Chronique 22 (21/1/2001)

Il y a quelques temps, la taquine Mélusine m’ayant transformé en lapin, je grignotais tranquillement quelques carottes auprès de mon terrier, en attendant patiemment qu’elle me rende mon apparence habituelle, lorsque j’entendis des pleurs. M’approchant, je découvris une jeune fille toute éplorée.
« Ah Monsieur Lapin, comme je suis triste. Etant parti à la recherche de médicaments pour soigner ma pauvre mère, je suis tombée prisonnière de trois vilaines sorcières. Depuis 8 jours je travaille pour elle, à faire le ménage et la lessive. Maintenant, elles veulent que je leur fasse à manger, et si ce n’est pas bon elles vont me manger. Mais je ne sais pas faire la cuisine, Monsieur Lapin ! Alors, elles vont me manger, et que va devenir ma pauvre mère ? »
« Mais pourquoi ne te sauves-tu pas ? »
« C’est à cause du sortilège. Je ne peux sortir du bois. »
« Ne t’en fais pas, je vais t’aider. Au-dessus de mon terrier, tu apercevras un ruban brodé. En tirant très fort dessus, tu verras une trappe s’ouvrir. Descends les escaliers sans avoir peur. Dans la pièce du fond, sans faire attention au désordre, tu trouveras un vieux chaudron. Emporte-le chez les sorcières et mets-le sur le feu. La cuisine s’y fera toute seule. Lorsqu’elles auront mangé, elles seront tellement satisfaites, qu’elles iront s’endormir. Alors tu m’appelleras et ensemble nous trouverons là-bas comment sortir du sortilège. »

C’est ainsi qu’elle fit, avec beaucoup de difficulté car le chaudron était très lourd.
Lorsqu’elle le mit au-dessus des flammes douces de la cheminée, il se remplit instantanément et une merveilleuse odeur aux multiples saveurs se répandit doucement dans la chaumière. Lorsque les sorcières rentrèrent, elles furent d’abord surprises de sentir ce qui mijotait, puis elles se précipitèrent pour manger.
« Il est tellement bon ce lapin, que je vais en reprendre ! »
Lorsqu’elles se furent bien régalées, en vidant à trois un chaudron qui aurait pu suffire à vingt gaillards, elles se sentirent tellement repues qu’elles décidèrent d’aller s’allonger pour digérer tout en se demandant ce qu’elles pourraient exiger le lendemain.
Après avoir attendu qu’elles se soient bien endormies, la jeune fille m’appela et je vins avec elle pour chercher comment lever le sortilège. Nous eûmes beau retourner toute la maisonnée, regarder dans tous les placards, nous ne trouvâmes aucun livre de sortilèges, aucun manuscrit magique.
« Tant pis, gentil Lapin. Je te remercie quand même de ton aide. Avant de te rapporter ton chaudron, je vais le nettoyer. »
Lorsqu’elle se mit à frotter le chaudron, une boule de fumée en sortit et se développa dans la pièce. De cette fumée surgit un drôle de personnage, avec des cercles de verres devant les yeux et une mine réjouie et adolescente.
« Je suis le génie des Fenêtres. Que puis-je faire pour vous dépanner ? »
Nos explications lui rendirent la mine renfrognée.
« Ah ça, je ne sais pas trop quoi faire. C’est une situation inattendue. Essayez toutefois la formule rituelle que voici. »

Nous nous rendîmes rapidement à la lisière du bois et là nous prononçâmes ensemble la formule :
« Alt-Ctrl-Suppr. »

Cela fonctionna et la jeune fille put enfin s’éloigner du bois et reprendre le cours normal de son histoire de jeune fille. Quant à moi, je repartis en sautillant attendre plus loin le bon vouloir de Mélusine.

Recette du Lapin aux Milles Saveurs

1 lapin, 2 gousses d'ail, 1 brin de romarin, 1 gros oignon, 2 carottes, 1 branche de céleri, thym et laurier, 25 cl de vin rouge, 25 cl de bouillon, 2 tomates pelées et émondées, 50 g de raisins secs, 50 g. de pignons de pin, 50 g de citron confit, 1 cuillerée à soupe de miel, 3 cuillerées à soupe de vinaigre, piment doux, curcuma, beurre clarifié, 25 g de beurre et 25 g de farine (en beurre manié), sel et poivre.


