Raz el Hanout, préparer un mélange
avec curcuma, coriandre, piment doux, cumin, cannelle, à égalité
et un soupçon de gingembre et de poivre noir)
Préparation :
Faites chauffer un peu de beurre dans une marmite, et faites revenir les oignons.
Réservez-les et faites revenir la viande coupée en gros morceaux
de tous côtés. Pendant ce temps, faites chauffer jusqu'a ébullition
les pruneaux et les raisins, avec un bâton de cannelle, dans une casserole
remplie d'eau. Coupez le feu dès les premières bulles et laisser
reposer.
Des que la viande est bien dorée, mouillez-la. Incorporez l'eau de fleur
d'oranger, le Raz el Hanout et 2 bâtons de cannelle.
Laisser cuire à feu très doux environ une heure.
Réservez la viande au chaud et ajoutez les fruits sans leur jus de cuisson,
et les olives. Laissez cuire encore une vingtaine de minutes.
Pendant ce temps, faites cuire un riz goûteux (par exemple Basmati) dans
l'eau de cuisson des pruneaux (sans le bâton de cannelle).
Au moment de servir, réchauffer la viande dans la sauce ; faire revenir
à l'huile les amandes et griller les graines de sésame à
sec. Présenter les morceaux d'agneau avec du riz et entourés de
pruneaux et d'amandes en saupoudrant de graines de sésame et d'amandes.
Ils m'avaient semblés légèrement étonnés
en arrivant dans la clairière des fées, au cur de Brocéliande,
en voyant la table de pierre, lieu habituel de nos essais gustatifs et de nos
expériences de potions gastronomiques, totalement vide. Une fois assis,
ce fut Jean Le Dur qui rompit le silence pesant :
" Mais enfin, Merlin, il n'y a ici aucune saveur délicate en nos
narines pour expliquer le pourquoi de cette convocation impérieuse des
meilleurs mages de la forêt. "
" Et pourquoi ne sommes-nous que trois ? " ajouta René Le Sage,
qui s'en voulait d'avoir quitté sa bibliothèque, pour une si piètre
tablée.
" Nous n'avons quand même pas fait ce long voyage pour rien ? "
renchérit Michel le Cormoran. " Tu sais comme j'ai horreur des voyages
lointains ! "
Il me fallut de longs palabres pour les convaincre de ne pas repartir sur le
champ, et leur expliquer tout ensemble qu'il ne s'agissait pas, pour une fois,
de goûter quelque nouvelle préparation, que les autres mages étaient
déjà pris par d'autres obligations dont ils n'avaient pu se défaire
en un si court terme, et qu'ils avaient pour tâche importante de m'aider
à résoudre un problème extrêmement délicat.
En effet, pour mon prochain rendez-vous avec Mélusine, j'avais une hésitation
sur la recette de chevreuil destinée à l'enchanter à nouveau.
Et chacun sait combien l'enchantement de Mélusine est important à
mes yeux.
Ils finirent par se saisir du parchemin sur lequel j'avais écrit mon
projet de coction et réfléchirent longuement.
" C'est parfait ! Rien à changer !" déclara, un peu
rapidement à mon gré, Michel le Cormoran, sans doute pressé
de repartir.
" Pas d'accord ! J'adore le chevreuil, mais je n'aime pas cette recette.
Pour moi, le chevreuil doit absolument être mariné ! " s'écria
Lean Le Dur.
" Mariné ou pas mariné
. Peu d'importance. Ce qui me
semble crucial c'est la qualité de ta crème : elle doit absolument
être fraîche et liquide, sinon tu vas à la catastrophe. ".
René Le Sage lançait ainsi un débat contradictoire fort
vif, mais dont les conclusions m'importaient énormément.
Les laissant ferrailler tous les trois sur les avantages ou désavantages
de la marinade et les différentes qualités de la crème,
selon qu'elle soit épaisse ou fluide, je leur servais régulièrement
quelques verres de Chablis, Dole Blanche ou Puligny-Montrachet pour les mettre
de bonne humeur.
