Chronique 22 (20-01-2002)


L'autre matin, me promenant par les champs, je rencontrais sur mon chemin, un vieux paysan assis pleurant sur une souche. M'approchant pour m'enquérir de ses soucis, j'appris son histoire.
Il est le Vassili du vieux conte Russe. Celui-là même à qui le Vent du Midi, pour s'excuser d'avoir éparpillé sa farine, avait donné la boîte à souhaits.
Je ne m'étonnais même pas de rencontrer un personnage de conte, tout ému de l'entendre conter ses nouveaux malheurs.

" La Vieille a décidé d'inviter notre Seigneur et de lui prodiguer un magnifique festin. Sans doute pour rendre jalouses ses commères du village. Mais voilà que ce matin, un oiseau de malheur est arrivé devant notre isba, est entré par la fenêtre et nous a volé la boîte à souhaits. J'ai eu beau courir après lui, je n'ai pas pu le rattraper. Qu'allons-nous dire à notre Seigneur, ce soir ? Il croira que nous nous sommes moqués et nous fera tuer par ses serviteurs. "

Que faire d'autre, sinon proposer son aide à ce pauvre homme dans le malheur.

Parvenu chez lui, nous y trouvâmes la vieille en pleur, et leurs embrassades étaient vraiment touchantes.
" Mon pauvre Vieux Vassili, tu m'en voudras toute l'éternité de cette vanité cause de notre malheur. "
" Ma pauvre vieille, c'est tout de même bien moi qui ai rapporté cette boîte magique. C'est bien elle seule la responsable. "

J'eu beaucoup de peine à interrompre leurs jérémiades et les convaincre de faire bonne figure pour accueillir le Seigneur ce soir-même. Ils finirent par reprendre courage et acceptèrent de m'aider à préparer le repas.
Vassili fut chargé d'aller dans les champs attraper quelques cailles (que par manigance je fis tomber dans son sac). La Vieille fit le tour de ses commères pour rapporter quelques ingrédients manquants. Et moi-même je partis discrètement promener leur vieux cochon dans quelques sous-bois ; il me dénicha deux belles truffes odorantes.

Lorsque le Seigneur arriva enfin, accompagné de quelques personnes, les deux vieux après leurs salutations révérencieuses, lui firent comprendre qu'ils avaient surtout voulu lui rendre l'hommage qu'ils pensaient lui devoir, et que le repas qui lui serait servi n'avait pas la prétention d'être l'équivalent des magnificences de la cour, tout en n'étant pas un de leur plat habituel.

Il n'y avait en fait qu'un seul plat, mais si fin et délicieux qu'il suffisait à réjouir les papilles, tout en réussissant à satisfaire la faim d'un bon mangeur.

Le Seigneur, légèrement interloqué par la rusticité de l'affaire, se plia au jeu, avec amusement.
Et après avoir délicieusement et consciencieusement rongé tous les os de sa caille, veillé à ne pas laisser une miette de gelée, la mine réjouie et les lèvres encore humides de plaisir, il remercia chaleureusement ses hôtes.

" Mes chers petits vieux. Grâce à cette amie aux immenses ressources, - et il désignait, assise à ses côtés, la Belle Mélusine- je suis au courant de toute votre histoire. Et je vous l'assure, je préfère avoir dégusté cette caille savoureuse, fruit de votre cuisine, plutôt qu'un repas somptueux, obtenu à l'aide d'une boîte magique. Mais permettez-moi de vous faire à mon tour un présent. "

Un page entra alors, et s'approchant de Vassili et de la Vieille, il découvrit le plateau d'argent qu'il portait. La boîte à souhaits, brillante et magnifique, leur était rendue.

Derrière le chambranle de la cuisine, je ne pus m'empêcher de faire un clin d'œil à Mélusine, qui me souriait.


Cailles froides George Sand
(Paul Bocuse, La cuisine du marché.)

Ingrédients : 3 cailles, 150 g. de foie gras cru, sel, poivre, épices, cognac, 150 g. de champignons, 3 carottes, quelques morceaux de truffe, gelée blonde, beurre.

Vider 3 belles cailles et les trousser en entrée, c'est-à-dire inciser les flancs des oiseaux et engager dans cette incision l'articulation de la patte repliée sur le pilon.

Faire macérer 6 morceaux de foie gras cru avec sel, poivre, épices et cognac (un soupçon de tous ces condiments).
Etuver les champignons crus au beurre.
Préparer une julienne composée par tiers de rouge de carotte, de truffes et les champignons.
Préparer une bonne gelée blonde.

Assaisonner l'intérieur de chaque caille avec une prise de sel fin et introduire ensuite deux morceaux de truffes et deux morceaux de foie gras.
Faire fondre du beurre.

Choisir une sauteuse pouvant contenir juste les 3 oiseaux.
Les ranger dedans en les serrant les uns contre les autres; les assaisonner, les arroser très légèrement avec du beurre fondu; les saisir 5 minutes à four très chaud.
Egoutter la graisse, arroser les cailles avec 3 cuillerées à potage de cognac, flamber et étouffer aussitôt. Recouvrir les cailles avec la julienne; mouiller juste à hauteur avec la gelée, mettre à ébullition et faire pocher très doucement pendant 12 minutes.
Dresser les cailles dans une timbale, dégraisser à fond la gelée de cuisson et la verser dessus ainsi que la julienne,

Mettre au frais et servir quand la gelée est solidifiée (prévoir quelques heures).

Nota. - Ce mets étant servi en timbale, la gelée gagnera à être moins gélatineuse qu'une gelée destinée à être démoulée.