Chronique 15 (3/12/2000)


" En descendant, montez-donc boire une tasse de tilleul ! "
Il semblerait que ce soit cette phrase, somme toute anodine sur les pentes de la Croix-Rousse, où souvent les passants descendant les escaliers abrupts se trouvent à quelques mètres d'une fenêtre du troisième étage, cette phrase qui, ayant fait le tour du quartier, la fit surnommer Mamie Tilleul.
Il est vrai qu'à peine arrivée dans le quartier, expatriée d'une autre périphérie Lyonnaise, et de bien plus loin auparavant, son nom était difficile à prononcer pour les gosiers des gones. Madame Schonzghellerzonstrube était sympathique et affable, et le quartier eut vite fait de substituer cet amical surnom de Mamie Tilleul à son nom d'état civil.
Les commerçants les premiers, heureux de cette nouvelle pratique, visiblement gourmande et en tout cas connaisseuse en produits de qualité. De son œil clair et précis, et avec une amabilité rieuse, elle savait refuser les produits douteux ou les morceaux de second rang, malgré les apprêts cherchant à les masquer. Et souvent elle mettait à l'œuvre leurs sagacités professionnelles en leur commandant des denrées peu courantes, des morceaux oubliés, et ceci sans oublier de bien gérer son budget. Comme le jour où elle demanda à son boucher de la graisse de rognon de bœuf !
Les bons professionnels aiment les clients exigeants, qui savent en fait reconnaître leurs qualités.

Tous les jours, en faisant son marché, elle s'arrête faire une pause dans un petit bistro du Boulevard, et demande invariablement un tilleul-menthe. Et si le bruit circule, qu'en fait, le garçon lui sert discrètement une tasse d'un liquide de même couleur mais bien plus alcoolisé, celui-ci a toujours démenti le fait, qui n'aurait rien de désobligeant, au demeurant. Et pourtant, un soir, nous l'avons copieusement arrosé, avec quelques amis, afin de lui soutirer le fameux secret. Il est resté ferme sur ses déclarations.

Et donc si, un jour, en descendant la colline, une charmante mamie vous propose une tasse de tilleul, n'hésitez surtout pas à grimper ses trois étages. En abandonnant là vos projets pour les 3 heures suivantes. A défaut d'infusion de tilleul, vous pourrez toujours opter pour une tasse de schnaps, un verre d'alcool de poire, et certains jours d'exceptions vous pourriez même déguster sa spécialité de Christmas Pudding arrosé d'une Cumberland Hard Sauce. Car elle est comme ça, Mamie Tilleul : gourmande bien sûr, mais surtout ouverte à toutes les gourmandises, toutes les expériences culinaires. Et aimant partager sa gourmandise.

Et c'est ainsi qu'un jour je lui fis un très grand plaisir ; une recette surprenante et toute en finesse, qu'elle apprécia avec tout l'humour dont elle est douée : la pintade au tilleul.

1 belle pintade, du tilleul séché, 1 verre de vin blanc sec, 3 jaunes d'œufs, 3 cuillerées à soupe de crème épaisse, beurre, huile, sel, poivre

Préparez avec 1/3 d'eau une infusion de tilleul très concentrée. Coupez la pintade en 8 morceaux et faites-les revenir dans une cocotte avec de l'huile et du beurre. Quand ils sont colorés, salez, poivrez, et laissez cuire doucement pendant 10 minutes. Mouillez avec l'infusion de tilleul et le vin blanc et laissez cuire à feu doux 30 minutes.
Réservez les morceaux de pintade et faites réduire de moitié le jus de cuisson.
Liez avec la crème et les jaunes d'œufs.
Dressez les morceaux de pintade dans un plat creux chaud et nappez-les avec la sauce.
Servez accompagné d'un riz créole

* Le parfum très subtil du tilleul devant être préservé, n'ajoutez aucun autre aromate.


Chronique 16 (10/12/2000)

Dans un vieux grimoire familial, j'ai lu cette petite histoire racontée par un ancien aïeul, Mho le Maltais, avant qu'il ne change de nom en émigrant vers les régions de l'est de l'Europe, après quelques histoires alchimistes. Bien que je ne sois pas certain de la véracité de ce récit, cet aïeul faisant preuve parfois d'une imagination curieuse, comme lorsqu'il prétend avoir montré une carte de l'Australie, de sa fabrication , à un voyageur anglais, et ceci en 1597, ou inventé un système de propulsion à vapeur pour machines à quatre roues, je vous fait part toutefois de ce curieux récit.