Les palabres duraient depuis un bon moment, lorsqu'un novice arriva et vint
parler à l'oreille de René Le Sage. Celui-ci acquiesça
de la tête, s'entretint rapidement avec ses deux compères et m'annonça
qu'ils devaient partir illico pour une affaire de la plus haute importance.
" Et pour ton chevreuil, tu fais comme tu veux. Mais tiens-nous au courant
de l'appréciation de Mélusine. "
Ils partirent si vite que j'eu le temps de faire un signe au petit novice.
Qui ne résista pas longtemps pour me confier la teneur de son message.
Il ne s'agissait pas d'une invasion de vikings, ni de problèmes avec
le roi Artur, mais plus simplement de l'arrivée des nouvelles élèves
à l'école des fées.
" Et c'est vrai qu'ils ont beaucoup de choses à leur apprendre,
aux nouvelles. " me dit-il avec un très léger sourire.
Je dus donc me débrouiller pour mon filet de chevreuil, avec les quelques indications glanées. Et voici donc ce que je fis, qui eut l'heur de plaire divinement à Mélusine. Dont je vous passe les compliments et réactions, à ce nouvel enchantement.
FILET DE CHEVREUIL
Ingrédients :
10 g de beurre à rôtir, 1 càs d'huile, 500 g de filet de
chevreuil bardé et ficelé en rôti, 1 oignon, 2 carottes,
2 branches de céleri, 1 pincée de curry, sel et poivre, 1 bouquet
garni, 200g de crème fraîche.
Marinade :
2 carottes, 3 échalotes, 1 oignon, thym, laurier, clous de girofle, 5
cl de vinaigre de Xérès, 1 càs d'huile, 1 bouteille de
vin blanc sec.
Préparez la marinade et faites-la cuire lentement 1 petite heure.
Laissez refroidir.
Mettez le filet et retournez-le toutes les 3 heures (avec des instruments propres
- pas avec les mains).
Enlevez le filet de la marinade et prélevez 25 cl. de jus. Mettez à
réduire le reste de la marinade.
Faites chauffer 10 g de beurre à rôtir et 1 cuillerée à
café d'huile dans une cocotte et faites-y dorer le filet de chevreuil
sur toutes ses faces. Pendant ce temps, pelez l'oignon et les carottes, épluchez
le céleri. Coupez l'oignon en anneaux, les carottes et le céleri
en bâtonnets.
Retirez le chevreuil de la cocotte, éliminez la graisse et faites revenir
les légumes. Couvrez et faites cuire 15 minutes, puis remettez la viande,
assaisonnez de sel, de poivre et de curry. Ajoutez le bouquet garni et les 25
cl. de jus de la marinade. Mélangez, couvrez et faites cuire pendant
15 à 20 minutes à feu doux.
En fin de cuisson, retirez le bouquet garni et le chevreuil. Réservez
ce dernier au chaud. Ajoutez le fond de marinade. Portez à ébullition
5-10 minutes. Passez au chinois. Ajoutez la crème fraîche au fond
de cuisson et portez à ébullition. Faites cuire pendant 5 minutes.
Montez au beurre manié, vérifiez l'assaisonnement et versez cette
sauce sur le chevreuil coupé en médaillon.
Servez avec une purée de céleri-rave, un gratin de pommes de terre
et un aigre-doux d'airelles.
Et savourez le sourire de Mélusine .
Rien n'était vraiment prêt pour ce nouveau réveillon de
Noël en solitaire. Mais, bah ! quelle importance
J'avais bien tout de même acheté quelques ingrédients, mais
je m'étais laissé entraîné à des lectures
savoureuses, à la recherche des recettes qui satisferaient ma gourmandise.
Tout en buvant quelques gorgées d'un champagne frais et fruité.
Tout allait bien, lorsque le téléphone se mit à sonner
!