Préchauffez le four Th.5.
Faites revenir le lapin coupé en morceau dans un peu d’huile ou de beurre clarifié.
Remplacez-les par l’ail, l’oignon, les carottes, le céleri, et laissez étuver.
Puis rajoutez les morceaux de lapin, tomates, vin, bouillon, sel, poivre, herbes. Portez à ébullition, puis couvrez et mettez au four pour une heure.

Versez dans une petite casserole citrons découpés, raisins, pignons, miel, vinaigre, pointe de piment doux, curcuma. Laissez réduire sur petit feu jusqu’à la disparition totale du liquide.

Lorsque le lapin est cuit, réservez au chaud. Passer le jus de cuisson au chinois dans la casserole de citrons.
Mélangez et portez à ébullition, puis intégrez le beurre manié. Vérifiez l’assaisonnement.

Servez très chaud, en nappant chaque morceau de lapin de sauce, et en accompagnant de boulghour par exemple.


Chronique 23 (28/1/2001)

Ce n’est certainement pas méchamment qu’on la surnommait Djinette la Paresseuse. Mais simplement parce qu’elle aimait bien faire la grasse matinée, traîner longuement au soleil en prenant son petit-déjeuner, et adorait faire la sieste après le repas. Mais comme le reste du temps elle s’occupait très bien de ses différentes tâches ménagères, qu’elle était en plus d’humeur fort agréable et que sa cuisine était délicieuse, son mari ne se plaignait absolument pas.
Et les autres avaient un petit air de jalousie en parlant de Djinette la Paresseuse.

Mais voilà, toute bonne chose ayant une fin, un jour son plus proche voisin fit l’acquisition d’un nouveau coq. Il l’avait rapporté d’une exposition agricole et comme il était un brin prétentieux, il avait choisi un modèle extraordinaire, tout nouvellement sorti des laboratoires de l’INRA : turbo compressé, mollets avec ABS, ergots en alliage, crête en carbone, et surtout une qualité sonore exceptionnelle, grâce au Dolby, effet Surround et Subwoofer intégré.
Dès avant l’aube, et toute la journée, ses chants magnifiques et victorieux ébranlaient les vitres du voisinage. La pauvre Djinette était réveillée dès 5 heures du matin, et pour la sieste, il ne pouvait en être question.
« Pauvre peuchère de moi, té … Mais c’est que je vais dépérir, moi, bonne-mère té. »

Ni tenant plus, et souhaitant au plus tôt retrouver ses belles habitudes d’antan, un soir elle déposa un bol de vin à la cannelle non loin de l’enclos du super-volatile, se disant que s’il pouvait au moins une fois faire la grasse matinée, elle serait heureuse d’en profiter aussi. Le coq, intrigué, vint goûter le breuvage. Celui-ci lui plût tant, qu’il vida le bol en un rien de temps. Bien évidemment, il s’écroula rapidement, complètement ivre-mort. Au matin, il dormait encore.
C’est le patron qui le découvrit, bien après le lever du soleil et se mit à le secouer.
« Coc-hic.... Ho la la, ma tête, chuchota le coq.... Ne criez pas si fort ! D’ailleurs je vais me recoucher, je ne suis pas très bien ce matin. »

Sans aucune honte, Djinette put dormir longuement ce matin-là. Ce qui l’incita à renouveler l’opération.
Cela dura bien un mois, et bien entendu, cela ne plaisait pas à la basse-cour. Les poules se moquaient du coq et cessèrent de pondre. Certaines même fuguèrent discrètement. Car un coq ivre-mort tout au long de la journée, complètement incapable de quoi que ce soit …
Tant et si bien que le fier paysan, dont les déboires faisaient rire le village, se décida à se débarrasser du coq. Il le donna à Djinette qui se dépêcha d'en faire un coq au vin...

Coq au vin

Un coq d'1,800 kg; 125 grammes de champignons de couche; 100 grammes de lard de poitrine maigre; une douzaine de petits oignons; une cuillerée à soupe de farine; 1/2 litre de bouillon peu salé; 2 gousses d'ail; un petit bouquet garni; le sang du poulet maintenu liquide par l'appoint d'un filet de vinaigre; 3 cuillerées à soupe de cognac; 50 grammes de beurre; 2 litres de vin rouge.

