Chronique 7 (07-10-2001)


" Mmmhhh ….. "
" Aaahhh….Ahhhhh ! "
" Oooohhh…. Ouiiii…. "
" Mmmhhhh….. Encore ? "
" Oh oui ! Encore !!! "
" Du moment qu'il en reste. Tu vois, je partage de façon équitable. "

Mélusine et Merlin, sans aucune retenue, les doigts poisseux, les lèvres luisantes, dégustaient des grenouilles en sauce aux fines herbes. Eclats brillants dans les yeux, sourires béats, onomatopées pour seule discussion : visiblement, ils se régalaient.

" Mais dis-moi, Merlin ? " se reprit Mélusine, après que leurs assiettes et leurs doigts furent très suavement et impeccablement nettoyés, " Ce colis de grenouilles fraîches, et délicieuses ? J'imagine qu'il a une histoire ? "
" C'est une bien vieille et charmante histoire, effectivement. "
Avant d'entreprendre son récit, Merlin remplit à nouveau les verres de petit vin blanc du Valais.

Tu connais la Fée Carabosse ? Et bien sache que dans son adolescence elle était surnommée 'Cuisse de grenouille', à cause de sa taille svelte. Nous nous connaissions depuis l'enfance, puisque nos parents vivaient dans le même village, et nous jouions toujours ensemble. Souvent elle se déguisait en fée, et moi en preux chevalier, sur mon cheval à bascule. Et bien évidemment, je la délivrais des dragons et autres princes félons.
Plus tard, nos études nous ont séparés. J'étais à Brocéliande et elle en Burgondie, mais nous nous retrouvions au village pendant les vacances.
Et c'est là qu'un soir, ses parents sont arrivés chez les miens, complètement affolés. Au cours d'une promenade, elle avait été enlevée par le dragon du Bois des Morts. Mes parents ont essayé de les consoler, car que pouvait-on faire d'autre ? De toute l'histoire du village, nul n'était jamais sorti des griffes du dragon.
Seul dans ma chambre, je rageais de n'être pas réellement le preux chevalier de notre enfance pour aller, sur mon fier destrier, au secours de la Belle.
M'approchant de mon vieux cheval de bois, aux couleurs passées, je pris dans mes mains, avec les regrets que tu imagines, l'ancienne épée de bois, jouet si puéril, et je crois bien que quelques larmes coulèrent.
C'est alors qu'un hennissement se fit entendre. A peine assis sur le cheval, celui-ci s'envolait dans les airs, la crinière au vent, les naseaux crachant le feu, m'emportant avec lui. Les rayons de lune faisaient miroiter ma belle armure, ainsi que dans mes yeux toute la fureur des chevaliers d'antan.

Le dragon fut rapidement occis, et la jeune délivrée pantelante dans mes bras.
" Tu es mon Chevalier, et foi de 'Cuisse de Grenouille', je ne t'oublierai jamais, ni cette nuit qui fut ma délivrance. "

La vie nous a ensuite séparés, mais tous les ans, et où que je sois, il me parvient un colis de cuisses de grenouilles, car elle connaît ma gourmandise.


Cuisses de Grenouilles en sauce aux fines herbes
(pour 4 personnes, ou seulement pour 2….)

48 paires de cuisses de grenouilles, vinaigre, 1/2 1 de lait, estragon, persil, cerfeuil, ciboulette, aneth, 15 g de beurre, 3 cuillère à soupe de crème fraîche, poivre, sel, 3 jaunes d'œufs.

Coupez l'extrémité des pattes des grenouilles, rincez-les abondamment dans de l'eau vinaigrée; épongez-les dans du papier absorbant. Faites-les cuire de 3 à 5 mn, selon la grosseur, dans une sauteuse emplie de lait à peine frémissant et surtout pas bouillant, que vous aurez fortement poivré et salé.

Hachez l'estragon, le persil, le cerfeuil, l'aneth et la ciboulette pour en obtenir la valeur de 2 verres à moutarde. Faites suer avec une noisette de beurre dans une petite casserole à fond épais. Au bout de 1 ou 2 mn, ajoutez la crème fraîche, le poivre et le sel, tournez un moment, toujours sur feu doux, en évitant de faire bouillir la sauce. Hors du feu, ajoutez ensuite les jaunes d'œufs en battant au fouet pour bien lier le tout. Egouttez délicatement les grenouilles, posez-les sur un plat de service creux et nappez-les de sauce.