Il vivait donc depuis plusieurs années à Genève, en raison de l'indépendance de cette ville, et des libertés de pensée et d'esprit qui y régnait mieux qu'ailleurs. Très souvent, il aidait de ses conseils avisés un cuisinier du château du nom de Sergio le Crétois, et en particulier ils découvraient ensemble l'usage des épices provenant des pays des Maures.
Depuis quelques temps, des escarmouches guerrières avaient lieu avec les turbulents voisins de Savoie, mécontents d'avoir dû céder des territoires au roi de France, et désireux, sans doute, de mettre la main sur les terres fertiles des environs de Genève. Mais l'hiver étant venu, il paraissait que le calme allait régner pour cette fin de l'année 1602.
Ce soir-là nos deux compères essayaient de nouveaux mélanges dans une grande marmite posée sur le feu de l'immense cheminée : agneau, pruneaux, olives et raisins secs, avec de nombreuses épices. Les odeurs se mélangeaient agréablement à leurs narines, pendant qu'ils prenaient des notes tout en buvant quelques rasades d'un délicieux vin de Valais.
" Ouvre donc la fenêtre que je mette la marmite à refroidir, le feu va trop fort et nous n'aurons bientôt plus de jus. " Sergio le Crétois s'approchait en portant à bout de bras l'énorme marmite. Il était grand et fort, mais on voyait à l'hésitation de ses pas qu'il faisait un effort immense, tant la marmite devait être lourde. La levant pour la poser sur la margelle de la fenêtre, il était à bout de force, et l'accident prévisible arriva : il fit basculer la marmite et son contenu dans le vide. Et c'est alors qu'ils entendirent des cris d'effroi. En se penchant ils aperçurent malgré la nuit sombre une bande de Savoyards effondrés parmi leurs échelles, se relevant en gémissant et rebroussant chemin. Une attaque surprise venait d'échouer par la faute de leur marmite.
En se retournant, l'un des assaillants, brandissant une torche et dévoilant ainsi une longue chevelure blonde de femme, s'écria d'une voix forte :
" Je me souviendrai du goût de ta soupe, Crétois ! Et si tu viens un jour par chez moi, je t'en ferai manger aussi. Mais ce sera quand même dans une écuelle, car il est dommage de gâcher un plat aussi bon.
Tu n'auras qu'à demander où habite Amazone du Champ des Pommes. "

Ils se remirent à l'ouvrage pour refaire leur plat, en utilisant cette fois-ci un plat en terre, ornementé d'un bizarre couvercle pointu.
" C'est un souvenir d'un cousin du pays des maures, Mohammad Ibn Tâjin. On va bien voir si cela peut nous servir, puisque je n'ai plus de marmite " expliqua Sergio.
" Et pour cette histoire, comme il vaut mieux ne pas te mêler à ça, je vais m'arranger avec la gouvernante. Nous dirons que c'est elle qui a jeté la marmite sur les assaillants. Elle deviendra une héroïne et passera à la postérité pour les avoir repoussé en ce jour du 12 décembre. "

Voici la recette concoctée ce soir-là, et qui porte le nom de ce cousin du pays des Maures :
Tâjin d'agneau aux pruneaux, olives vertes et raisins secs.
Ingrédients :
1,5 kilo de collier d'agneau, 500 grammes de pruneaux, olives vertes, 2 oignons, 200 g. de raisins secs, 3 bâtons de cannelle, 1 cuillère à soupe de Raz el Hanout, 1 cuillère à café d'eau de fleurs d'oranger, 1 pincée de muscade moulue, 2 cuillère à soupe de graines sésame, 100 g. d'amandes émondées.
(à défaut de Raz el Hanout, préparer un mélange avec curcuma, coriandre, piment doux, cumin, cannelle, à égalité et un soupçon de gingembre et de poivre noir)

Préparation :