Découper la volaille. Assaisonner de sel fin et de poivre frais moulu.
Tailler le lard en petits lardons, les mettre dans une sauteuse couverts d'eau froide et les ébouillanter 5 minutes; les égoutter et les éponger.
Ebouillanter les lardons et les rissoler doucement au beurre avec les petits oignons.
A leur place et en plein feu, faire rissoler les champignons bien nettoyés, lavés rapidement et coupés en quartiers.
Dans le même beurre, faire revenir sans brusquerie les morceaux de coq, puis les saupoudrer avec la farine, mélanger et laisser roussir un peu au four à découvert. Après 5 minutes, ajouter l'ail broyé, remuer le tout une minute, et mouiller avec le vin. Chauffer jusqu'à l'ébullition en ayant soin de remuer constamment. Compléter avec le bouquet garni, les oignons, les lardons et les champignons.
Achever le mouillement, juste à hauteur, avec le bouillon nécessaire. Couvrir et cuire 45 minutes très doucement à four de chaleur moyenne.
Après ce temps, sortir du four et décanter le coq en mettant les morceaux et la garniture dans un récipient. Passer dessus la sauce au chinois fin.
Une fois passée, remettre le coq et la sauce dans la casserole en terre nettoyée, faire bouillir, vérifier l'assaisonnement et lier.
La liaison.
Diviser le foie en gros dés, les assaisonner de sel et poivre, les raidir rapidement à la sauteuse avec une petite noix de beurre, les verser sur un tamis et les fouler au pilon. Recueillir cette purée de foie dans le sang de coq et diluer avec le cognac.
Retirer du feu la casserole de coq pour arrêter l'ébullition, verser un peu de sauce très chaude en filet dans le bol de sang en le remuant au fouet, ajouter le tout dans la casserole en agitant cette dernière par un mouvement de rotation pour unifier le mélange et assurer la liaison sans bouillir par un début de cuisson du sang et du foie soumis à la chaleur concentrée dans l'ustensile.
Servir chaud.


Chronique 24 (4/2/2001)

Il était une fois, il y a fort longtemps, une jolie princesse aux longs cheveux blonds et soyeux, et aux merveilleux yeux bleus clairs comme une cascade d’eau fraîche. Elle habitait un très beau château, avec des tours et un donjon, des salles claires et des chambres chauffées, un pont-levis et des douves propres. Mais elle s’ennuyait tellement toute la journée, que notre histoire n’a rien à voir avec elle.

Bien loin de là, au même moment, dans le Revermont, vivait Martin, un gentil viticulteur, aimable et travailleur, très heureux de sa vie. Il faut dire qu’il avait épousé une très gentille femme et qu’ils avaient des enfants adorables.
Comme tous ses collègues de la région, il produisait du vin jaune, qu’il entretenait de tous ses soins. Et c’était tous les ans fête lors de la percée, en début février.

Mais depuis quelque temps, il était soucieux : il avait l’impression que le niveau de ses tonneaux de vin prêt à la consommation baissait un peu plus que ce qu’il en tirait. De chacun des tonneaux mis en bouteilles, il manquait chaque fois environ une dizaine de litres. Lorsqu’il en avait parlé à quelques amis, ceux-ci l’avaient évidemment mis en boîte, comme quoi il était probablement somnambule et buvait la nuit sans même s’en rendre compte.
Sachant bien qu’il ne s’agissait pas de cela, il avait bien essayé de veiller, caché dans un recoin de la cave, mais en vain.

Lorsqu’un jour, Jeannette, sa femme, lui demanda s’il n’avait pas vu quelque part la poularde qu’elle destinait au repas du dimanche, ses soucis se firent plus acérés. Une poularde ne disparaît pas toute seule !

Il décida donc d’arroser un peu sa cour et les environs tous les soirs pour parvenir à en avoir le coeur net.
Et c’est ainsi qu’un matin, il découvrit enfin des traces. Ses amis accourus en convinrent avec lui, et les anciens le confirmèrent : il s’agissait de traces de loup. Et quand il eu fait un tour dans sa cave, il remarque qu’il manquait 2 bouteilles de vin jaune !

Aussitôt, et sans vraiment comprendre le fin mot de l’histoire, les paysans organisèrent une battue. Aidés par les soldats du comté. Trois jours plus tard, ils revinrent tout crottés et la mine défaite : ils étaient bredouilles et n’avaient trouvé aucune trace du loup buveur de vin jaune.
Par contre, il manquait 2 autres poulardes dans le poulailler et quatre autre bouteilles dans la cave.

Huit jours plus tard, ils firent une autre battue, avec le même insuccès.