Inconsciemment certain de ne pas être dérangé, j'avais oublié
de le débrancher. Me voilà donc obligé de répondre,
puisque mon correspondant insistait depuis 5 bonnes minutes.
C'était le Père Noël !
Il m'avait pris en amitié depuis notre rencontre, il y a deux ans, et
se voyait contraint de faire appel à mon extrême bonté,
étant donné qu'une crise de goutte le clouait sur son lit et l'empêchait
de faire sa tournée de distribution de cadeau.
" Mais enfin, Noël ! Tu n'y penses pas sérieusement ! Je ne
connais absolument rien à ce boulot. En plus je ne saurai jamais conduire
ton traîneau. Si j'acceptais, ce serait une catastrophe
.. "
Rien n'y faisait, il avait réponse à tout, invariablement : sa
fille était disposée à m'accompagner et m'indiquerait la
marche à suivre. Elle aurait d'ailleurs pu le faire sans moi, mais une
ancienne réglementation tatillonne imposait que cela fut un homme qui
fît cette distribution.
" De toute façon, ne t'inquiète de rien, elle s'occupera
de tout. D'ailleurs elle ne devrait pas tarder à arriver chez toi. Bonne
nuit mon compère ! "
Effectivement, quelques minutes plus tard, j'entendis arriver l'attelage dans un grand bruit de grelots. Quelle discrétion ! Je n'ose pas imaginer les commérages du voisinage, dont j'ai bien vu quelques têtes curieuses en observation derrière leurs fenêtre, regarder le traîneau et les rennes garés dans la rue, et la jolie femme au long manteau bleu pâle bordé de fourrure blanche sonner à ma porte.
Nous partîmes aussitôt et elle m'expliqua en cours de route que nous nous passions en situation hors du temps. Cela permettait de distribuer les cadeaux partout en même temps. Mais elle me prévint gentiment que cela provoquait tout de même une belle fatigue pour ceux qui faisaient la distribution.
Cela fut merveilleux de voir, parfois, les immenses sourires des petits qui nous attendaient. Quelle émotion aussi ces enfants endormis au creux du canapé. Et tous ces petits mots maladroitement écrits, et ces petites attentions pour nous et même pour nos rennes
Evidemment, il y eut quelques scènes inattendues, burlesques et mêmes pitoyables, mais il faut avouer que la majorité du genre humain est, au moins ce jour-là, pleine d'amour et de tendresses.
Lorsque nous revînmes, au moins un siècle plus tard, je garais
le traîneau sur le parking arrière, plus discret.
L'horloge de ma cuisine indiquait presque la même heure que lorsque nous
étions parti, lorsque je proposais à la jolie fille du Père
Noël un verre de champagne bien mérité.
Je pris alors le temps de mieux la regarder, et je vis un clair de lune dans
ses yeux, des milliers d'étoiles scintillantes dans ses cheveux et un
sourire si tendre sur ses lèvres
.
Comme nous avions faim, je préparais des escalopes de foie gras, rapidement
sautées à cru, et quelques tranches de poires délicatement
sautées dans le gras écoulé des escalopes. Un sublime régal
ce foie gras chaud, qui mêle le croquant légèrement grillé
au moelleux le plus fin, presque fondant, ceci accompagné des sucres
légèrement caramélisés des poires rehaussés
par une pincée d'anis étoilé en poudre.
Comme le clair de lune de ses yeux s'illuminait, je nous refis une seconde,
puis une troisième poêlée de foie gras.
Je me réveillais tardivement le lendemain matin. J'étais seul. Mais en regardant la glace, je remarquais des milliers d'étoiles dans mes cheveux, des clairs de lune dans mes yeux, et les rides du bonheur au coin de mes yeux.
ESCALOPES DE FOIE GRAS AUX POIRES
Eplucher les poires (des Alexandrine par exemple), les couper en fines tranches.
Escaloper un foie gras cru dénervé.
Faire sauter à la poêle très chaude les escalopes.
