Chronique 41 (02-06-2002)


C'était il y a bien longtemps ….
Le petit village éparpillait des maisons de pierres blanches, bien basses pour éviter le soleil, avec des petites courettes pleines de verdures et d'ombres. La place devant l'église était couverte d'arbres centenaires. Et à certaines heures de plein soleil, on entendait chanter les cigales des champs alentours.

Lorsque j'étais arrivé, on aurait dit la révolution sur cette place : hommes et femmes en petits groupes parlaient fort, se houspillaient, certains même parlaient d'appeler la troupe puisque les fusils du village étaient insuffisants. Mais ils se calmaient, les uns après les autres, alors que je passais de groupe en groupe en demandant si le Maire était parmi eux, car j'avais rendez-vous.
Enfin je le rencontrai et nous discutâmes à l'écart.

C'était à nouveau une histoire de loup. Mais celui-ci était vraiment très proche du village. Les battues réalisées n'avaient même pas réussi à l'éloigner.
A peine installé dans le logis confortable que le Maire avait prévu, je partis dans les bois au crépuscule.

C'était une promenade magnifique. Accompagné par les derniers chants des oiseaux, bien plus stridents et sonores dans les premières pénombres, j'admirais les couleurs changeantes de la nature s'apprêtant pour la nuit. Passant près d'une chute d'eau, j'entendis les rires frais de quelques fées jouant dans l'eau, et détournait mon chemin pour ne pas les déranger.
Enfin, je trouvais un endroit propice pour attendre le loup.
Etant dans son territoire, il ne m'était nul besoin de le chercher. Il savait que j'étais là et notre rencontre dépendait de son bon vouloir.

Enfin il s'approcha.

" Que viens-tu faire, ici, homme ? Sans fusil ? "
" A quoi sert un fusil, à qui veut discuter ? "

Nous discutâmes une bonne partie de la nuit, le grand loup et moi. Il m'expliqua qu'il avait dû se replier ici, pour nourrir sa famille. Bien que la qualité de la nourriture laisse à désirer, d'ailleurs. Son territoire précédent, là-haut dans la forêt, avait été assailli par un loup-garou, un Homme d'une sauvagerie extrême, qui tue sans avoir besoin de manger, et pour la sauvegarde de ses petits il avait dû abandonner son territoire ancestral et émigrer.

Le lendemain, après une courte nuit, j'expliquais patiemment l'accord passé avec le loup aux notables du village, malgré leur yeux écarquillés.
Enfin le Maire ayant compris ma démarche, décida d'avaliser l'accord et prit l'organisation en main : il désigna ceux qui devaient fournir les agneaux, déclara que la meilleure cuisinière était la Béatrice, malgré les récriminations de quelques autres maris susceptibles, et rendez-vous fut prit pour la semaine suivante. C'était tout de même le délai dont j'avais besoin pour aller chercher les herbes de Mélusine.

A mon retour, un des agneaux fut enduit d'huile macérée avec les herbes, et les deux autres confiés à Béatrice.
Au crépuscule j'emportais la viande en forêt pour la remettre à mon ami le loup. C'était son rôle dans l'affaire d'aller la porter à proximité du Garou, afin qu'il ingurgite les herbes de Mélusine.
Dès le lendemain, quelques chasseurs le découvrirent tournant en rond dans une clairière et n'eurent aucune peine pour l'abattre enfin.

Au village, avec les autres agneaux, Béatrice avait préparé une estouffade d'agneau à la provençale, dont nous nous régalâmes les quatre doigts et le pouce.
Mais j'avais pris garde de réserver une belle portion que je portais dans la nuit à mon ami le loup.

" C'est extraordinaire, cette recette. Tu ne me l'aurais pas dit, j'aurais pu chercher longtemps que c'était de l'orange, ce petit goût acide et sirupeux. Je reviendrais bien de temps en temps dans ce village, voir la Béatrice …..
Mais non, je plaisante….. "

Bien sûr, depuis le temps, je ne l'ai plus jamais revu, mon copain loup, mais j'ai quand même conservé la recette.

De: "Sergio" (entre parenthèses, qqs précisions sur mon interprétation)
Objet: RE7 Estouffade d'agneau à la provençale
Date: jeudi 2 mai 2002 16:46

L'Estouffade d'agneau à la provençale, spécialité des alentours d'Avignon est un vrai régal.
C'est l'orange qui lui donne ce goût. Fabuleux goût.

Bien sûr, la recette que je livre ici, est une recette traditionnelle interprétée par une cuisinière hors-pair. Ce préambule pour faire la nique à tous ceux et celle qui viendrait à crier au scandale honteux et outrecuidant, lisant une recette qui ne reflète par l'exacte vérité vrai absolue authentique de la tradition ancestral de l'estouffade d'agneau à la provençale. (ouf!)

Et à présent, la recette:

Faites donc colorer dans de l'huile d'olives de l'épaule d'agneau (500 g) un peu grassouillette coupée en cubes réguliers. Sel, poivre, colore, colore...
Ajouter :
De l'oignon nouveau ciselé (4) , des zestes d'oranges (3) en julienne ou râpé selon que vous êtes doué ou non.
Du piment rouge, (nous prenons du piment turc, il est doux mais pique suffisamment. Bien sûr les défenseurs de la cuisine vraie, prendrons du piment d'Espelette, que ça fait moins bête.)
Du piment rouge, donc, concassé. (3 et je sais pas d'où il vient)
De l'ail écrabouillé, réduit en bouillie, d'un coup de plat de couteau, splatsch... (5 gousses)
Du thym, du romarin, du laurier, de la sarriette haché fin, dosé avec délicatesse.
Du concentré de tomates. (un peu)
Sflitch sflotch, remuez, et laissez encore revenir.

Normalement mouillé avec du vin (30 cl de vin blanc sec), nous on fait ça à l'eau, question de goût sans doute.
Là, opération cuisson lente: faites mijoter tout lentement votre ragoût pendant 3 heures à couvert. (2 heures plus lent réchauffage avant le repas)
Terminé avec quelques olives noires en julienne courte, et si vous n'êtes toujours pas doué, hachées grossièrement.
Servez ça avec bien de la sauce, qui doit sentir bon l'orange sans que l'on puisse dire qu'il y en a. Le mélange subtil avec les autres ingrédients, fait que, si bien dosé, vos convives ne devineront pas de suite qu'il y a de l'orange dedans.
Accompagnez de parpadelles, ou d'un tian de pommes de terre et de rondini farci à la provençale par exemple.
(servi avec des aubergines à la noix de coco)