Au bout de trois mois, les anciens du village se réunirent en conseil, et convinrent que ce loup n’était finalement pas trop nuisant : il se contentait de quelques poules et quelques bouteilles. Plutôt que de continuer à lui courir après en vain, en délaissant les travaux agricoles, ils décidèrent que tous les villageois se cotiseraient pour dédommager Martin, en espérant que le loup continuerait à se contenter de poules et de vin, et ne s’attaquerait pas aux troupeaux ou aux enfants.

Ainsi fut fait, et tout se passa bien désormais. Sauf une fois, où le loup emporta un jambon sec, en laissant par terre une bouteille vide cassée. Celle-la même qu’il avait emporté 8 jours auparavant. Chacun dans le village compris le geste : aucun d’entre eux n’appréciait vraiment le vin du Germain Tissot, et c’est sa bouteille qui ce jour-là avait été offerte au loup.
Depuis ce temps-là, la ferme de Martin s’appelle la Ferme au Loup, et encore aujourd’hui de nombreux touristes viennent la visiter. Et ce n’est pas parce qu’ils achètent en cette occasion des bouteilles de vin jaune, que cette histoire ne doit pas être considérée comme véridique.


Poularde de Bresse au vin jaune et aux morilles (recette de Jean Durand)

600 gr de morilles fraîches ou réhydratées, ce que je préfère.
10/15 cl de vin jaune ,4 dl de crème, 2 jaunes d'œufs, jus de citron, beurre, sel, poivre

Préparation

Faire suer au beurre les morceaux de poularde dans une sauteuse, ajouter un peu de vin jaune jusqu'à évaporation puis fermer et cuire à feu moyen environ 35 minutes, avant cuisson complète. Ajouter les morilles qui vont rendre leur eau à couvert jusqu'à évaporation totale.
Préparer une liaison de crème et de jaunes d'oeufs pour la finition de la sauce.
Déglacer au vin jaune, ajouter de la crème et poursuivre à couvert.
Vérifier la cuisson avec le pouce et l'index : la chair doit s'écraser sous les doigts. Les ailes cuisant plus vite, en fin, disposez-les au-dessus des pattes et du liquide de cuisson. On peut aussi piquer les cuisses au milieu de la jointure : si le liquide qui perle à cet endroit est translucide, la cuisson est terminée

En fin de cuisson, sortir et maintenir au chaud les morceaux dans le plat de service. Faire bouillir la crème et les morilles puis terminer la sauce avec la liaison crème/oeuf à feu doux. Rectifier l'assaisonnement, ajouter quelques gouttes de citron puis verser sur les morceaux de volaille.


Chronique 25 (11/2/2001)

« Bijou ? Est-ce que tu veux une bière ? Ou préfères-tu autre chose ? »

Assis au bout de la table, le dos droit, Papie avait acquiescé simplement de la tête, sans perdre un seul instant son regard amusé, rieur et pétillant, comme s’il était en permanence content de la vie, et du bon tour qu’il jouait aux sommités médicales. Ses lèvres gourmandes faisaient rouler sa cigarette fait main pendant que ses doigts continuaient de défaire des noix.
Et le regard énamouré que Mamie posait en permanence sur son homme de 80 ans passés, faisait chaud au cœur. Le bonheur existe aussi à cet âge-là. Et les attentions tendres.

« Vous mangerez bien avec nous ? Mais c’est un repas de fortune, hein ! On m’a parlé de vos talents de cuisinier et de votre gourmandise, alors ne faites pas attention à la cuisine simple d’une vieille paysanne. C’est sans prétention, mais que des bons produits de la ferme. »

Evidemment Mamie Bonheur avait mitonné ses meilleures recettes, et tout en dégustant je me plaisais à regarder Papie Bonheur se régaler lui aussi avec les escargots ramassés dans les prés ou humer le petit vin qu’il faisait venir du Haut Beaujolais. Du corps, des arômes…. Ce que c’est tout de même que les accointances !

Lorsque nous goûtâmes une merveille de poularde de Bresse à la crème, il renchérit de ses mots devenus rares :
« Nous autres les foies jaunes, on aime bien déguster ces petites bas bleus ! »
Ses yeux rieurs pétillaient d’humour, et même Mamie Bonheur souriait de la boutade.