Faites chauffer un peu de beurre dans une marmite, et faites revenir les oignons. Réservez-les et faites revenir la viande coupée en gros morceaux de tous côtés. Pendant ce temps, faites chauffer jusqu'a ébullition les pruneaux et les raisins, avec un bâton de cannelle, dans une casserole remplie d'eau. Coupez le feu dès les premières bulles et laisser reposer.
Des que la viande est bien dorée, mouillez-la. Incorporez l'eau de fleur d'oranger, le Raz el Hanout et 2 bâtons de cannelle.
Laisser cuire à feu très doux environ une heure.
Réservez la viande au chaud et ajoutez les fruits sans leur jus de cuisson, et les olives. Laissez cuire encore une vingtaine de minutes.
Pendant ce temps, faites cuire un riz goûteux (par exemple Basmati) dans l'eau de cuisson des pruneaux (sans le bâton de cannelle).
Au moment de servir, réchauffer la viande dans la sauce ; faire revenir à l'huile les amandes et griller les graines de sésame à sec. Présenter les morceaux d'agneau avec du riz et entourés de pruneaux et d'amandes en saupoudrant de graines de sésame et d'amandes.


Chronique 17 (17/12/2000)

Ils m'avaient semblés légèrement étonnés en arrivant dans la clairière des fées, au cœur de Brocéliande, en voyant la table de pierre, lieu habituel de nos essais gustatifs et de nos expériences de potions gastronomiques, totalement vide. Une fois assis, ce fut Jean Le Dur qui rompit le silence pesant :
" Mais enfin, Merlin, il n'y a ici aucune saveur délicate en nos narines pour expliquer le pourquoi de cette convocation impérieuse des meilleurs mages de la forêt. "
" Et pourquoi ne sommes-nous que trois ? " ajouta René Le Sage, qui s'en voulait d'avoir quitté sa bibliothèque, pour une si piètre tablée.
" Nous n'avons quand même pas fait ce long voyage pour rien ? " renchérit Michel le Cormoran. " Tu sais comme j'ai horreur des voyages lointains ! "

Il me fallut de longs palabres pour les convaincre de ne pas repartir sur le champ, et leur expliquer tout ensemble qu'il ne s'agissait pas, pour une fois, de goûter quelque nouvelle préparation, que les autres mages étaient déjà pris par d'autres obligations dont ils n'avaient pu se défaire en un si court terme, et qu'ils avaient pour tâche importante de m'aider à résoudre un problème extrêmement délicat.
En effet, pour mon prochain rendez-vous avec Mélusine, j'avais une hésitation sur la recette de chevreuil destinée à l'enchanter à nouveau. Et chacun sait combien l'enchantement de Mélusine est important à mes yeux.

Ils finirent par se saisir du parchemin sur lequel j'avais écrit mon projet de coction et réfléchirent longuement.
" C'est parfait ! Rien à changer !" déclara, un peu rapidement à mon gré, Michel le Cormoran, sans doute pressé de repartir.
" Pas d'accord ! J'adore le chevreuil, mais je n'aime pas cette recette. Pour moi, le chevreuil doit absolument être mariné ! " s'écria Lean Le Dur.
" Mariné ou pas mariné…. Peu d'importance. Ce qui me semble crucial c'est la qualité de ta crème : elle doit absolument être fraîche et liquide, sinon tu vas à la catastrophe. ". René Le Sage lançait ainsi un débat contradictoire fort vif, mais dont les conclusions m'importaient énormément.
Les laissant ferrailler tous les trois sur les avantages ou désavantages de la marinade et les différentes qualités de la crème, selon qu'elle soit épaisse ou fluide, je leur servais régulièrement quelques verres de Chablis, Dole Blanche ou Puligny-Montrachet pour les mettre de bonne humeur.
Les palabres duraient depuis un bon moment, lorsqu'un novice arriva et vint parler à l'oreille de René Le Sage. Celui-ci acquiesça de la tête, s'entretint rapidement avec ses deux compères et m'annonça qu'ils devaient partir illico pour une affaire de la plus haute importance.
" Et pour ton chevreuil, tu fais comme tu veux. Mais tiens-nous au courant de l'appréciation de Mélusine. "

Ils partirent si vite que j'eu le temps de faire un signe au petit novice. Qui ne résista pas longtemps pour me confier la teneur de son message. Il ne s'agissait pas d'une invasion de vikings, ni de problèmes avec le roi Artur, mais plus simplement de l'arrivée des nouvelles élèves à l'école des fées.
" Et c'est vrai qu'ils ont beaucoup de choses à leur apprendre, aux nouvelles. " me dit-il avec un très léger sourire.

Je dus donc me débrouiller pour mon filet de chevreuil, avec les quelques indications glanées. Et voici donc ce que je fis, qui eut l'heur de plaire divinement à Mélusine. Dont je vous passe les compliments et réactions, à ce nouvel enchantement.

