Chronique 5 (29-9-2002)


C'était un vieux cahier relié, au papier jauni, à peine abîmé par le temps, rempli d'une ancienne écriture appliquée, malgré quelques ratures et quelques taches colorées. Sans doute la proximité de la cuisine. Puisque c'était un recueil de recettes manuscrites.
" Alors c'est pas étonnant ? Je te le laisse pour un prix correct, en plus."
" D'autant plus étonnant, que j'ai acheté exactement le même, la semaine dernière. "
Quelques heures plus tard, attablés devant une bouteille de Saint-Véran, nous comparions les deux exemplaires : le même cahier et la même reliure, le même papier jauni, la même écriture violette, les mêmes ratures bien propres et nettes, et les mêmes taches !
Les manuscrits étaient rigoureusement identiques.
" Tu en as beaucoup d'autres exemplaires ? " lui dis-je en riant.
" Arrêtes ! Moi aussi, j'ai été blousé sur ce coup. Tu as l'adresse du gars à qui j'ai acheté le lot ; tu n'as qu'à remonter la filière. Et tiens-moi au courant : dans la profession, on n'aime pas non plus les coups foireux. "

C'est donc en quelque sorte 'en mission' que je me retrouvais dans un petit village entouré de collines massacrées par des constructions pavillonnaires et leurs plantations abracadabrantesques : tamaris, cèdres du Liban, palmiers et autres volubilis Japonais remplaçaient noisetiers et pommiers naturels.
Le brocanteur se trouva fort embarrassé lorsque je lui montrais les deux exemplaires du manuscrit ainsi qu'une carte vaguement tri-colorisée.
" Voilà ce que c'est de rendre service. Mais je lui avais bien dit que ça finirait mal, son entourloupe. "
Après de vagues menaces de surveillance par mes 'collègues' des impôts, je repartais muni de l'adresse de la coupable.

Assis à la table de bois de la cuisine, j'avais du mal à fixer son regard. Franc sourire aux lèvres fraîches, nez mutin, pommettes vives, mèches rebelles et narquoises, et un corsage frais, mutin et presque narquois : difficile de rester concentré face à 'ma' coupable. Elle m'expliquait que c'était plus un jeu qu'autre chose, ces cahiers de cuisine. Elle en avait tant, de ces vieux cahiers récupérés dans les caves de la mairie, après la fermeture de l'école du village.
Mais elle travaillait surtout pour la Bibliothèque Nationale de France. A réécrire certains manuscrits menacés par le temps.
" Je suis sur du Flaubert en ce moment. Quelques lettres à reprendre… "

" Mais les recettes, vous les avez prises où ? "
" Vous allez rire ! C'est un vieux cahier trouvé chez un brocanteur. Je l'ai juste recopié. "
Lorsqu'elle me montra un autre vieux cahier manuscrit, j'éclatais effectivement de rire :
" Etes-vous certaine que ce soit le vrai ? Ne serait-ce pas plutôt celui-ci ? ou celui-la ? "
Les trois manuscrits étaient tellement identiques, tous les trois tellement authentiques, qu'après les avoir mélangés nous ne savions plus quel était l'original …

Quelques jours plus tard, Mélusine se régalait avec une des recettes de mon nouveau vieux cahier.

" Tu es merveilleux, Merlin ! Comment as-tu fait ? "
" Il suffit de suivre la recette … "
" Mais je ne te parle pas de ta daube de boeuf, délicieuse bien sûr ! Comment as-tu fait pour retrouver la recette de ma grand-mère ? C'est exactement comme cela qu'elle faisait la daube, mais nous n'avons jamais retrouvé le cahier où elle notait ses recettes … "

La daube de bœuf du dimanche
Marion Payan, La cuisine Provençale. De mère en fille. Ed. Albin Michel

Je pourrais disserter des heures sur la daube, son odeur, son goût, l'épaisseur de sa sauce, tous ces relents d'enfance... Le fait que jamais, malgré le temps et ses conseils éclairés, ma daube n'ait égalée celle de ma grand-mère... Mais l'essentiel pour vous maintenant est de vous faire votre propre opinion, d'ajouter tel ou tel ingrédient comme un bon chef et de trouver.. votre recette de daube rien qu'à vous, dont vous ne livrerez le secret.. qu'à votre fille. À vos tabliers!

Pour 6 personnes :

Préparation: 20 min
Cuisson: 3 h au moins

Ingrédients :
2 kg de boeuf: 4 morceaux différents (culotte, paleron, aiguillette, macreuse),
1 pied de porc, 200 g de couenne de lard, 3 cuil. à soupe de saindoux,
5 g de beurre mou, 1 cuil. à soupe de farine,
2 carottes, 6 échalotes, 2 gousses d'ail, 1 brin de thym, 1 feuille de laurier,
1 orange (zeste), 2 clous de girofle, 1 bouteille d'un bon vin rouge,
1 petit verre de marc, 3 cuil.. à soupe d'huile d'olive, sel, poivre du moulin.

Couper les morceaux de viande en cubes de 3 cm de côté.
Dans une cocotte ou une daubière, faire chauffer le saindoux. Y faire revenir la viande de tous côtés. Ajouter le pied de porc coupé en deux dans la longueur, les échalotes hachées, chaque gousse d'ail piquée de 1 clou de girofle, le thym, le laurier, les carottes coupées en fines rondelles, le zeste d'orange, saler, poivrer et arroser de 3 cuil. à soupe d'huile d'olive. Sur le dessus, poser les couennes de lard.

Faire chauffer le vin dans une casserole. Ajouter un peu de marc et flamber. Recouvrir la viande de ce liquide.
Mélanger le beurre ramolli et la farine. Former une boule que vous déposerez sur les couennes. Couvrir et si vous utilisez une daubière, remplir de vin le couvercle évidé de la daubière.
Faire cuire lentement au moins 3 h.

BON À SAVOIR
Le vin
Choisissez votre vin avec grand soin. N'allez pas au tout-venant. Préférez un bon vin un peu tannique mais jamais acide, que vous pouvez servir en accompagnement de la daube, un Gigondas ou un Vacqueyras, par exemple, feront très bien l'affaire.

La cocotte
Le choix de la cocotte a aussi son importance. Plutôt qu'un autocuiseur ou une casserole, prenez une bonne cocotte en fonte bien épaisse ou, mieux encore, une daubière en terre cuite.