Après le repas, Mamie nous fit l’honneur de sa cave, pour nous offrir quelques bocaux de sa fabrication. Quelle vue extatique que cette cave ancienne et poussiéreuse, avec tous ces bocaux soigneusement alignés, étiquetés, pleins de merveilles simples. Je repartis ainsi avec une bouteille d’huile de noix, des cardons étuvés, des haricots blancs et une macédoine de jeunes légumes. Et la vision d’une belle collection de bouteilles plus ou moins poussiéreuses, emplies d’un liquide incolore. Les bouteilles de gnôle de Papie, sagement conservées, puisque sa production dépasse à présent sa consommation.

« Une autre fois, je pense qu’il vous en offrira une bouteille. Il n’en boit plus beaucoup, mais il ne les donne pas facilement. Avec lui, il faut savoir patienter pour lui plaire. Mais après… »
Et l’on devinait derrière cette observation une longue expérience vécue.

Evidemment je retournerai les voir, mais pas pour obtenir une bouteille. Parce que cela fait du bien de voir de près des gens heureux aux alentours des 80 ans. C’est réjouissant, et simplement.
C’est bien beau quand même la vie et l’amour…..

Poularde de Bresse à la crème.

Faire revenir au beurre chaud les morceaux de poularde préalablement salés et poivrés.
Lorsqu’ils sont colorés, arroser de cognac et faire flamber.
Ajouter des aromates (ail, oignon, thym, laurier). Fariner et laisser blondir.
Mouiller alors avec du vin blanc et du bouillon.
Laisser cuire à couvert 40 minutes au four doux.
Mélanger 3 jaunes d’œufs et 50 cl. de crème fraîche épaisse.
Retirer les morceaux de poularde et faire réduire la sauce.
Ajouter le mélange à la crème et chauffer sans porter à ébullition.
Vérifier l’assaisonnement et verser sur les morceaux de poularde avant de servir.


Chronique 26 (18/2/2001)

Jeanne vivait seule depuis quelques temps, dans sa petite ferme au-dessus du village alpin; sa fille s’était mariée de l’autre côté de la vallée. Son mari était parti il y a bien longtemps, lui, attiré par les flonflons enivrants de la grande ville.
Elle ne se plaignait pas, Jeanne. Elle se contentait de vivre simplement en s’occupant des bêtes, des prés, des fromages. Lorsque le besoin se faisait sentir, elle embauchait un journalier, et pour certaines tâches elle trouvait toujours à se faire aider, à charge de revanche. Et sa vie s’écoulait tranquillement, au rythme des saisons. Elle n’était pas sauvage pour autant, et vivait en bonne intelligence avec son voisinage.

Ce matin-là, un des premiers jours du printemps, elle aperçut un homme descendant le sentier venant du col. Elle le regardait s’approcher sans ciller des yeux et remarquait la démarche assurée du montagnard, malgré le lourd sac à dos usé. Lorsqu’il fut plus près, elle remarqua la tignasse brune en bataille, les yeux vifs, le teint hâlé par le soleil et le vent.
« Bonjour ! Je cherche du travail. J’ai la chance d’avoir des bras vigoureux et je ne suis pas fainéant. Et je ne cherche pas fortune. »
« Bien le bonjour ! J’aurais bien besoin d’aide parfois, mais je n’ai pas les moyens d’avoir un ouvrier. Mais demandez au village, en bas. Il y a toujours de l’ouvrage pour un homme travailleur. »
« Merci, je vais y aller. Vous n’auriez pas un morceau de pain ? Voilà deux jours que je ne mange plus que des racines et des fruits des bois. »

Jeanne n’était pas aventureuse, mais elle savait rendre service à son prochain, lorsque celui-ci le méritait. Et il lui suffit d’une seconde pour se décider.
« Entrez-donc. Il y a bien toujours quelque chose. »
Pendant qu’il se restaurait de pain de campagne, de fromage et de saucisson, avec quelques verres de vin, ils parlèrent un peu. De la vie, pas toujours facile, de leurs vies.

Il revint le lendemain, la remercier et lui dire qu’il avait trouvé un emploi chez Germain.
Les jours suivants, il revint régulièrement. Ils discutaient longuement. Parfois, Piétro coupait du bois, réparait quelques bricoles, rendait service.
Un jour, étant descendu au village, Jeanne passa le voir, dans la petite maison qu’il occupait aux abords du village. Lorsqu’elle entra, il ôta précipitamment les lunettes qu’il avait sur le nez.
« Je lisais, mais entre donc. »
Il tenait à la main, une lettre manuscrite.
« Une lettre de ma femme. La dernière que j’ai reçue, voici quinze ans. Je travaillais loin de chez nous. Deux jours après elle s’est noyée dans la rivière, en essayant de sauver notre fille qui avait glissé dans l’eau. Depuis, je n’ai pas pu rester chez nous. Alors je vais par les montagnes, et je travaille chez les uns, chez les autres.»