FILET DE CHEVREUIL
Ingrédients :
10 g de beurre à rôtir, 1 càs d'huile, 500 g de filet de chevreuil bardé et ficelé en rôti, 1 oignon, 2 carottes, 2 branches de céleri, 1 pincée de curry, sel et poivre, 1 bouquet garni, 200g de crème fraîche.

Marinade :
2 carottes, 3 échalotes, 1 oignon, thym, laurier, clous de girofle, 5 cl de vinaigre de Xérès, 1 càs d'huile, 1 bouteille de vin blanc sec.

Préparez la marinade et faites-la cuire lentement 1 petite heure.
Laissez refroidir.
Mettez le filet et retournez-le toutes les 3 heures (avec des instruments propres - pas avec les mains).
Enlevez le filet de la marinade et prélevez 25 cl. de jus. Mettez à réduire le reste de la marinade.

Faites chauffer 10 g de beurre à rôtir et 1 cuillerée à café d'huile dans une cocotte et faites-y dorer le filet de chevreuil sur toutes ses faces. Pendant ce temps, pelez l'oignon et les carottes, épluchez le céleri. Coupez l'oignon en anneaux, les carottes et le céleri en bâtonnets.
Retirez le chevreuil de la cocotte, éliminez la graisse et faites revenir les légumes. Couvrez et faites cuire 15 minutes, puis remettez la viande, assaisonnez de sel, de poivre et de curry. Ajoutez le bouquet garni et les 25 cl. de jus de la marinade. Mélangez, couvrez et faites cuire pendant 15 à 20 minutes à feu doux.
En fin de cuisson, retirez le bouquet garni et le chevreuil. Réservez ce dernier au chaud. Ajoutez le fond de marinade. Portez à ébullition 5-10 minutes. Passez au chinois. Ajoutez la crème fraîche au fond de cuisson et portez à ébullition. Faites cuire pendant 5 minutes. Montez au beurre manié, vérifiez l'assaisonnement et versez cette sauce sur le chevreuil coupé en médaillon.
Servez avec une purée de céleri-rave, un gratin de pommes de terre et un aigre-doux d'airelles.

Et savourez le sourire de Mélusine…….


Chronique 18 (25/12/2000)

Rien n'était vraiment prêt pour ce nouveau réveillon de Noël en solitaire. Mais, bah ! quelle importance…
J'avais bien tout de même acheté quelques ingrédients, mais je m'étais laissé entraîné à des lectures savoureuses, à la recherche des recettes qui satisferaient ma gourmandise. Tout en buvant quelques gorgées d'un champagne frais et fruité.
Tout allait bien, lorsque le téléphone se mit à sonner !
Inconsciemment certain de ne pas être dérangé, j'avais oublié de le débrancher. Me voilà donc obligé de répondre, puisque mon correspondant insistait depuis 5 bonnes minutes.
C'était le Père Noël !
Il m'avait pris en amitié depuis notre rencontre, il y a deux ans, et se voyait contraint de faire appel à mon extrême bonté, étant donné qu'une crise de goutte le clouait sur son lit et l'empêchait de faire sa tournée de distribution de cadeau.
" Mais enfin, Noël ! Tu n'y penses pas sérieusement ! Je ne connais absolument rien à ce boulot. En plus je ne saurai jamais conduire ton traîneau. Si j'acceptais, ce serait une catastrophe….. "
Rien n'y faisait, il avait réponse à tout, invariablement : sa fille était disposée à m'accompagner et m'indiquerait la marche à suivre. Elle aurait d'ailleurs pu le faire sans moi, mais une ancienne réglementation tatillonne imposait que cela fut un homme qui fît cette distribution.
" De toute façon, ne t'inquiète de rien, elle s'occupera de tout. D'ailleurs elle ne devrait pas tarder à arriver chez toi. Bonne nuit mon compère ! "

Effectivement, quelques minutes plus tard, j'entendis arriver l'attelage dans un grand bruit de grelots. Quelle discrétion ! Je n'ose pas imaginer les commérages du voisinage, dont j'ai bien vu quelques têtes curieuses en observation derrière leurs fenêtre, regarder le traîneau et les rennes garés dans la rue, et la jolie femme au long manteau bleu pâle bordé de fourrure blanche sonner à ma porte.

