Chronique 18 (30-12-02)


Mes pas crissaient légèrement sur un fin gravier rose ratissé de fraîche date. Tout au long de l'allée bordée d'arbres centenaires, des bosquets de rosiers alternaient avec de délicats tamaris. Enfin parvenu aux abords de la demeure, je dus traverser une vaste esplanade. Au centre d'un bassin, une naïade portait une corne d'abondance. L'eau d'une fontaine en jaillissait avant de s'écouler sur ses formes harmonieuses.
J'étais au pied d'une volée de marches lorsque la porte s'ouvrit. C'était la Duchesse elle-même qui m'accueillait.
" Bienvenue, mon cher Merlin. Les valets ont congé aujourd'hui. "

Suivant sa silhouette altière et saccadée tout en humant un parfum poivre et citron, je notai l'austère élégance d'un tailleur ample et gris, d'un chignon serré derrière la tête.
Nous prîmes le thé dans un petit salon aux tentures sobres et claires, sur une petite table de marqueterie.

La Duchesse avait souhaité cet entretien, et c'était pour évoquer sa solitude, sa grande lassitude, son ennui, son désarroi même face à l'inconsistance existentielle de l'être humain.
" J'ai même cessé de donner des dîners. Les gens sont tellement vides. Et les plus creux sont ceux qui font le plus de bruit, comme pour oublier eux-mêmes qu'ils n'ont rien à dire, rien à donner, pour oublier la vacuité de leur petite vie. "

Après avoir tenté de lui expliquer l'intérêt d'autres rencontres, la richesse de beaucoup d'autres personnes, je finis, pour prendre congé, par l'inviter le lendemain soir à un petit repas entre amis.
" Mais ce sera sans cérémonie. Et le menu sans mousse de caviar ni ortolans à la nage de Champagne. "

La soirée avait largement commencé. Quelques amis et des enfants. Des rires francs et des verres levés. Des désaccords et des sympathies. Des cadeaux amicaux et des yeux ravis.
Lorsque j'apportais sur la table le sauté de veau aux carottes, fumant et odorant, la Duchesse fit son entrée.

Cheveux savamment défaits avec quelques mèches décolorées ; maquillage léger mais soulignant gracieusement son visage et son sourire ; corsage de soie joliment échancré ; jupe virevoltante valorisant les hanches et dégageant le genou gracile. La Duchesse avait belle allure, aux yeux des messieurs attablés. O'Maley réagit le premier et l'installa à ses côtés, lui servant d'autorité une assiette de sauté de veau et un verre de vin.

Le repas reprit son cours, et son brouhaha plaisant. Et après m'être extasié devant un petit lutin de 18 mois réclamant encore du veau à sa maman, j'observais discrètement la Duchesse.
Participant aux discussions des uns, riant aux blagues des autres, écoutant les récits de l'ami O'Maley, mangeant avec appétit, visiblement elle ne s'ennuyait pas.

Vers la fin de la soirée, je la cherchais des yeux pour la taquiner au sujet de sa lassitude et son ennui, mais ne la trouvais pas.
Mélusine, s'accrochant à mon bras, me murmura à l'oreille :
" O'Maley aussi a disparu. "

Sauté de veau aux carottes.
De: Elisabeth Bouynot


Et une vieille recette de ma mère-grand, qui a fait des dizaines d'adeptes parmi les amis de ses enfants, de ses petits-enfants et de ses arrière-petits-enfants :

Pour 6 il faut : 1 kilo 200 de veau en morceaux: morceaux pour blanquette, flanchet, tendron, ou même osso-buco (flanchet et tendron donnent du goût et du moelleux, la blanquette une viande plus présentable, l'osso-buco est moins gras) ; 2 kilos de carottes, 200g de lardons fumés, 2 ou 3 oignons, 1 gousse d'ail, 1 bouquet garni (thym, laurier, romarin), huile d'olive

Dans une cocotte, faire dorer les morceaux de viande dans l'huile d'olive, puis les retirer et faire revenir les lardons, et les oignons émincés.
Ajouter les carottes en rondelles, le bouquet garni, la viande.
Saler(pas trop à cause du lard),poivrer, ajouter l'ail émincé.
Couvrir et laisser mijoter à feu doux une bonne heure, en remuant de temps en temps. Les carottes doivent être fondantes.
Avant de servir, on peut faire complètement évaporer le jus, et caraméliser un peu les carottes au fond de la cocotte (chez nous c'est comme ça qu'on l'aime, mais attention pas brûlé, hein!)

les "trucs":
ne pas couper les carottes au robot, il fait des rondelles trop fines qui s'écrasent à la cuisson. les couper plutôt à la main( je sais, c'est du boulot...)
Ne pas hésiter à mettre pas mal de carottes, elles réduisent à la cuisson, il n'y en a jamais assez ;-)
Essayer de trouver du romarin frais, ça n'a rien à voir comme goût...