Chronique 34 (20-04-03)


Lorsque la barque me débarqua sur la plage, le soleil commençait à se coucher. Parmi la centaine de personnes présentes, pas un individu pour s'intéresser à moi. Il faut dire que tous étaient très actifs, soit à transporter des cargaisons vers la forêt, soit à creuser de vastes trous dans l'eau pour y déposer des barriques de chêne.
Suivant la cohorte s'engageant dans la forêt, j'y remarquais de nombreux hommes en train de tailler des arbres, ramasser des fagots, couper des bûches. Arrivé dans une vaste clairière, je découvris de curieuses constructions de bois : des troncs se terminant en fourches supportaient des traverses nouées de lianes ; sur celles-ci des branches plus fines faisaient comme une claie, à environ un mètre du sol.
Au centre de la clairière, un immense feu de bois sans cesse ragaillardi par de nouvelles brassées de bûches.

Apercevant un homme surveillant visiblement toute cette activité, j'allais me présenter à lui.
" Bonjour, je suis un ami du Père Labat. "
" Salut à toi, ami. Le Père est parti avec un groupe de vaillants camarades s'occuper d'une escouade d'espagnols que nous n'avions pas invités à notre fête. En l'attendant, viens boire un verre avec moi. Regarder ce feu, ça donne soif. "
S'approchant à grands pas d'un abri surveillé par deux grands noirs armés de sabre, il les apostropha : " Hola, compères ! Un flacon de sang-gris* pour l'ami du Père, et un autre pour Rackham le rouge ! "

Laissant le flibustier à ses préparatifs, j'allais m'asseoir dans un coin paisible pour me désaltérer.

Deux bonnes heures plus tard, je vis venir à moi le Père Labat, visiblement bien excité pour un homme d'église. Il m'expliqua, en finissant mon flacon, que ces soldats espagnols ne nuiraient plus à personne, le diable s'occupant d'eux. Me prenant par le bras, il m'expliqua les préparatifs de la plus formidable fête pirate que l'on ait vu. Les hommes de plus de quinze navires seraient là ce soir, à l'invitation de Blackbearn et du capitaine Vane.
Sur les boucans on voyait désormais griller les premiers cochons, le ventre ouvert, couchés sur un lit de branchages.
" Mais fais attention à n'en manger que peu ce soir. C'est un boucan d'enfer, ils sont enduits de sauce au piment Bouc. Préfère plutôt le cabri massalé, il sera plus doux à ton palais délicat. "
" Mais toutes ces jeunes femmes mon Père ? " lui dis-je en désignant des femmes qui participaient aux préparatifs avec les flibustiers.
" Ah ! Tu sais, la loi de la flibuste est une loi de liberté. Elles font ce qu'elles veulent, avec qui elles veulent. Si l'une d'entre elles t'intéresse, il faudra lui plaire. Et ne lui parle surtout pas d'argent, ni d'or. Elles sont fières et armées. "
" Enfin, mon Père. Je ne pensais pas du tout à cela. "

La fête devait durer toute la semaine, mais au bout de deux jours je préférais m'en retourner chez moi. L'estomac à vif et la langue révulsée, j'avais aussi la tête qui tournait à voir passer devant moi toutes ces jolies créoles.

* Le sang-gris est composé de vin de Madère que l'on met dans une jatte de cristal ou de faïence avec du sucre, du jus de citron, un peu de cannelle et de girofle en poudre, beaucoup de muscade, une croûte de pain rôtie et même un peu brûlée. Lorsque l'on juge que la liqueur a pris le goût des choses qu'on a mises, on la passe par un linge fin. Jean-Baptiste Labat.

CABRI MASSALE
Mélani Le Bris in La cuisine des flibustiers. Ed. Phébus

1,2 kg de viande de cabri, 4 tomates, 100 g d'oignons, 3 gousses d'ail, 50 g de pâte de tamarin, 3 ou 4 piments oiseaux, 10 grains de poivre, 3 clous de girofle, 2 pincées de graines de moutarde pilées, 1 cuillère à café de racine de gingembre râpée, 1 cuillère à café de caloupilé (feuilles de cari), 1 branche de thym, 2 cuillères à soupe de Massalé (mélange d'épices), 1 cuillère à café de curcuma, 3 cuillères à soupe d'huile, sel, poivre

Couper la viande en cubes de 2 ou 3 cm. Émincer finement les oignons dans le sens de la longueur. Faire griller les épices dans une poêle adhésive (poivre, girofle, massalé, curcuma, moutarde) en faisant attention de ne pas les brûler. Retirer du feu dès qu'elles ont exhalé leur parfum. Piler l'ail, les piments, le gingembre râpé avec les épices et réserver.

Dans un fait-tout, chauffer l'huile et y faire revenir les oignons, jusqu'à ce qu'ils deviennent translucides.

Ajouter la viande, saler, mélanger et couvrir. Laisser cuire à couvert jusqu'à ce que la viande ait rendu son jus.
Enlever alors le couvercle et laisser la viande roussir quelques instants.
Ajouter la mixture d'ail et d'épices et faire revenir la préparation quelques instants. Incorporer les tomates coupées en dés, mélanger.
Deux à trois minutes plus tard, mouiller à hauteur, couvrir et laisser mijoter à feu moyen pendant 20 mn.
Retirer le couvercle, augmenter le feu et faire réduire la sauce.
Lorsque l'eau s'est évaporée, la viande est cuite.
Servir accompagné de riz blanc.

Notes du 17-04-03
Utilisé du chevreau à la place de cabri. Pas de Tamatin (non trouvé). Massalé découvert en grande surface.
Après les 20 mn de cuisson, et avant de poursuivre pour faire réduire la sauce, j'ai réservé la viande.