Chronique 30 (17-03-2002)


" SOS ! Venise, 1566. Prison des Doges. O'Maley. "

Lorsque je reçus ce message, je ne pus que me mettre en route pour aller sortir mon ami du mauvais pas dans lequel il s'était fourré.

Couloirs sombres, froids, sales. Humidité suintante. Lumière ondoyante et fragile des torches. Et l'écho de mes pas sonores derrière le geôlier. Enfin le bruit sec des serrures et le grincement des gonds.
O'Maley se lève. Je lui tends une longue cape brune et nous partons sans un mot, dans la nuit.

Nous restons silencieux, à écouter les clapotis de la gondole. Parfois une trouée dans les nuages laisse passer la lueur d'une lune blanche. A l'horizon, les premières lueurs de l'aube.
Enfin, nous sentons l'odeur iodée de la mer. Le navire ne doit plus être loin, qui nous emportera vers d'autres rivages.

" Merci. " me dit-il, osant sortir du silence. " Mais comment as-tu fait ? "
" Un cousin influent dans la police Sérénissime. Mais toi ? que s'est-il passé ? "

Il me raconta à mi-voix.
La réception flamboyante, la musique légère et virevoltante, les lumières éclatantes, les masques mystérieux et magnifiques, les robes chatoyantes et les épaules délicates, les verre de ce vin frais et pétillant, les rires cristallins, les yeux malicieux et les paroles si délicatement enjouées.
Et ce petit billet discrètement glissé dans la main.

Et puis au petit jour, la sortie discrète par une porte dérobée du palais princier et les sbires silencieux qui l'attendaient et l'ont emmené.

" Ah ça, il y a des situations que les Doges n'apprécient pas ! "
" Mais nous ne parlions que de cuisine !!! "
" Veux-tu vraiment y retourner pour le leur répéter ? "
" Mais je t'assure. Je lui ai juste expliqué une recette de foie de veau aux figues. Une recette antique, retrouvée chez les Phéniciens. Elle était très intéressée, tellement curieuse de tout connaître. "
" Mangiar il fico e non gettare il pomo. Nous partons immédiatement, bien sûr, et je te conseille d'éviter cette ville pendant quelques années."

Après nous avoir déposés, le gondolier repartit nonchalamment, toujours silencieux et discret.
Et puis, lorsqu'il fut à quelques dizaines de mètres, nous l'entendîmes se mettre à chanter :
" Si lavora et si fatica per la pancia et per la fica. "

Foie " à l'antique "
In Jean Clausel, Venise Exquise. Ed. Payot

Le mélange du foie et de l'oignon se pratiquait déjà dans l'Antiquité. La cuisine romaine puis byzantine accommodait le foie avec des figues, d'où son nom jecor ficatum devenu fegato.

Voici, à titre d'introduction, une recette de foie aux figues :

Ingrédients pour 4 personnes
4 tranches de foie,
oignons hachés, pour un même poids que les tranches de foie,
figues sèches, pour un poids égal à la moitié de celui du foie ou de l'oignon,
1/2 verre d'huile d'olive,
jus de citron et zeste
sel, poivre


Tailler le foie en lamelles et le laisser mariner dans de l'eau vinaigrée.
Hacher finement l'oignon, le plonger dans de l'huile d'olive chaude afin qu'il se flétrisse.
Depuis la veille, faire mariner et gonfler dans de l'eau tiède les figues sèches.
Les tailler en morceaux et les jeter avec le foie dans la friture d'oignon en tournant à feu vif 3 mn environ, durée de la cuisson.
On peut utiliser des figues fraîches pelées et taillées en morceaux, il en faut alors le même poids que de foie.
Le jus d'un citron et son zeste sont bienvenus.
Poivrer.