Le lendemain, lorsqu’il vint la voir, Jeanne le garda pour le repas. Puis il vint souvent manger le soir. Certains disent qu’il y passe même les nuits, mais qui cela regarde-t-il ?

Et puis un jour, juste avant l’hiver, il vint la voir au milieu de la journée. Elle eut un regard inquiet.
« Je dois partir. Mais je reviendrai, je te le promets. »
« Tu sais, je savais bien qu’un jour tu repartirais. On ne peut pas retenir le vent dans ses mains. Mais je te remercie de ce gentil mensonge. »
« Je dois vraiment partir, mais tu verras, je ne suis pas le vent. »

L’hiver se passa, et pour Jeanne cela fut dur et triste comme les hivers précédents, mais aux premiers beaux jours, elle regardait souvent vers le haut de la montagne, du côté du col et du sentier qui en descend.

Et puis un jour, elle vit un homme descendre le sentier. Elle sut tout de suite que c’était Piétro, et elle resta là, à l’attendre devant la ferme.
« Tu vois, me revoilà. Il fallait que je règle mes affaires, là-bas, dans mon pays. Et que je dépose des fleurs au cimetière, pour la dernière fois. »
Ce soir-là, ce fut lui qui prépara le repas. Il avait préparé quelque chose en cheminant.
Une recette de sa mère.
De son ancien pays. Peut-être l’Italie du Nord, ou bien le Tyrol, la Carinthie, la Croatie ? En tous les cas de ces montagnes rudes et sincères.
« Maintenant c’est une recette d’ici. Puisque c’est là mon pays. »
Jeanne souriait à nouveau, paisiblement.

Lièvre aux raisins secs et au miel.

Pour 6 personnes 1 lièvre de 2,5 kg environ, 4 gros oignons émincés, 250 g de poitrine fumée coupée en lardons, 1 cuillerée à soupe de farine, 100 g de beurre, 4 gousses d'ail en chemise, simplement écrasées, 1/2 litre de vin rouge, 2 cuillerées à soupe de vinaigre de vin, 2 bouquets garnis, 125 g de raisins de Corinthe, 100 g de pignons, 1 zeste d'orange séché, 1 douzaine de grains de genièvre, 1 douzaine de grains de poivre, 2 clous de girofle, 1 petite branche de romarin, 2 feuilles de sauge émiettées, 4 cuillerées à soupe d'huile d'olive, 1 cuillerée à soupe de miel, 1/2 cuillerée à café de cannelle en poudre (ou 1/2 bâton), sel et poivre.

La veille

Dépouillez et videz le lièvre, en réservant le foie et le sang auquel vous mêlerez une cuillerée de vinaigre pour l'empêcher de cailler.
Préparez la marinade dans une grande terrine en mélangeant le vin, le vinaigre, les gousses d'ail écrasées, un bouquet garni, le poivre en grains, le genièvre, les clous de girofle, la sauge et le romarin. Mettez le lièvre que vous aurez découpé en morceaux dans cette marinade, arrosez d'huile et laissez tremper jusqu'au lendemain.

Le lendemain

Faites blanchir les lardons à l'eau bouillante. Au bout de quelques minutes, sortez-les et égouttez-les avant de les faire revenir à la poêle, dans une grosse noix de beurre.

Dès qu'ils sont dorés, ôtez-les et mettez à leur place les morceaux de lièvre soigneusement essuyés. Ajoutez les oignons émincés et saupoudrez de farine. Laissez blondir la farine et versez la marinade. Ajoutez l’autre bouquet garni. Laissez cuire 1 heure à petit feu. A part, dans une autre casserole, mettez les raisins secs, le miel, le zeste d'orange et la cannelle. Mouillez-les avec un verre d'eau tiède. Portez à ébullition et laissez frémir ensuite 5 minutes, le temps que les raisins gonflent, et que l'eau réduise. Arrêtez le feu et réservez les raisins au miel.

Hachez le foie et faites-le raidir au beurre chaud quelques minutes avant de l'incorporer à la sauce. Ajoutez le sang, mélangez bien. Laissez cuire le lièvre quelques minutes avant d'ajouter les lardons, les raisins secs et les pignons.

Laissez cuire encore 1 heure à petit feu.

