Chronique 26 (17-02-2002)


Nous visitions une petite ville, calme et belle, lorsqu'au détour d'un carrefour, nous arrivâmes sur une grande place bruyante. Une espèce de marché, tenant à la fois du souk oriental et de la brocante.
Couleurs vives et bigarrées, grouillement de foule et bonne humeur, légumes et produits de toutes sortes, vieilleries de greniers, reproductions de Bernard Buffet et batteries de cuisine orientales, cris gouailleurs des chalands, musiques de toutes régions, odeurs mélangées d'épices chatoyantes, de choucroutes garnies et poulets rôtis.
La vie, dans toute ses cultures, dans toutes ses formes.

Après quelques tours et détours surpris et amusés de certains voisinages saugrenus, pris par la faim et la fatigue, près d'un étal où des sandwiches saucisson-beurre-cornichon respiraient les effluves des khebab et pizzas, nous demandâmes s'il y avait un lieu pour nous asseoir un peu au calme en grignotant.

L'homme aimablement nous fit signe de venir vers l'arrière de l'échoppe et entrouvrant un rideau, nous invita à descendre pour aller chez Suleiman.

Nous descendons quelques marches, surpris et décontenancés par cette architecture ; puis nous suivons un long couloir en pierres apparentes nous conduisant auprès d'une berge. Une douce lueur lunaire nous éclaire.
Au bout de quelques pas, le chemin nous amène à un pont que nous franchissons.
Face à nous, une volée d'escaliers monte vers un couloir décoré de fines voilures de couleurs sépias.
Une porte double s'ouvre devant nous et un homme affable nous prie d'entrer chez Suleiman.
Il nous conduit à une table, dans une pièce éclairée de bougies et de clair-obscurs, et animée d'une délicate musique hindoue.
Autour de nous, à bonnes distances, d'autres tables sont occupées par une clientèle discrète et disparate de toutes origines ethniques, à en juger par les vêtements.

Une serveuse blonde aux joues roses étant rapidement présente, nous commandons le plat du jour : 'braisé de veau hérétique'. Ainsi que deux verres de vin moelleux en apéritif.

Au bout de quelque temps, un homme souriant nous apporte notre commande en nous souhaitant la bienvenue dans son auberge. Visiblement le patron lui-même. Auquel j'en profite pour demander quelques explications sur la dénomination de son plat.

" C'est en quelque sorte une tajine, mais comme je l'ai cuit avec du vin jaune, par respect pour les traditions marocaines, j'ai préféré choisir un autre intitulé. "
" Mais vous ne craignez pas d'offusquer certains pratiquants religieux ? "
" Chez Suleiman, avec tout le respect que je leur dois, toutes les religions, leurs règles et obligations, restent au vestiaire. Ne règne ici que la tolérance. Et, du mieux que j'en sois capable, la gourmandise. "

Autant dire que ses capacités sont grandes, car le mariage du veau lentement cuit avec du vin jaune et quelques épices orientales est un pur régal. Nul doute que ses diverses pratiques hérétiques lui soient pardonnées, si un jour il devait en rendre compte.

En nous raccompagnant, Suleiman m'avait recopié sa recette, à votre destination.
" Et je vous préviendrai, chère Mélusine et estimé Merlin, lorsque j'aurai réussi dans une de mes recherches en cours. Le mariage des coquilles Saint-Jacques avec une sauce aux épices indiennes, mais dans le respect de la saveur si particulièrement délicate de la coquille. "

Braisé de veau hérétique
De Suleiman

Pour 6 personnes
Préparation: 20 min
Cuisson: 1 h 20

1,2 kg de veau à braiser (épaule, de flanchet, tendron), 200 g d'échalotes, 5 c.à s. d'huile, 3 cuil. à soupe de miel, 1 cuil. à soupe de sucre en poudre, 1 cuil. à café de cannelle moulue, 2 cuil. à café de gingembre frais réduit en pâte, 50 g. de raisins secs, 30 g. d'amande en poudre, 30 cl. de vin jaune, 1 dosette de safran, sel, garam masala, 300 g. de pommes de terre fermes

Dans une cocotte, faites revenir la viande à feu doux avec 3 c.à s. d'huile sans la laisser dorer. Parsemez avec le gingembre et remuez 1 min.
Versez 25 cl. de vin jaune, salez, garam masalez. Portez à ébullition.
Couvrez et laissez mijoter 40 min au four Th.4.
Epluchez les pommes de terre et faites-les cuire à moitié à la vapeur. Réservez.

Dans une sauteuse, faites blondir les échalotes pelées et émincées avec le reste d'huile chaude. Dès qu'elles commencent à dorer, saupoudrez-les avec la cannelle, le safran et le sucre en poudre. Ajoutez le miel, remuez puis laissez caraméliser légèrement.

Mettez les échalotes dans la cocotte avec la viande, ajoutez les raisons secs et la poudre d'amande
Déglacez la sauteuse avec le reste de vin jaune, et versez dans la cocotte.
Poursuivez la cuisson 20 min. toujours au four Th.4.
Environ 10 min. avant la fin, ajoutez les pommes de terre.