Nous partîmes aussitôt et elle m'expliqua en cours de route que nous nous passions en situation hors du temps. Cela permettait de distribuer les cadeaux partout en même temps. Mais elle me prévint gentiment que cela provoquait tout de même une belle fatigue pour ceux qui faisaient la distribution.

Cela fut merveilleux de voir, parfois, les immenses sourires des petits qui nous attendaient. Quelle émotion aussi ces enfants endormis au creux du canapé. Et tous ces petits mots maladroitement écrits, et ces petites attentions pour nous et même pour nos rennes…

Evidemment, il y eut quelques scènes inattendues, burlesques et mêmes pitoyables, mais il faut avouer que la majorité du genre humain est, au moins ce jour-là, pleine d'amour et de tendresses.

Lorsque nous revînmes, au moins un siècle plus tard, je garais le traîneau sur le parking arrière, plus discret.
L'horloge de ma cuisine indiquait presque la même heure que lorsque nous étions parti, lorsque je proposais à la jolie fille du Père Noël un verre de champagne bien mérité.

Je pris alors le temps de mieux la regarder, et je vis un clair de lune dans ses yeux, des milliers d'étoiles scintillantes dans ses cheveux et un sourire si tendre sur ses lèvres….
Comme nous avions faim, je préparais des escalopes de foie gras, rapidement sautées à cru, et quelques tranches de poires délicatement sautées dans le gras écoulé des escalopes. Un sublime régal ce foie gras chaud, qui mêle le croquant légèrement grillé au moelleux le plus fin, presque fondant, ceci accompagné des sucres légèrement caramélisés des poires rehaussés par une pincée d'anis étoilé en poudre.
Comme le clair de lune de ses yeux s'illuminait, je nous refis une seconde, puis une troisième poêlée de foie gras.

Je me réveillais tardivement le lendemain matin. J'étais seul. Mais en regardant la glace, je remarquais des milliers d'étoiles dans mes cheveux, des clairs de lune dans mes yeux, et les rides du bonheur au coin de mes yeux.

ESCALOPES DE FOIE GRAS AUX POIRES

Eplucher les poires (des Alexandrine par exemple), les couper en fines tranches.
Escaloper un foie gras cru dénervé.
Faire sauter à la poêle très chaude les escalopes.
Une seule minute de chaque côté.
Réserver au chaud.
Dans le gras écoulé faire revenir les tranches de poires jusqu'à belle coloration.
Sel, poivre, anis étoilé réduite en poudre.
Servir chaud, avec peut-être un peu d'aigre-doux de raisin ou de figues.

Chronique 19 ( 1/1/2001)

Par la fenêtre, je voyais les lumières du village en contre-bas, et je devinais l'immense présence, oppressante et pourtant belle, de la montagne blanchie par la neige. Il devait faire très froid, dehors. Heureusement dans le chalet une douce chaleur, calme et agréable. Les flammes de la cheminée dansaient et apportaient à la belle chevelure de Mélusine des reflets dorés. Elle tricotait paisiblement, telle une simple grand-mère, tout en parcourant parfois du regard un vieux grimoire posé auprès d'elle. Le chat, pelotonné en boule sur un vieux coussin près de l'âtre, ronronnait, rêvant sans doute de chasses aventureuses.
Je m'affairais quant à moi devant le fourneau.
Elle m'avait envoyé un message, transmis par Natel, son messager préféré : " Merlin, ne viendrais-tu pas me rejoindre ? Je me repose à la montagne, et j'aimerais bien goûter un de tes plats merveilleux. "
Il est des invitations qui ne sauraient se refuser, surtout venant de la part de la belle Mélusine. Mon baluchon vite fait, ainsi que quelques provisions, je fus rendu à pied d'œuvre. Mais quel plat magique, quelle superbe préparation culinaire, tout en finesses et multiples surprises savoureuses allais-je tenter cette fois encore pour lui plaire et ne pas risquer d'encourir ses courroux et maléfices ?
Farces aux truffes et foie gras ? Sauces au miel et figues ? Savants mélanges sucrés-salés ? Quel nouveau feu d'artifice pour ses papilles gourmandes ?
J'avais emporté tous les onguents possibles, et conservais la possibilité de m'approvisionner par habituelle magie. Mais il fallait décider du plat auparavant.