Passez la sauce au tamis. Disposez les morceaux de lièvre sur un plat de service et nappez avec la sauce.



Chronique 27 (25/2/2001)

« Dis-donc, Jean ? Dire que je me félicitais de déguster un excellent risotto, pour enfin avoir une référence, j’ai bien peur que ce ne soit pas pour aujourd’hui. »
Il faut bien l’avouer, ce que je leur avais servi, en accompagnement d’un magnifique lapin en sauce, avait piètre allure. Autant dire même que le riz avait tendance à coller. Mais c’était bien de leur faute aussi : traîner plus d’une heure à bavasser en prenant l’apéritif, cela force à faire attendre les plats, et parfois ceux-ci se vengent.

« Et puis de toute façon, vous n’avez plus faim ! Avec toute ce que nous avons avalé depuis hier, imagine si le risotto avait été bon ? Tu te serais forcé à en manger plus que de raison, et avec ce lapin, puis les fromages ensuite et la fin du chariot de desserts qu’il faut absolument terminer, je te verrais mal parti ….. »

Parce qu’il est vrai que depuis 24 heures, nous étions à table presque sans interruption.

« Bon, mais c’est pas tout, ça, moi je n’en peux plus. Excusez-moi si je vous abandonne, mais je vais aller faire une petite sieste. »

Attitude un peu cavalière, bien sûr, mais que l’on peut se permettre entre amis. Etais-je aussi un peu vexé ? Sans aucun doute, mais une heure plus tard, reposé, il n’en restait plus trace. Les amis étant sortis faire un tour et se dégourdir les jambes, j’aidais ma tendre et douce à ranger et à redonner un peu d’ordre au théâtre de nos agapes.
Ils ne rentrèrent que deux heures plus tard, l’air réjoui et le teint revivifié.
« En nous promenant, nous sommes passés devant un champ que s’échinait à bêcher un vieux paysan. Comme nous avions besoin d’exercice, nous l’avons aidé. »
« Oh oui ! Et nous avons retourné tout son champ, débroussaillé les abords et enlevé les grosses pierres encombrantes. C’est maintenant un terrain magnifique. Mais j’ai un petit creux maintenant. Il doit bien rester quelques chose à grignoter ? » dit en souriant la charmante amie.

Je leur réchauffais donc, avec un petit air goguenard (et un soupçon de vengeance ) le risotto.
Et ô surprise, ils le trouvèrent pas si mauvais que cela, finalement, ce risotto un peu collant.
« Non, non ! Pas collant, juste un peu gluant. Un peu comme un riz asiatique….. Mais il ne restait pas aussi de la fricassée de porc hier soir ? »

Mes affamés, liquidèrent l’énorme plat de risotto, ainsi que les 800 grammes de porc restant de la veille et quelques morceaux de lapin. Le plateau de fromages fut nettoyé et le chariot des desserts ne survécut pas non plus.

Comme quoi le grand air donne meilleur goût aux plats.

Fricassée de porc à la genevoise
(Adapté d’une recette transmise par Rene Gagnaux)

600 g de viande de porc; par exemple de l'épaule, 2 càs de beurre a rôtir ; sel, soivre, 2 càs de farine; 15 cl de crème fraîche épaisse.

MARINADE
250 g Légumes (carottes, poireau, céleri, oignons), 2 Gousses d'ail, 2 Feuilles de laurier, 1 Branche de thym, 2 Feuilles de sauge, 2 Clous de girofle, Grains de poivre, une bouteille de vin rouge léger (Gamay de Genève…)

Trois ou quatre jours auparavant, couper la viande en morceaux de 2 cm environ. Bien éponger la viande avec du papier. Couper grossièrement les légumes de la marinade, peler l'ail. Mettre le tout avec les herbes et les épices dans une bassine, recouvrir de vin et mettre à mariner à couvert au réfrigérateur pendant 3 ou 4 jours. Retourner la viande une fois par jour.

Sortir la viande de la marinade, laisser la viande bien égoutter.
Porter la marinade a ébullition, avec légumes, herbes et épices, la laisser réduire au tiers. Passer au chinois, mettre de côté.

Chauffer la matière grasse dans une casserole; assaisonner la viande et la faire revenir par portions. Laisser la viande à égoutter sur du papier.

Remettre la viande dans la casserole, poudrer de farine, faire revenir quelques minutes en remuant. Faire attention que rien ne brûle, sans cela la sauce deviendrait amère! Mouiller avec la marinade réduite, porter juste avant ébullition, couvrir et laisser mijoter à feu doux pendant 45 a 50 minutes. Tourner la viande une ou deux fois.