Une seule minute de chaque côté.
Réserver au chaud.
Dans le gras écoulé faire revenir les tranches de poires jusqu'à
belle coloration.
Sel, poivre, anis étoilé réduite en poudre.
Servir chaud, avec peut-être un peu d'aigre-doux de raisin ou de figues.
Par la fenêtre, je voyais les lumières du village en contre-bas,
et je devinais l'immense présence, oppressante et pourtant belle, de
la montagne blanchie par la neige. Il devait faire très froid, dehors.
Heureusement dans le chalet une douce chaleur, calme et agréable. Les
flammes de la cheminée dansaient et apportaient à la belle chevelure
de Mélusine des reflets dorés. Elle tricotait paisiblement, telle
une simple grand-mère, tout en parcourant parfois du regard un vieux
grimoire posé auprès d'elle. Le chat, pelotonné en boule
sur un vieux coussin près de l'âtre, ronronnait, rêvant sans
doute de chasses aventureuses.
Je m'affairais quant à moi devant le fourneau.
Elle m'avait envoyé un message, transmis par Natel, son messager préféré
: " Merlin, ne viendrais-tu pas me rejoindre ? Je me repose à la
montagne, et j'aimerais bien goûter un de tes plats merveilleux. "
Il est des invitations qui ne sauraient se refuser, surtout venant de la part
de la belle Mélusine. Mon baluchon vite fait, ainsi que quelques provisions,
je fus rendu à pied d'uvre. Mais quel plat magique, quelle superbe
préparation culinaire, tout en finesses et multiples surprises savoureuses
allais-je tenter cette fois encore pour lui plaire et ne pas risquer d'encourir
ses courroux et maléfices ?
Farces aux truffes et foie gras ? Sauces au miel et figues ? Savants mélanges
sucrés-salés ? Quel nouveau feu d'artifice pour ses papilles gourmandes
?
J'avais emporté tous les onguents possibles, et conservais la possibilité
de m'approvisionner par habituelle magie. Mais il fallait décider du
plat auparavant.
Et c'est en découvrant l'atmosphère sereinement calme du petit
chalet, cette douce quiétude, que je compris. Ce jour-là, un plat
simple, délicatement délicieux, sans trop d'apprêts, devrait
la conquérir et apporter ces clairs de lune que j'aime tant dans ses
yeux.
La préparation d'une blanquette de veau, avec sa sauce fine et onctueuse,
accompagnée d'un risotto aux morilles, était bien avancée,
lorsqu'elle interrompit son ouvrage :
" Ce jeune Mandrin que l'on vient de mettre en prison, à Lyon, ne
serait-il pas un de vos petits-neveux ? "
" Certainement ! Je vous ai effectivement un peu parlé de lui .
Mais ne vous inquiétez pas : il connaît tous les souterrains secrets
de cette ville, et doit avoir déjà retrouvé ses montagnes
Dauphinoises. Si vous le souhaitez, nous pouvons passer à table. "
" Tant mieux pour ce jeune homme sympathique ! Pour l'entrée j'avais
pensé que nous pourrions déguster un peu de ce foie gras qui vous
plait tant, et que j'ai fais venir tout exprès. "
Le repas se passa fort agréablement. La Belle Mélusine fut enchantée et je vis s'allumer son regard. Et la soirée fut douce et sans malices, ni maléfices.
Que cette nouvelle année vous soit comme cette soirée : placée sous les auspices des bonheurs simples et délicieux !
Blanquette de veau :
Couper de l'épaule de veau en morceaux, les mettre sur le feu à
l'eau froide, puis lorsque tout a bien bouilli 5 à 6 minutes, mettre
la casserole sous le robinet d'eau froide pour bien rincer la viande. Remettre
à cuire dans une nouvelle eau, avec sel, bouquet garni, oignons, carotte,
céleri, et laisser cuire à couvert pendant 1 h 30.
Lorsque la viande est cuite, la retirer.
