Chronique 12 (11-11-2001)


Mélusine et moi avions tellement musardé dans les bois que nous n'avions point vu venir le mauvais temps. Et c'est lorsqu'enfin nous nous décidions à rentrer que l'orage nous surprit au beau milieu d'un pré.
Rapidement trempés, malgré une prompte retraite dans le bois, nous avions trouvé refuge dans une grotte. Nous pensions être à l'abri et commencions à essorer nos vêtements, lorsqu'un ronflement se fit entendre, en provenance du fond de la grotte.
" Mon cher Merlin, on dirait qu'un précédent réfugié se soit vite endormi " me dit Mélusine.
Ayant fait quelques pas, je revins un peu plus pâle : " C'est un dormeur qu'il faudrait éviter de réveiller. En général, les ours n'aiment vraiment pas qu'on les sortent avant terme de leur sieste hivernale. "

Ayant trouvé une charmante cabane de forestier comme abri plus sûr, et une fois à peu près séchés, je me proposais, par quelques jolis sortilèges, de nous préparer un petit dîner, avant que la nuit ne tombe tout à fait. Malheureusement pour nous, rien ne voulait fonctionner.
" Ma chère Mélusine, je crois bien que nous voilà ennuyés : mes sortilèges ont pris l'eau, et à cause de cette humidité, rien ne va fonctionner avant un bon moment. Je ne parviens même pas à établir une communication avec le royaume des fées et lutins. "
" Et comme par hasard, pour ma part, je suis partie sans rien. J'ai changé de sac, et ma baguette est restée dans l'autre. Mais pourquoi diantre ne protégez-vous pas vos instruments dans un sac étanche ? "
" Mais très chère, la matière plastique n'a pas encore été inventée ! "
" Ah c'est vrai. Mais qu'allons-nous faire ? Je vous avoue que j'ai très faim "

La pluie ayant cessé, nous quittâmes notre abri pour aller en quête de nourriture, et par chance, nous trouvâmes non loin de là, une bergerie.

" Bonsoir, brave berger. Nous sommes perdus, sans nourriture, et avant d'aller nous endormir dans la cabane forestière, nous aimerions manger quelque chose. Pourriez-vous nous donner un mouton ? "
Quelque peu interloqué, le berger cessa son ouvrage :
" Des moutons, j'en ai. Mais je ne donne pas. Vendre, oui, mais donner non. "
Mélusine vint à ma rescousse :
" Bien sûr, un mouton c'est beaucoup. Mais vous avez peut-être une poule à nous donner ? Il faut dire que nous sommes partis sans argent pour notre promenade. "
" Des poules, j'en ai. Mais je ne donne pas. Vendre, oui, mais pas donner. "

Le bougre était têtu et résolu.

" Vous ne savez pas qui nous sommes ! Mélusine et Merlin. Nous pourrions vous jeter un sort, vous transformez en grenouille, ou autre chose. "
" Si vous en avez le pouvoir, vous pouvez le faire. Mais si vous m'ensorcelez, vous n'aurez rien de plus. Si vous me prenez un animal sans qu'il vous soit donné, c'est un vol. Vous n'allez pas vous mettre à voler ? "

Devant son entêtement, nous rebroussâmes chemin.
" Désolé, ma chère Mélusine, mais je crois bien qu'il va nous falloir passer la nuit le ventre vide. "

" Mais ne partez pas comme ça ! " nous héla le berger.
" Je vous dois hospitalité. Si vous m'aidez un peu, nous pourrons aller plus rapidement nous mettre au chaud et vous pourrez partager mon repas. "

Je l'aidais comme je pus à donner du fourrage aux moutons, et ma maladresse déclencha évidemment les fou-rires de Mélusine. C'est ainsi que dans la bonne humeur nous fûmes rapidement assis, Mélusine et moi, face à un plaisant feu de bois rougeoyant dans une cheminée. D'excellentes odeurs de volailles s'échappaient d'un chaudron pendu loin au-dessus des flammes. Après avoir excellemment dîné d'une pintade aux champignons, nous passâmes une merveilleuse nuit dans la paille d'une petite grange, emmitouflés dans des couvertures de laine écrue aux fortes odeurs de mouton.


Pintade aux champignons
Raymond Oliver

1 pintade de 1,5 kg, 4 belles poignées de champignons frais de saison, 1 verre de vin blanc sec, 1 verre à liqueur de fine ou de cognac, bardes de lard gras, 3 gousses d'ail, 1 bouquet garni, 3 carottes, 3 oignons, huile, beurre, sel, poivre.

Plumez, videz, flambez la pintade. Assaisonnez-la à l'intérieur de sel et de poivre, farcissez-la avec des champignons bien lavés, essorés et crus, et une noix de beurre. Bridez et bardez-la.

Dans une cocotte, faites dorer la pintade avec de l'huile et du beurre, puis retirez-la, mettez-la sur un plat chaud, versez dessus le cognac (ou la fine) préalablement chauffé et faites flamber.

Mettez les gousses d'ail non épluchées, le bouquet garni, les carottes et les oignons coupés en gros morceaux dans la cocotte. Laissez blondir.

Remettez la pintade avec le jus de flambage, arrosez avec le vin blanc, 1/2 verre d'eau et salez. Couvrez, laissez cuire 45 minutes. Un peu avant la fin de la cuisson, retirez les bardes.

Lorsque la pintade est cuite, dressez-la sur un plat de service, ou découpez-la en quatre et posez chaque morceau sur un croûton de pain de mie frit au beurre et garni de champignons ayant cuit dans la pintade.

Passez la sauce au chinois et arrosez la pintade. Servez à part les champignons sautés au beurre et persillés.