Sortir la viande, la garder au chaud. Ajouter la crème à la sauce, laisser un peu réduire. Assaisonner avec sel, poivre et marjolaine (à défaut, j’ai utilisé du curcuma pour vivifier la sauce).


Chronique 28 (5/3/2001)

Ce soir-là, comme souvent, Merlin avait abandonné ses vieux grimoires pour s’affairer dans sa vaste cuisine. Il était en train de humer le contenu d’une cocotte lorsqu’il entendit toquer à la porte d’entrée.
« Entrez donc et rejoignez moi à la cuisine, je suis occupé ! » cria-t-il à l’importun.

Ce fut une petite vieille, un peu coquette et bien mise qui le rejoignit.
« Bien le bonjour, Merlin ! »
« Bonjour ma bonne dame. Vous le voyez je suis très occupé, mais si vous voulez bien vous asseoir et patienter un peu, je vous ferai goûter ce nouveau plat et vous me direz ce que vous en pensez. »
Tout en disant cela il lui servit un verre de vin blanc et l’invita à trinquer avec lui.
« Mon cher Merlin, à votre âge vous devriez penser à prendre du repos. »
« Mais ma bonne dame, du repos ? vous n’y songez pas. Il faut bien que j’essaie cette recette de joue de bœuf avant de la faire goûter dans quelques jours à la Belle Mélusine. »
« Il faudra bien accepter pourtant. Ne savez-vous pas que je suis la Mort et que je viens vous chercher ? »

Merlin ne parut pas s’émouvoir et continuait à s’occuper de sa cocotte. Après avoir rajouté quelques assaisonnements et semblant satisfait, il se saisit de la cocotte et la déposa sur la table.
« Et bien Madame ma Mort, pour l’instant nous allons goûter ce plat qui ne peut pas attendre. Sentez moi ça ! Et vous verrez bien que je n’ai pas le loisir de mourir pour l’instant. »

La petite vieille fut un peu décontenancée par cette tranquillité, mais elle finit par s’asseoir, car après tout elle avait très faim et les parfums émoustillaient ses papilles.

« Alors ? »
« Mon cher Merlin, ce plat est vraiment excellent ! C’est de la joue de bœuf, m’avez-vous dit ? C’est étonnant effectivement.»
« Et donc vous comprenez que je ne peux vous suivre aujourd’hui, sans l’avoir fait goûter à la Belle Mélusine ! »
« C’est entendu. Je ne me permettrais pas de priver Mélusine de ce délice. Je reviendrai donc plus tard. »

Lorsqu’elle revint, quelques temps plus tard, Merlin lui fit goûter une autre préparation, et encore une fois elle repartit seule.
Et c’est ainsi que, de temps en temps, la Mort vient déguster un petit plat chez Merlin, sans même plus jamais évoquer l’idée de le mettre au repos. Il advint même un jour où, le trouvant légèrement malade, ce fut elle qui le soigna après avoir à son tour préparé une de ses recettes à elle.

Finalement, ils ne sont pas pressés, ni l’un ni l’autre, et tous ces petits plats sont tellement délicieux…..

Joue de bœuf

Pour 6 personnes; Préparation 30 minutes, cuisson 2h30 mini,

Ingrédients: 1.2 à 1.5 kg de joue de bœuf, 1 cuillerée à soupe de saindoux, 700 gr de carottes, une dizaine de petits oignons blancs, 1 ou 2 gousses d'ail,1grand verre de vin blanc, 1 petit verre de Cognac, 1 bouquet garni, sel, poivre.

Préparation:
Faites étuver les oignons tranchés et les carottes coupées en rondelles. Dans un cocotte, faites dorer la joue de bœuf dans le saindoux, sur toutes ses faces.
Ajoutez les oignons et les carottes, l’ail et le bouquet garni. Mouillez avec le vin blanc coupé par moitié d'eau. Salez, poivrez, couvrez..
Faites mijoter à tout petit feu (ou au four) pendant 2 heures au moins. Plus la cuisson sera douce et longue, meilleure sera la viande.
Enlevez le bouquet garni et ajoutez un petit verre de Cognac qui renforcera les arômes.
Gardez à tout petit feu, jusqu'au moment de servir.
Vous pouvez accompagner de pommes de terre à l'anglaise ou de cardons au jus.

Adaptation d’une recette de Georges MOREAUX.