Faire un roux blond, mouiller avec un peu de la cuisson du veau passée.
Faire une sauce onctueuse et la laisser cuire 15 minutes, puis la lier avec
1 jaune d'uf.
Remettre la viande et laisser sur tout petit feu pendant 1 ou 2 minutes.
Risotto aux morilles :
Placer des morilles séchées dans un mélange eau et lait.
Dans une cocotte qui supporte le four, faire suer 1 oignon sans coloration dans
1 cuillerée d'huile et un peu de beurre. Verser le riz et le laisser
nacrer à feu doux.
Verser ensuite une fois et demi le volume de riz en bouillon et mélanger.
Ajouter les morilles.
Placer au four sans couvrir 20 minutes à 200 °.
Servir avec un peu de sauce de la blanquette.
Post-scriptum : au moment-même où je termine la rédaction de cette chronique, Mélusine vient de terminer de tricoter le petit chausson
Lorsqu'il avait lu cette petite annonce proposant une place de cuisinier, excellemment
bien rétribuée, Jean-Philippe fut tenté d'y répondre
: depuis le temps qu'il s'évertuait à préparer d'excellents
petits plats à ses pensionnaires âgés, jamais un compliment,
jamais un sourire, mais plus souvent les éternelles jérémiades
: trop salé, pas assez salé, trop cuit, pas assez cuit, etc.
Mais trois jours plus tard, il prit la décision d'appeler au téléphone
pour répondre à l'annonce, lorsqu'à l'unanimité
ses pensionnaires refusèrent de manger son Goulash, au prétexte
que la présence de paprika en faisant un plat immangeable. Il y en eut
même un pour prétendre avoir mangé, à la cour du
temps de la monarchie austro-hongroise, un véritable Goulasch sans trace
de paprika.
Rendez-vous pris, Jean-Philippe eut la surprise, après un long voyage,
de se retrouver en Enfer.
" Ne vous en faites-pas, cher Monsieur. " le rassura un diable-chef.
" Vous êtes ici en tant qu'employé, et n'aurez pas à
subir le sort des pensionnaires condamnés. Et bien entendu, si vous souhaitez
repartir, vous pourrez le faire après le préavis légal.
"
Pendant sa visite de la cuisine (superbe cuisine bien équipée)
et de ses appartements (quel calme, quel confort, quel raffinement dans la décoration),
ils rencontrèrent de nombreux petits diablotins accourus apercevoir le
nouveau cuisinier attendu depuis si longtemps. " Nous allons enfin manger
correctement ! " les entendait-il chuchoter.
Le premier jour, Jean-Philippe prépara son Goulasch. " On va bien
voir s'ils aiment le paprika, eux
" pensa-t-il.
Ce fut un succès : les diables et diablotins se régalèrent,
en reprirent et finirent par lécher leurs assiettes.
A la fin du repas, une ovation debout le força à sortir de la
cuisine pour venir saluer les diables.
Lorsqu'il leur proposa pour le soir de préparer de la poularde farcie,
ils le huèrent : " Goulasch ! Goulasch !Goulasch ! "
Ce fut ainsi le lendemain et aussi les autres jours suivants.
A se délecter de Goulasch, à faire la sieste pour digérer,
à ne plus penser qu'à leurs repas, les diables délaissèrent
leurs chaudrons et chaudières, ainsi que toutes autres activités.
Cette baisse d'activité inquiéta Lucifer lui-même qui vint
faire une inspection. Il commença par colérer, tempêter,
mais après quelques remarques de moins en moins timides fusées
de-ci de-là au sujet du droit à une nourriture digne, il comprit
qu'il avait affaire à une véritable rébellion, et qu'il
valait mieux pour lui se taire et laisser faire, s'il ne voulait pas voir surgir
d'autres revendications comme les congés payés.
Ainsi les diables continuèrent à se gaver de Goulasch, et à
paresser sans plus s'occuper d'autres choses.