Et c'est en découvrant l'atmosphère sereinement calme du petit chalet, cette douce quiétude, que je compris. Ce jour-là, un plat simple, délicatement délicieux, sans trop d'apprêts, devrait la conquérir et apporter ces clairs de lune que j'aime tant dans ses yeux.
La préparation d'une blanquette de veau, avec sa sauce fine et onctueuse, accompagnée d'un risotto aux morilles, était bien avancée, lorsqu'elle interrompit son ouvrage :
" Ce jeune Mandrin que l'on vient de mettre en prison, à Lyon, ne serait-il pas un de vos petits-neveux ? "
" Certainement ! Je vous ai effectivement un peu parlé de lui . Mais ne vous inquiétez pas : il connaît tous les souterrains secrets de cette ville, et doit avoir déjà retrouvé ses montagnes Dauphinoises. Si vous le souhaitez, nous pouvons passer à table. "
" Tant mieux pour ce jeune homme sympathique ! Pour l'entrée j'avais pensé que nous pourrions déguster un peu de ce foie gras qui vous plait tant, et que j'ai fais venir tout exprès. "

Le repas se passa fort agréablement. La Belle Mélusine fut enchantée et je vis s'allumer son regard. Et la soirée fut douce et sans malices, ni maléfices.

Que cette nouvelle année vous soit comme cette soirée : placée sous les auspices des bonheurs simples et délicieux !

Blanquette de veau :
Couper de l'épaule de veau en morceaux, les mettre sur le feu à l'eau froide, puis lorsque tout a bien bouilli 5 à 6 minutes, mettre la casserole sous le robinet d'eau froide pour bien rincer la viande. Remettre à cuire dans une nouvelle eau, avec sel, bouquet garni, oignons, carotte, céleri, et laisser cuire à couvert pendant 1 h 30.
Lorsque la viande est cuite, la retirer.
Faire un roux blond, mouiller avec un peu de la cuisson du veau passée. Faire une sauce onctueuse et la laisser cuire 15 minutes, puis la lier avec 1 jaune d'œuf.
Remettre la viande et laisser sur tout petit feu pendant 1 ou 2 minutes.

Risotto aux morilles :
Placer des morilles séchées dans un mélange eau et lait.
Dans une cocotte qui supporte le four, faire suer 1 oignon sans coloration dans 1 cuillerée d'huile et un peu de beurre. Verser le riz et le laisser nacrer à feu doux.
Verser ensuite une fois et demi le volume de riz en bouillon et mélanger. Ajouter les morilles.
Placer au four sans couvrir 20 minutes à 200 °.

Servir avec un peu de sauce de la blanquette.

Post-scriptum : au moment-même où je termine la rédaction de cette chronique, Mélusine vient de terminer de tricoter le petit chausson …


Chronique 20 (8/1/2001)

Lorsqu'il avait lu cette petite annonce proposant une place de cuisinier, excellemment bien rétribuée, Jean-Philippe fut tenté d'y répondre : depuis le temps qu'il s'évertuait à préparer d'excellents petits plats à ses pensionnaires âgés, jamais un compliment, jamais un sourire, mais plus souvent les éternelles jérémiades : trop salé, pas assez salé, trop cuit, pas assez cuit, etc.
Mais trois jours plus tard, il prit la décision d'appeler au téléphone pour répondre à l'annonce, lorsqu'à l'unanimité ses pensionnaires refusèrent de manger son Goulash, au prétexte que la présence de paprika en faisant un plat immangeable. Il y en eut même un pour prétendre avoir mangé, à la cour du temps de la monarchie austro-hongroise, un véritable Goulasch sans trace de paprika.
Rendez-vous pris, Jean-Philippe eut la surprise, après un long voyage, de se retrouver en Enfer.
" Ne vous en faites-pas, cher Monsieur. " le rassura un diable-chef. " Vous êtes ici en tant qu'employé, et n'aurez pas à subir le sort des pensionnaires condamnés. Et bien entendu, si vous souhaitez repartir, vous pourrez le faire après le préavis légal. "
Pendant sa visite de la cuisine (superbe cuisine bien équipée) et de ses appartements (quel calme, quel confort, quel raffinement dans la décoration), ils rencontrèrent de nombreux petits diablotins accourus apercevoir le nouveau cuisinier attendu depuis si longtemps. " Nous allons enfin manger correctement ! " les entendait-il chuchoter.