Et c'est beaucoup mieux ainsi, car ils nous laissent tranquilles.
Au moins tant que Jean-Philippe leur prépare son merveilleux Goulasch.
La recette :
1,5 kg de tranche de buf, 100 g de saindoux, 1 kg d'oignons doux émincés, 20 g de sucre, 30 cl de vin blanc, 50 cl de crème fraîche, sel, paprika, cumin, piment doux.
Coupez la viande en morceaux de 50 à 60 g environ. Dans une cocotte,
faites fondre le saindoux. Ajoutez la viande et faites-la doucement revenir,
pendant 15 mn environ. Mettez à part les morceaux de viande.
Epluchez et émincez les oignons, saupoudrez de sucre et faites-les fondre
doucement. Ajoutez ensuite le paprika, le piment, le cumin, une pincée
de sel et de poivre, puis remettez les morceaux de viande.
Couvrez. Laissez cuire 1 heure 30 environ à feu doux, en remuant de temps
en temps et en ajoutant le vin petit à petit.
Au bout de ce temps, ajoutez la crème fraîche; achevez la cuisson
à petit feu pendant encore 15 mn. Rectifiez l'assaisonnement, si c'est
nécessaire.
Accompagnez ce goulasch de riz pilaf, par exemple.
" Bonjour Papa ! Tu vas bien ? Heu .. j'avais un truc à te demander ."
Tiens ! Des nouvelles du fiston
C'est pas si souvent, qu'est-ce qu'il
va bien m'avoir inventé cette fois-ci ?
Et bien finalement, rien de bien grave, si ce n'est que sa 'copine' a émis
un souhait. Et bien évidemment, ce genre de souhait-là (il est
comme moi, hein ; bon sang ne saurait mentir) il voudrait l'exaucer, et pour
cela il a besoin de son Papa.
Parce que pour trouver l'Oiseau de Feu, comme je lui ai dit, c'est quand même
pas comme trouver une aiguille dans une motte de foin
J'ai bien essayé de discuter, de lui expliquer qu'une copine qui demande
ce genre de chose, il pourrait peut-être éventuellement envisager
d'en trouver une autre, parce que partir à la chasse à l'Oiseau
de Feu, c'est pas chose facile, c'est un très long voyage, plein de périls
et de rencontres incongrues (sorcières, dragons, et autres bestiaux perfides),
et que même pour un Super-Papa, c'est pas du nougat.
Mais il eut bien sûr le mot de la fin : " Mais c'est pour cela que
je t'appelle, Papa. Si c'était facile, je l'aurais fait moi-même.
"
Je me suis donc mis en route vers les pays de l'autre côté du
miroir, et là, sans hésiter, j'ai appelé mon vieux copain
le Loup Gris. Parce que lui seul pouvait m'aider. Et tout seul, c'était
pas vraiment la peine d'essayer.
" Salut Lolo ! Comment va la petite famille ?
etc. (je vous passe
toutes les discussions de retrouvailles). Alors voilà, c'est pour mon
fils qu'il faudrait me trouver l'Oiseau de Feu. "
" Bon, et bien comme je te connais, c'est pas la peine de discuter. J'espère
simplement qu'elle est jolie et gentille, sa copine. Allez, monte sur mon dos,
on a quand même un petit bout de chemin pour aller chez le sultan de Rhadisqchbân.
"
Lorsque nous fûmes enfin arrivés près du palais, il m'expliqua
comment m'approprier le bel oiseau.
" Une fois parvenu dans la pièce, tu fais attention à ne
toucher à rien. Tu ne prends que l'oiseau et tu sautes par le balcon.
Je serai là, et nous repartirons immédiatement. "
Evidemment, cela ne se passa pas comme prévu. Une alarme sonna, les
gardes me saisirent et le sultan me proposa un marché. Si je lui rapportais
l'Etalon Blanc Volant, il me donnerait l'Oiseau de Feu, sinon son bourreau se
ferait un plaisir de me trancher la tête.