Le premier jour, Jean-Philippe prépara son Goulasch. " On va bien voir s'ils aiment le paprika, eux… " pensa-t-il.
Ce fut un succès : les diables et diablotins se régalèrent, en reprirent et finirent par lécher leurs assiettes.
A la fin du repas, une ovation debout le força à sortir de la cuisine pour venir saluer les diables.
Lorsqu'il leur proposa pour le soir de préparer de la poularde farcie, ils le huèrent : " Goulasch ! Goulasch !Goulasch ! "

Ce fut ainsi le lendemain et aussi les autres jours suivants.
A se délecter de Goulasch, à faire la sieste pour digérer, à ne plus penser qu'à leurs repas, les diables délaissèrent leurs chaudrons et chaudières, ainsi que toutes autres activités.
Cette baisse d'activité inquiéta Lucifer lui-même qui vint faire une inspection. Il commença par colérer, tempêter, mais après quelques remarques de moins en moins timides fusées de-ci de-là au sujet du droit à une nourriture digne, il comprit qu'il avait affaire à une véritable rébellion, et qu'il valait mieux pour lui se taire et laisser faire, s'il ne voulait pas voir surgir d'autres revendications comme les congés payés.
Ainsi les diables continuèrent à se gaver de Goulasch, et à paresser sans plus s'occuper d'autres choses.
Et c'est beaucoup mieux ainsi, car ils nous laissent tranquilles.
Au moins tant que Jean-Philippe leur prépare son merveilleux Goulasch.

La recette :

1,5 kg de tranche de bœuf, 100 g de saindoux, 1 kg d'oignons doux émincés, 20 g de sucre, 30 cl de vin blanc, 50 cl de crème fraîche, sel, paprika, cumin, piment doux.

Coupez la viande en morceaux de 50 à 60 g environ. Dans une cocotte, faites fondre le saindoux. Ajoutez la viande et faites-la doucement revenir, pendant 15 mn environ. Mettez à part les morceaux de viande.
Epluchez et émincez les oignons, saupoudrez de sucre et faites-les fondre doucement. Ajoutez ensuite le paprika, le piment, le cumin, une pincée de sel et de poivre, puis remettez les morceaux de viande.
Couvrez. Laissez cuire 1 heure 30 environ à feu doux, en remuant de temps en temps et en ajoutant le vin petit à petit.
Au bout de ce temps, ajoutez la crème fraîche; achevez la cuisson à petit feu pendant encore 15 mn. Rectifiez l'assaisonnement, si c'est nécessaire.

Accompagnez ce goulasch de riz pilaf, par exemple.


Chronique 21 (15/1/2001)

" Bonjour Papa ! Tu vas bien ? Heu ….. j'avais un truc à te demander …."

Tiens ! Des nouvelles du fiston… C'est pas si souvent, qu'est-ce qu'il va bien m'avoir inventé cette fois-ci ?
Et bien finalement, rien de bien grave, si ce n'est que sa 'copine' a émis un souhait. Et bien évidemment, ce genre de souhait-là (il est comme moi, hein ; bon sang ne saurait mentir) il voudrait l'exaucer, et pour cela il a besoin de son Papa.
Parce que pour trouver l'Oiseau de Feu, comme je lui ai dit, c'est quand même pas comme trouver une aiguille dans une motte de foin…

J'ai bien essayé de discuter, de lui expliquer qu'une copine qui demande ce genre de chose, il pourrait peut-être éventuellement envisager d'en trouver une autre, parce que partir à la chasse à l'Oiseau de Feu, c'est pas chose facile, c'est un très long voyage, plein de périls et de rencontres incongrues (sorcières, dragons, et autres bestiaux perfides), et que même pour un Super-Papa, c'est pas du nougat.
Mais il eut bien sûr le mot de la fin : " Mais c'est pour cela que je t'appelle, Papa. Si c'était facile, je l'aurais fait moi-même. "

Je me suis donc mis en route vers les pays de l'autre côté du miroir, et là, sans hésiter, j'ai appelé mon vieux copain le Loup Gris. Parce que lui seul pouvait m'aider. Et tout seul, c'était pas vraiment la peine d'essayer.
" Salut Lolo ! Comment va la petite famille ? … etc. (je vous passe toutes les discussions de retrouvailles). Alors voilà, c'est pour mon fils qu'il faudrait me trouver l'Oiseau de Feu. "
" Bon, et bien comme je te connais, c'est pas la peine de discuter. J'espère simplement qu'elle est jolie et gentille, sa copine. Allez, monte sur mon dos, on a quand même un petit bout de chemin pour aller chez le sultan de Rhadisqchbân. "
Lorsque nous fûmes enfin arrivés près du palais, il m'expliqua comment m'approprier le bel oiseau.
" Une fois parvenu dans la pièce, tu fais attention à ne toucher à rien. Tu ne prends que l'oiseau et tu sautes par le balcon. Je serai là, et nous repartirons immédiatement. "

Evidemment, cela ne se passa pas comme prévu. Une alarme sonna, les gardes me saisirent et le sultan me proposa un marché. Si je lui rapportais l'Etalon Blanc Volant, il me donnerait l'Oiseau de Feu, sinon son bourreau se ferait un plaisir de me trancher la tête.
Retrouvant le Loup Gris, celui-ci me sermonna : " Je t'avais dit de ne toucher à rien. Pourquoi as-tu poussé la cupidité à vouloir prendre aussi la cage en or ? "
" Cupide, moi ? Mais je m'en fichais qu'elle soit en or, cette cage; mais pour transporter un oiseau, c'est pratique une cage, admets-le tout de même… Bon, alors ce cheval ??? "
Après le cheval, il y eut une belle princesse, un arbre aux fruits d'or, une belle princesse, un chaudron magique, une belle princesse, un dragon à éliminer. C'est étonnant ce que les gens ont envie de posséder le trésor qu'ils n'ont pas, quitte à se défaire de celui qu'ils ont entre les mains.
Et puis les belles princesses ainsi appropriées …. Mais bref, cela n'est pas vraiment mon affaire.

Le retour fut très long aussi, et j'avais l'impression d'être un commerçant faisant du troc. Je parvins tout de même à refuser les cadeaux supplémentaires, du genre vieille épouse pouvant encore servir. Bon prince, d'accord, mais c'est pas écrit 'Emaüs' !
Enfin nous nous séparâmes, Loup Gris et moi, avec les multiples promesses des vieux amis, et je pus rentrer à la maison, avec l'Oiseau de Feu.
Je l'installai confortablement, lui donnai à manger et commençais à me confectionner un petit repas, remettant à un peu plus tard l'annonce de la bonne nouvelle à mon fils.
A peine bien installé, l'esprit enfin serein et l'appétit ouvert par une petite faisane rissolée aux figues, le téléphone se met à sonner. Strident cela va sans doute, et le répondeur n'étant pas branché, j'allais bougonnant découvrir l'importun.
" Tu sais, Papa, pour l'Oiseau de Feu, finalement ne te tracasse plus, elle a changé d'avis. Elle préfère le Petit Lutin Rose ….. Tu crois que tu pourrais ….. "

Ah ! les enfants !!!
Ah ! les pères qui oublient d'offrir un Kama Soutra aux petits qui deviennent grands.

Mais que faire maintenant de cet Oiseau de Feu ? Mon repas avalé sans y prendre goût, je fus voir le bel oiseau. Il n'était pas franchement d'accord sur mon idée de le cuire en faisan, mais comme je ne pouvais pas le lâcher dans les airs comme cela, sans le conduire au moins de l'autre côté, il me fit une proposition plus adaptée.
" Puisque tu aimes préparer de bons petits plats, que tu apprécies la bonne chair et que tu adores la partager, je te donnerai régulièrement quelques idées pour les améliorer et en faire des plats d'une exceptionnelle saveur. "
Voyant à ma mine dubitative le peu de foi que j'accordais à sa promesse, il me donna en quelque sorte une caution. Après vérification culinaire (je pouvais bien le taquiner en peu quelques jours, tout de même), je le ramenais enfin dans son pays de l'autre côté du miroir.
C'est bien d'avoir un nouvel ami parmi les gens de là-bas, surtout lorsqu'ils ont de si belles idées.

Exemple des idées gourmandes de l'Oiseau de Feu :

Pour améliorer encore mon extraordinaire cake aux figues et olives noires :
Remplacer le lait par la même quantité de crème fraîche liquide.
Cela donne une souplesse, un moelleux encore plus savoureux.

Pour rendre mon tajine d'agneau encore plus étonnant aux papilles :
Ajouter un citron confit en petits morceaux
Les papilles s'émeuvent et tombent en pâmoison, avec cette légère astringence exotique, un peu piquante et néanmoins douce, en plus de toutes les épices habituelles.
Bien sûr, le citron confit n'est absolument pas acide….

Ne pas hésiter à ajouter un peu de miel, chaque fois que l'on fait revenir doucement des oignons.