Retrouvant le Loup Gris, celui-ci me sermonna : " Je t'avais dit de ne
toucher à rien. Pourquoi as-tu poussé la cupidité à
vouloir prendre aussi la cage en or ? "
" Cupide, moi ? Mais je m'en fichais qu'elle soit en or, cette cage; mais
pour transporter un oiseau, c'est pratique une cage, admets-le tout de même
Bon, alors ce cheval ??? "
Après le cheval, il y eut une belle princesse, un arbre aux fruits d'or,
une belle princesse, un chaudron magique, une belle princesse, un dragon à
éliminer. C'est étonnant ce que les gens ont envie de posséder
le trésor qu'ils n'ont pas, quitte à se défaire de celui
qu'ils ont entre les mains.
Et puis les belles princesses ainsi appropriées
. Mais bref, cela
n'est pas vraiment mon affaire.
Le retour fut très long aussi, et j'avais l'impression d'être
un commerçant faisant du troc. Je parvins tout de même à
refuser les cadeaux supplémentaires, du genre vieille épouse pouvant
encore servir. Bon prince, d'accord, mais c'est pas écrit 'Emaüs'
!
Enfin nous nous séparâmes, Loup Gris et moi, avec les multiples
promesses des vieux amis, et je pus rentrer à la maison, avec l'Oiseau
de Feu.
Je l'installai confortablement, lui donnai à manger et commençais
à me confectionner un petit repas, remettant à un peu plus tard
l'annonce de la bonne nouvelle à mon fils.
A peine bien installé, l'esprit enfin serein et l'appétit ouvert
par une petite faisane rissolée aux figues, le téléphone
se met à sonner. Strident cela va sans doute, et le répondeur
n'étant pas branché, j'allais bougonnant découvrir l'importun.
" Tu sais, Papa, pour l'Oiseau de Feu, finalement ne te tracasse plus,
elle a changé d'avis. Elle préfère le Petit Lutin Rose
.. Tu crois que tu pourrais
.. "
Ah ! les enfants !!!
Ah ! les pères qui oublient d'offrir un Kama Soutra aux petits qui deviennent
grands.
Mais que faire maintenant de cet Oiseau de Feu ? Mon repas avalé sans
y prendre goût, je fus voir le bel oiseau. Il n'était pas franchement
d'accord sur mon idée de le cuire en faisan, mais comme je ne pouvais
pas le lâcher dans les airs comme cela, sans le conduire au moins de l'autre
côté, il me fit une proposition plus adaptée.
" Puisque tu aimes préparer de bons petits plats, que tu apprécies
la bonne chair et que tu adores la partager, je te donnerai régulièrement
quelques idées pour les améliorer et en faire des plats d'une
exceptionnelle saveur. "
Voyant à ma mine dubitative le peu de foi que j'accordais à sa
promesse, il me donna en quelque sorte une caution. Après vérification
culinaire (je pouvais bien le taquiner en peu quelques jours, tout de même),
je le ramenais enfin dans son pays de l'autre côté du miroir.
C'est bien d'avoir un nouvel ami parmi les gens de là-bas, surtout lorsqu'ils
ont de si belles idées.
Exemple des idées gourmandes de l'Oiseau de Feu :
Pour améliorer encore mon extraordinaire cake aux figues et olives noires
:
Remplacer le lait par la même quantité de crème fraîche
liquide.
Cela donne une souplesse, un moelleux encore plus savoureux.
Pour rendre mon tajine d'agneau encore plus étonnant aux papilles :
Ajouter un citron confit en petits morceaux
Les papilles s'émeuvent et tombent en pâmoison, avec cette légère
astringence exotique, un peu piquante et néanmoins douce, en plus de
toutes les épices habituelles.
Bien sûr, le citron confit n'est absolument pas acide
.
Ne pas hésiter à ajouter un peu de miel, chaque fois que l'on fait revenir doucement des oignons.